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Haï Fettal : la douleur des familles
AU LENDEMAIN DU CRASH DE BENI-MERED
Publié dans Liberté le 02 - 07 - 2003

Mustapha Kerrar se retire, un moment, de la foule et explose en larmes. Il vient d'avoir une très forte pensée pour ses quatre neveux emportés par le crash : Raouf (5 ans), Ayoub (5 ans), Tarek (9 ans) et Nassim (10 ans).
Chez les Kerrar, on est huit frères. Parmi eux, six sont mariés. Ils vivent tous sous le même toit, dans une splendide villa en bas de laquelle ils avaient un atelier de chaussures, et qui les faisait vivre tous les huit. Quatre d'entre eux ont perdu chacun un enfant. Les Kerrar sont les plus touchés par la tragédie. C'est terrible ! Terrible ! Mustapha ne sait quoi dire, quoi penser. Courageux, il répond, néanmoins, stoïquement aux nombreuses personnes qui le sollicitent pour dire quelques mots de circonstance, répondre à tel enquêteur ou tel journaliste.
Et puis, soudain, ce haut-le-cœur. En larmes et en spasmes de douleur. L'homme ne se retient plus. Son cousin Souhil tente de l'approcher pour lui apporter quelque consolation. Souhil revient bredouille. “Que dire à un homme qui a tout perdu ?”, lâche-t-il en poussant un long soupir.
Fayçal est le benjamin des huit frères. Il a 22 ans. Il revient difficilement du choc. Au moment du drame, lui, il était avec sa mère à Alger. “Je suis parti au Bureau de recrutement, à Bab El-Oued, pour me renseigner sur ma carte militaire. En revenant, j'ai vu une volute de fumée s'échapper de notre maison. J'ai pensé à une explosion de gaz. Jamais je n'aurais imaginé une seule seconde qu'un avion s'était écrasé sur notre toit. On ne voit ça que dans les films. J'ai couru vers notre maison et j'ai vu ce que j'ai vu. C'était apocalyptique. Ma mère est entrée dans une panique folle. Je me suis débattu avec elle pour essayer de la calmer, puis, je ne sais plus ce qui s'est passé. J'avais les jambes sciées. Je suis tombé dans les pommes et on m'a emmené à l'hôpital.” raconte-t-il.
Fayçal nous fera visiter la villa familiale. Ou plutôt ce qui en reste. Il s'agit d'une immense bâtisse érigée en 1992, construite en R+2, avec plusieurs garages. L'impact du crash dépasse l'entendement. L'appareil a réduit la villa en décombres. Nette impression d'un bombardement intensif ou d'un très violent séisme. En bas de la villa, un atelier de chaussures. Une belle affaire. C'est la fierté des Kerrar. “Nous exportions jusqu'à Nouakchott et même jusqu'au Sénégal. Notre créneau, ce sont les chaussures d'été”, nous disait Mustapha. De l'atelier, il ne reste plus rien. Les machines sont dans un sale état. Les matières premières ont littéralement fondu. Un foyer d'incendie persistait encore crânement à notre arrivée, dans un coin de l'atelier. Kheireddine Kerrar, 28 ans, l'un des huit frères, était dans l'atelier en train de travailler, quand la foudre s'est abattue sur la maison. “Ironie du sort : mon frère allait se marier le 24 juillet prochain. On était, d'ailleurs, en pleins préparatifs, et je commençais déjà à envoyer les cartes d'invitation”, dit Mustapha. Kheireddine s'en est miraculeusement tiré, non sans quelques brûlures et quelques fractures. “Kheireddine et le reste de la famille se sont sauvés par une porte dérobée qui se trouve à l'arrière de l'atelier et qui donne sur le jardin. Sans cela, ils auraient tous péri”, dit Fayçal.
