L'écrivain prolifique et talentueux l'est surtout quand il s'agit d'évoquer au passé un homme de plume exceptionnel et d'une bonté sans commune mesure, un être pétri de qualités humaines et professionnelles qui n'a jamais cessé de rayonner. C'était à l'occasion de l'hommage rendu à l'écrivain Mouloud Achour lors du salon du livre de Tizi Ouzou. Lu par le fils de Mouloud Achour, Azeddine, le message de Yasmina Khadra ne laisse point insensible même les personnes qui n'ont jamais rencontré ou connu le regretté Mouloud Achour qui nous a quittés le 24 décembre 2020. Yasmina rappelle d'emblée qu'il est des êtres qui, en quittant ce monde, l'appauvrissent un peu plus. «Une fois partis, souvent sans crier gare, ils emportent avec eux ce qui mettait du baume au coeur, ne nous léguant que de tendres souvenirs orphelins de leur histoire», souligne l'auteur de «Ce que le jour doit à la nuit». Ce dernier rappelle aussi que Mouloud Achour faisait partie de ces êtres précieux. «En tirant sa révérence, son petit monde a rétréci comme peau de chagrin. Les évocations se perdent dans les soupirs et les regrets se font violence dans le silence des absences», ajoute Yasmina Khadra. Ce dernier témoigne que Mouloud Achour était un être de lumière, un homme bien, un homme de bien, quelqu'un qu'on a envie, au premier abord, d'en faire un ami à l'heure où les vertus manquent d'air et les aveux de confidents. L'auteur des Hirondelles de Kaboul qui a connu Mouloud Achour il y a plus de 54 ans du temps où le défunt enseignait le français à l'Ecole des cadets de Koléa où «je faisandais à l'ombre de mes infortunes, comme tant d'autres poètes en herbe livrés au marasme ambiant». «Lorsque j'ai appris que ce jeune homme fringant, beau comme son sourire, était un écrivain, ce fut le ravissement absolu. J'avais, à l'époque, une sainte vénération pour les écrivains que je considérais comme mes parents cosmiques. Je ne voyais personne au-dessus des écrivains. Ils me paraissaient inexpugnables, aussi fabuleux que les héros qu'ils inventaient du bout de leur plume et qui devenaient aussi vrais, dans notre imaginaire, que les idoles de nos réalités», écrit Yasmina Khadra en ajoutant: «Et en voir l'un d'eux de mes propres yeux, là, devant moi, dans la cour scolaire, en chair et en apothéose, a été pour moi la plus formidable des révélations. Il me fascinait. J'aimais l'observer de loin, de peur de renverser l'ordre des choses si je venais à l'approcher». L'écrivain se souvient «comme si cela datait d'hier» que parmi ses élèves figurait son cousin Kader: «Je n'arrêtais pas de lui demander de me parler de ce magicien du Verbe qui avait atterri dans notre enceinte militaire tel un mirage. Je voulais tout savoir de Mouloud Achour, ses moindres propos, le son de sa voix, si ses dires étaient aussi savants que ses mots, etc. Mon cousin se contentait de me confier que l'illustre écrivain était un bon prof, et c'est tout, ruinant ainsi mes fantasmes les plus fous». Dans l'impossibilité d'en savoir plus au sujet de Mouloud Achour, Yasmina Khadra et pour mieux le connaître eut l'ingénieuse idée d'acheter son livre Héliotropes qu'il avait lu d'une traite. Quand la lecture de ce livre fut terminée, ce qui devait arriver arriva: un matin, prenant son courage à deux mains, Yasmina Khadra est allé le voir pour lui soumettre une nouvelle (La Nuit du destin) qu'il avait écrite dans la foulée, seul prétexte qu'il avait trouvé pour pouvoir lui parler en tête-àtête. Yasmina Khadra n'a rien oublié de ce beau souvenir de jeunesse: «Ce fut un moment de grâce pour moi3. Deux jours plus tard, Mouloud Achour l'a «convoqué» dans une salle libre et lui a dit qu'il avait beaucoup apprécié son texte, malgré, avoue Yasmina Khadra en toute modestie, une syntaxe hasardeuse et quelques barbarismes. «Il m'avait autorisé à le revoir autant de fois que je le souhaitais», se réjouit en se souvenant, Yasmina Khadra. Il est retourné le solliciter avec une autre nouvelle (La Sorcière de Bir Sakett) qu'il trouva beaucoup mieux structurée ensuite, Yasmina Khadra n'a plus osé le déranger. «Des années durant, j'ai gardé de lui l'image d'un morceau de sucre aussi blanc que son âme, un être magnifique, d'une rare générosité, qui avait pour les Cadets une touchante tendresse et une attention enrichissante pour ses élèves», témoigne encore l'auteur des Sirènes de Baghdad en ajoutant: «J'gnore pourquoi il avait quitté notre école, mais, trois décennies plus tard, le hasard faisant bien les choses, nos chemins se sont de nouveau croisés au carrefour des Belles-Lettres et nous avons aussitôt été de très bons amis». Yasmina Khadra affirme que Mouloud Achour était venu deux fois chez lui, à Aix-en-Provence et à Paris, et il avait conquis, sans coup férir, ma petite famille. «Aujourd'hui encore, il m'arrive de le croiser dans mes pensées. Son sourire demeure éclatant comme son regard et sa gentillesse aussi vive que la joie qu'il suscitait autour de lui. Il a été quelqu'un de bien et son souvenir fait du bien là où tant de choses font mal», conclut l'auteur de Coeur-d'amande».