Il y a bien de l'intérêt à lire le livre de Khaled Nezzar, si l'on considère les premiers extraits qu'on a pu consulter. Peu importe si, affublé du statut de retraité et réputé s'exprimer en son nom personnel, il se défend et on le défend, comme l'a fait Ouyahia, de porter le message de l'armée. Pourtant, au-delà du bilan de Bouteflika, il y a aussi de l'intérêt dans ce que le général divulgue du fonctionnement d'un système qui est à la base des épreuves répétées qu'endure le pays depuis longtemps. Sur Bouteflika, en effet, le livre ajoute au constat largement partagé d'un tragique quinquennat la somme d'informations et d'analyse qui explique cette étrange impression d'échec délibéré que nous inspire la gestion bouteflikienne des affaires du pays. Un peu comme si le Président avait la préoccupation prioritaire de sanctionner ses vrais ou faux ennemis avant de se soucier de servir la nation qui lui sert de prétexte à l'expression querelleuse de son pouvoir ; un peu aussi comme si la gestion du pays ne sert plus qu'à justifier son pouvoir devenu l'objectif et non le moyen. C'était utile qu'un chroniqueur qui ne risque pas d'être convoqué par la police judiciaire établît l'acte de ce détournement pervers et égoïste de la fonction d'Etat. La finalité de la responsabilité est perdue de vue et donc l'intérêt supérieur de la nation, les agressions les plus injustifiées deviennent possibles, ainsi que les alliances les plus dangereuses. Mais si l'échec politique de l'homme est établi et consommé, il porte en lui l'échec encore une fois répété du système. C'est pourquoi, il y a autant d'utilité dans le livre de Nezzar au regard de l'analyse des actes et propos du Président quand dans ce qui se révèle des modalités de transfert du pouvoir dans le système politique du pays. Il n'est pas explicitement dit, dans le livre important de Nezzar, si l'armée souhaite se libérer aussi de cette fonction de convoyeur de pouvoir d'un régime à l'autre ou si elle s'emploie à trouver le moyen de remettre enfin cette responsabilité à la société. À l'équivoque s'ajoute le paradoxe : une armée qui voudrait bien se défaire d'un pouvoir qui l'encombre autant qu'il la sert, mais qui déclare ne pas y arriver parce que le sérail politique n'est pas exempt de danger pour la République ! Ce qui ne manque pas de vérité. Le piège se referme… sur les Algériens et l'Algérie. Un pays et un peuple vivent dans la précarité politique parce que sa puissance militaire s'estime seule garante d'un minimum nationaliste et parce que l'expérience prouve que les dirigeants politiques qu'elle nous choisit, à l'occasion, se laissent souvent prendre par les tentations les plus périlleuses pour le pays. Ce qui fut prouvé. Les petits conclaves décrits par le général Nezzar n'aboutissant pas toujours à l'option la plus heureuse, comme il vient d'être vérifié, il nous reste à retenir notre souffle, puisqu'en la matière, semble-t-il, rien n'a changé. Il est angoissant d'imaginer qu'à l'heure qu'il est, et nonobstant la bonne intention décrite par le général à la retraite, quelques généraux soient en train de rechercher le “moins pire” d'aujourd'hui, le pire de demain. M. H.