Que des enfants…
À un moment donné, nous nous retrouvons sur la terrasse de la villa. C'est ici même que la cabine de l'appareil a échoué, tuant sur le coup les quatre enfants. “Là, jouaient Raouf et Ayoub au ballon. Et dans le salon, à côté, Nassim et Tarek jouaient avec leur play-station. Le nez de l'avion les a fauchés de plein fouet”, dit Fayçal en retenant son émotion. “Deux des membres de l'équipage, sans doute le pilote lui-même et un de ses coéquipiers, ont été retrouvés sur cette même terrasse. Et c'est là qu'on a repêché les deux boîtes noires de l'appareil”, ajoute notre guide. Çà et là, on peut voir encore des débris de l'avion, de petites pièces qui témoignent de la violence de l'impact. On peut aussi ramasser des feuilles volantes qui se sont détachées de l'un des documents de bord. Vues de près, il s'avère que ce sont plutôt des feuilles de cours. Des cours de comptabilité.
Tout le mobilier de la maison est soufflé. Tout est carbonisé. La salle à manger autour de laquelle se retrouvait, à des heures fixes, toute la famille, était tristement vide, rongée par les flammes. Dans les garages, un fourgon est calciné, ainsi qu'une voiture de marque Golfe. “Voilà. Du jour au lendemain, on se retrouve nu. Sans rien. Mabqa walou. C'est atroce ! Atroce !”, fulmine Fayçal, presque sans voix. Autour de la villa des Kerrar, six autres maisons ont été endommagées par l'avion, dans la foulée de sa course folle. Dans la rue séparant les deux pâtés de maisons, des enfants jouaient au ballon. Ils seront fauchés sur-le-champ. Les uns sont de la famille Aïssa, les autres de la famille Kharifa. Dans une maison attenante à celle des Kerrar, une femme et sa fille, de la famille Ramoul, seront tuées dans les mêmes circonstances. Une autre femme trouvera la mort sur la terrasse de sa villa, chez Nadir Abdelmadjid. La maison de ce dernier a été percutée la première en fait. Au total : 11 victimes parmi les civils, dont neuf enfants et deux femmes, trouveront ainsi la mort dans ce tragique accident. Les hommes, eux, étaient, à cette heure de la journée, loin de chez eux, ce qui explique qu'ils soient épargnés. “À ce train, on ne va plus dire à nos enfants “balakou tonobilate”, on va leur dire “balakou tiyarate””, ironise Rezkellah, un habitant du quartier, avec cet humour aiguisé que semblent attiser paradoxalement les moments de grande débâcle.
La trajectoire du crash
Nous sommes à présent chez Amroune Daoud, commerçant de son état. Sa villa a été fortement touchée, mais, miraculeusement, ni sa femme ni aucun de ses six enfants n'ont été tués, Dieu soit loué. “Ils étaient tous en bas au moment de la catastrophe. Grâce à un voisin, ils ont pu se sauver par le mur de derrière”, dit Amroune Daoud. De la terrasse de notre hôte, on peut aisément reconstituer la trajectoire du crash. Baâziz Lahcène, un habitant du quartier, en reproduit pour nous l'itinéraire : “L'avion a d'abord percuté avec son aile gauche l'un des réservoirs de la station d'épuration d'eau que vous voyez là-bas. Le pilote voulait sans doute conduire son appareil vers un terrain-vague mais ce choc l'a dévié et a précipité sa chute. Il s'est alors engouffré au milieu des maisons, après avoir lâché le maximum de kérosène, afin d'éviter que le quartier flambe. Il a frôlé un poteau électrique, puis, il a percuté ces deux villas, avant de finir sa chute dans le couloir qui sépare les pâtés de maisons, après avoir percuté un deuxième poteau électrique”. Rezkellah qui habite à l'autre extrémité du quartier affirme que le cylindre de l'un des réacteurs a échoué dans sa maison tant le choc était violent. Amroune Daoud ajoute, de son côté, que le premier réacteur est tombé dans sa cour, tandis que l'aile droite de l'appareil s'est détachée de la carlingue en percutant la villa d'en face. Pour chaque étape de cet itinéraire, des signes encore vivants témoignent de cette terrible descente aux enfers : des poteaux cisaillés, des murs labourés au fer, des débris éparpillés à plusieurs dizaines de mètres à la ronde. D'ailleurs, il a fallu plusieurs camions de l'ANP pour ramasser le “cadavre” en pièces de l'Hercule C 130. Dans le quartier, une très forte odeur de kérosène et de cambouis se faisait encore sentir, hier. Cela dit, tous les habitants de la cité Fettal, à l'unisson, ont tenu à s'incliner à la mémoire du pilote-instructeur, feu le lieutenant-colonel Abdessalam Hamdane, et tout son équipage, pour l'effort qu'ils ont déployé afin d'éviter que le crash fasse plus de dégâts : “Nous tenons à saluer la bravoure du pilote qui a eu la présence d'esprit de lâcher le maximum de kérosène, sans quoi, cela aurait embrasé tout le quartier. Il a fait ce qu'il a pu. Nous présentons nos sincères condoléances aux familles de l'équipage”, disent-ils.
Emouvantes obsèques
Une foule monstre était ramassée autour du quartier Fettal. Et pour cause. D'un moment à l'autre, les corps des onze victimes devaient arriver. “Nous sommes partis chercher les corps. Nous attendons que le procureur général nous délivre les permis d'inhumer”, nous dit le P/APC de Béni-Mered, M. Bach-Saïss Abdennour. Comme tout le personnel de l'APC, de la DAS de Blida, de la Protection civile, ainsi que les éléments de la gendarmerie et de l'armée, le maire a passé nuit blanche. “Nous avons tout de suite installé une cellule de crise au sein même du quartier. Nous avons réquisitionné un détachement de la garde communale et y avons logé provisoirement les familles sinistrées, leurs maisons étant inhabitables”, affirme M. Maïni, premier vice-président de l'APC. “Nous avons dégagé des salles. Nous avons drainé tentes, matelas et couvertures, ainsi que des produits alimentaires”, ajoute-t-il. M. Maïni se veut d'emblée rassurant : “Les familles sinistrées seront relogées. Mais il faut que les pouvoirs publics en haut lieu jouent le jeu. L'APC est, pour l'instant, livrée à elle-même”, dit-il.
Interrogés, les sinistrés se disent satisfaits de la qualité de la prise en charge dont ils ont fait l'objet : “Le maire et son équipe ont fait un travail remarquable”, dit Baâziz Lahcène, un proche de la famille Kerrar. “Mais il faut que l'Etat fasse quelque chose pour reloger très vite les victimes. Il faut aussi songer à cet atelier qui faisait nourrir les huit frères Kerrar ainsi que leurs familles respectives. Ils se sont retrouvés, du jour au lendemain, sans toit ni ressource. L'Etat doit les indemniser”, plaide-t-il.
La DAS de Blida a mobilisé une équipe de médecins et de psychologues pour aider les familles à surmonter le traumatisme. Des bénévoles du filet social, en blouse blanche, avec la mention “tadhamoun”, s'affairent à apporter aide et assistance aux familles. Mais la douleur est grande.
Les mères sont profondément éplorées.
Défilé incessant de femmes en larmes. Qui peut les consoler ? La tragédie est trop immense. Personne ne pouvait imaginer que cela pouvait leur arriver. “Avec ce crash, on aura tout vu. C'est la totale. C'est du jamais vu ! D'habitude, ce sont les hélicos qui survolent nos maisons. Jamais un avion n'a emprunté ce couloir. Le pilote a sans doute voulu éviter de se crasher sur l'autoroute, alors il a pris la direction des champs qui se trouvent derrière le quartier”, explique un habitant de la cité. “C'est un type de catastrophes auquel nous n'avons jamais pensé, il faut l'avouer, alors que nous vivons à proximité d'une base aérienne”, reconnaît Abderraouf Benouda, deuxième vice-président de l'APC de Béni-Mered, chargé du social. “Cela a été une leçon pour nous. Nous avons décidé d'organiser dans les plus brefs délais, des exercices de simulation pour parer à ce type de catastrophes, afin que tous les modules prévus par les plans d'urgence soient vite actionnés”, promet-il.
Les onze corps de la tragédie de Béni-Mered ont été inhumés, hier, signale-t-on, après la prière d'El-Asr, dans une ambiance religieuse.
La cité Fettal n'est sans doute pas près de revenir de ses émotions, après ce choc digne d'un 11 septembre à son échelle…
M. B.


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