La complexité de la situation sociale et politique d'un pays comme l'Irak ne peut être appréhendée sous tous ses aspects dans les laboratoires de la CIA et du Pentagone. Ils n'ont pas été accueillis avec des fleurs. Au matin du 9 avril, lorsque les soldats américains débarquent à Bagdad, après trois semaines de bombardements intensifs, ils n'ont pas été les bienvenus. Même si l'Amérique a été à l'origine de la chute d'un régime dictatorial qui a plongé l'Irak, depuis trente ans, dans d'interminables guerres et conflits, les Irakiens ne pouvaient pas oublier les dix années d'embargo, où des milliers d'enfants mouraient chaque jour faute d'avoir été nourris et soignés. L'Amérique de Bush s'est trompée. Elle s'attendait à une adhésion massive de tout un peuple au projet qui allait inévitablement piller toutes ses ressources juste parce qu'elle a chassé une dictature pour installer une démocratie. Elle a sous-estimé une éventuelle résistance des populations irakiennes pour la simple raison qu'elle a cru avoir retourné l'opinion publique contre ses propres dirigeants en jouant sur les effets dévastateurs du blocus imposé depuis août 1990. Ce n'est pas le cas. Les derniers attentats qui viennent de secouer la capitale irakienne et la ville de Falloudja, hier, confirment que l'Irak ne peut pas être sous l'égide d'un occupant. Et la situation risque de se compliquer. Aux Etats-Unis, le mot est lâché. On pense désormais au Viêt-nam. Une partie de la classe politique exige du président qu'il dise la vérité. Mais quelle vérité pourra-t-il dire ou plutôt pour quel mensonge devra-t-il demander pardon à toutes les familles des soldats tués en Irak ? Pour les armes de destruction massive pour lesquelles la guerre a été déclenchée et qui demeurent introuvables six mois après la chute de Bagdad ? Pour l'idéal démocratique pour lequel il prétendait mener le combat et qu'il a vite transformé en conquête de la deuxième réserve mondiale en hydrocarbures ? En tout cas, même si Saddam devait un jour être retrouvé et éliminé, cela ne réglera rien à la crise irakienne. La complexité de la situation sociale et politique d'un pays comme l'Irak ne peut être appréhendée sous tous ses aspects dans les laboratoires de la CIA et du Pentagone. Aujourd'hui que la vraie guerre a commencé, quel choix reste-t-il à Washington ? S'embourber davantage dans un conflit qui est appelé à durer dans le temps ou se retirer pour éviter de rééditer le terrible scénario vietnamien et somalien. S. T.