En finir avec l'informel et la délinquance économique : ce n'est pas pour demain. Mais ce n'est pas une raison pour ne pas se retrousser les manches ! à écouter cet officier des douanes parti en retraite fin 2010, on n'est pas prêt d'en finir avec l'hydre de la contrebande. Les capacités de nuisance des trafiquants soutenues par une imagination foisonnante, leur donnent toujours une avance confortable sur les services des douanes. “Si l'Algérie est devenue un gros pays de transit et de consommation de drogue, de kif, principalement, c'est à cause du voisinage avec le Maroc mais aussi grâce à l'ingéniosité des trafiquants”. Un exemple parmi tant d'autres est narré par cet officier blanchi sous le harnais et qui connaît la musique, comme on dit. Il est question d'un gros importateur de fruits frais : pommes, poires, bananes. Le bonhomme, assez âgé, en apparence sérieux, voire irréprochable, importait depuis des années sa marchandise, en déclarait sans tricher la valeur réelle, se montrait ostensiblement compatissant avec les pauvres et les démunis, alors qu'il était en réalité un trafiquant de drogue, un vrai baron. Voici le topo expliqué brièvement : il faut savoir que les pommes (poires, etc.) sont importées dans des conteneurs réfrigérés qui bénéficient du circuit vert et de formalités douanières assouplies, et en tout cas plus légères. Car les pommes sont des produits périssables qui doivent être débarquées “sous palan”, afin d'éviter de provoquer la rupture de la chaîne de froid. Le bonhomme était donc soumis à des formalités allégées, dans un cadre parfaitement légal et prévu par la loi. Il n'était d'ailleurs pas le seul à bénéficier du dispositif. Nul n'ignore que les conteneurs possèdent une double paroi, destinée à mieux conserver le froid. Or, une fois les pommes déchargées, le trafiquant retirait la matière d'isolation qui sépare les deux cloisons du conteneur. Il réalisait cette opération avant de réexpédier les conteneurs consignés (loués) à l'étranger. Une fois évidée, la double cloison est remplie de drogue (kif) en provenance du Maroc. Il était passé maître dans le maquillage des conteneurs : il ressoudait les cloisons, les faisait repeindre, les salissait, donnait aux parties soudées à neuf une patine qui les faisait apparaître vieux et même fignolait le boulot en sacrifiant quelques pommes qu'il faisait écraser contre les parois internes du conteneur ! Du grand art. Un art qui lui a réussi longtemps. Naturellement, il n'exportait pas de drogue dans tous ses conteneurs, mais juste dans un, deux ou trois. Mais c'était amplement suffisant pour ce genre de trafic puisqu'on peut aisément imaginer ce que peut contenir la double cloison d'un conteneur de 40 pieds, par exemple ! Les nouvelles dispositions concernant la lutte contre l'émigration clandestine, la harga, prévoit la visite systématique de tous les conteneurs vides, visite opérée conjointement par la police et la douane, avant que l'opérateur n'obtienne le “bon à exporter”. Comme notre homme avait l'air d'être sérieux, pas la peine de préciser que la visite se faisait très vite, comme une simple formalité. D'ailleurs que peut-on trouver dans un conteneur vide ? Le pot aux roses n'a pu être découvert que d'une manière apparemment fortuite. Deux versions de la chose existent : l'une parle d'une fausse manipulation d'un conducteur de clark qui a fendu le conteneur avec la fourche, la seconde plus classique parle d'un délateur qui aurait vendu la mèche d'un trafic florissant. Notre retraité en connaît d'autres, bien sûr, mais il préfère narrer une technique en usage dans le trafic des produits pyrotechniques (pétards, feux d'artifices, etc.). L'histoire concerne un importateur de matériel scolaire. Ce personnage importait des conteneurs pleins de cartables à partir de Chine, de Hong Kong via Dubaï ou Malte pour brouiller les pistes, en croyant rouler les services douaniers avec ses nombreux transbordements. Sauf que la douane reçoit les manifestes à partir du pays d'origine de la marchandise exportée. Lors du passage de la marchandise au scanner, les cartables apparaissent bien en évidence, mais lorsque l'agent est attentif il peut déduire qu'il y a du louche à partir des formes qui ne sont pas conformes à l'idée qu'on se fait en général d'un cartable. Une fois l'anomalie signalée, une visite approfondie est décidée pour confondre le trafiquant. Par ailleurs, les douaniers peuvent déduire qu'il y a anguille sous roche par l'observation de la différence de poids entre deux conteneurs censés transporter le même type de marchandise. Mais là où les trafiquants excellent pour tromper leur monde c'est lorsqu'ils importent des produits divers tant dans la forme que dans leurs poids et usage. Les trafiquants ont toujours une longueur d'avance sur les douaniers ou les services de sécurité. C'est devenu un adage connu qu'on est prêt à croire, à considérer la combine qui suit : le règlement des douanes oblige l'opérateur à déposer sa déclaration en douanes dans un délai de 21 jours, après débarquement. Or les trafiquants chevronnés laissent sciemment s'écouler ce délai réglementaire, au bout duquel leur marchandise devra être transférée automatiquement dans les dépôts agréés en douanes (privés et publics, comme SNCF, MTA, GMA, etc.). Naturellement les trafiquants qui ont le bras long font en sorte que leurs conteneurs soient orientés vers les dépôts “amis”. Une fois les conteneurs arrivés dans ces dépôts, le trafiquant corrompt toute la chaîne, en versant les pots de vins à qui de droit, du pointeur au douanier, en passant par le clarckiste, l'inspecteur des fraudes et même les gendarmes. Tout le monde reçoit sa dîme, sur la totalité de l'itinéraire, jusqu'à ce que la marchandise soit rendue chez l'importateur indélicat. Un seul conteneur peut coûter au trafiquant jusqu'à 4 millions de dinars. Mais comme la plupart du temps la valeur de la marchandise atteint facilement 40 millions de dinars on reste tout de même dans la norme du 10%, de la part du feu en quelque sorte. Pour ce qui est des formalités d'usage, il faut savoir que dans ce type de dépôts, le trafiquant réussit à dédouaner ses conteneurs sur déclaration et documents, sans qu'il soit visité. C'est de ce genre de trafic que peuvent provenir les produits pyrotechniques. On peut tout aussi bien déclarer du verre à la place du cristal. Le plus gros du trafic provient des fausses déclarations de valeur ou d'espèce. Ce qui représente un énorme manque à gagner pour le Trésor public. Une remarque importante : les capacités opérationnelles du scanner du port d'Alger sont de 80 boîtes à visiter par jour, maximum. On n'y travaille que 8h/jour. Or, il sort du port d'Alger au moins 500 boîtes en 24 h. L'informel, le trafic des devises, la contrebande et le blanchiment d'argent sale font partie d'une même géographie.