En décidant, voici quelques jours à peine, d'autoriser l'Ukraine à utiliser les missiles américains ATAMCS pour attaquer la Russie en profondeur, le président américain, Joe Biden, semble avoir ouvert la boîte de Pandore, sous prétexte d'une supposée présence de soldats nord-coréens engagés dans l'opération spéciale au Donbass. Moscou a frappé une usine de composants de missiles dans la ville de Dnipro, jeudi dernier, puis, le lendemain, avec le nouveau missile Orechnik, de portée intermédiaire (5 500 km), un engin lourd à vocation stratégique sans charge nucléaire. Les tirs, effectués depuis une base dans la région d'Astrakhan, ont réfrigéré les ardeurs des Etats européens membres de l'Alliance atlantiste qui avaient salué la décision du président sortant américain, alors même que son successeur, Donald Trump, et son administration dénoncent une «escalade dangereuse» et un risque de «troisième guerre mondiale». Ces tirs constituent une première dans un conflit qui dure depuis février 2022. Réagissant promptement à la décision informelle de l'administration Biden, le président Vladimir Poutine a signé un décret élargissant le champ de l'usage de l'arme nucléaire et a également ordonné la production intensive du missile Orechnik, promettant de nouvelles frappes aux ennemis de la Russie. Il n'en fallait pas plus aux dirigeants ukrainiens, dont le ministre de la Défense, pour réclamer de nouveaux systèmes de défense antiaérienne aux Etats-Unis et aux pays européens dont le Royaume-Uni, la France, l'Allemagne, etc. Kiev a déjà réceptionné des missiles Patriot qui, dit-elle, ont servi à abattre plusieurs missiles hypersoniques Kinjal, mais leur nombre est autant limité que leur coût prohibitif. En outre, le missile Orechnik est réputé impossible à intercepter et, surtout, il est capable d'atteindre n'importe quel pays en Europe, même si, au Pentagone, on veut en minimiser les risques. Selon un haut responsable américain, Orechnik est une «arme expérimentale» disponible en «nombre restreint», de sorte que la Russie n'est pas en mesure d'en assurer un usage régulier sur «le champ de bataille». Un point de vue purement théorique, sachant que le président Poutine avait évoqué, l'année dernière, toute une panoplie de «nouvelles armes invincibles» dont certaines peuvent «effectuer le tour du globe à plusieurs reprises sans jamais être interceptées». Pour sa part, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a déclaré que les tirs du missile Orechnik «ridiculise la position d'Etats comme la Chine, du Sud Global et de certains dirigeants qui appellent à la retenue, à chaque fois». À son sens, seuls la surenchère et l'engagement accru des Etats-Unis en matière d'armements et de fonds conséquents sont à même de permettre à l'armée ukrainienne de desserrer l'étau russe, sachant que les forces de Moscou progressent inexorablement depuis des mois, avec une libération presque quotidienne d'une multitude de bourgades et de villes dans le Donbass. Mardi, une réunion est prévue à Bruxelles entre l'OTAN et l'Ukraine pour un examen de la situation au sortir de laquelle Kiev dit attendre «des décisions concrètes» de ses alliés occidentaux. La Rada, le Parlement ukrainien, a dû, vendredi, annuler en toute hâte sa séance, par crainte d'une attaque contre le quartier gouvernemental, devenu une cible possible du missile Orechnik. «Le message principal est que les décisions et les actions imprudentes des pays occidentaux qui produisent des missiles, les fournissent à l'Ukraine et participent ensuite à des frappes sur le territoire russe ne peuvent pas rester sans réaction de la part de la Russie», a indiqué, vendredi, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov.