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"L'Algérie a été épargnée par le Printemps arabe à cause de la Libye"
Jean-François Kahn, Journaliste-essayiste français, à "Liberté"
Publié dans Liberté le 03 - 11 - 2014

Le journaliste-essayiste français, Jean-François Kahn, revient, dans cet entretien, sur l'année 1962, qui coïncidait avec ses débuts dans le journalisme, alors qu'il se trouvait en Algérie. Il aborde également les relations algéro-françaises et le Printemps arabe.
Liberté : Votre carrière de journaliste a commencé ici. Qu'évoque pour vous l'Algérie?
Jean-François Kahn: Pour moi, l'Algérie c'est quelque chose d'absolument essentiel, parce que c'est à la fois ma jeunesse et mon ouverture à l'action politique. À l'actualité. C'est-à-dire, quand j'avais 16 ans, c'est à travers les événements de l'Algérie que j'ai pris une conscience de citoyen actif. Et quand j'avais 17 ans, en 1956, j'ai commencé à m'intéresser à l'action publique. En France, il y avait des élections, un front républicain dont le chef emblématique était Mendès France et qui s'est présenté pour la rénovation de l'action politique et en même temps pour sortir des guerres coloniales qui plombaient le pays. J'étais parmi ces jeunes qui militaient, qui participaient aux réunions publiques et ce Front républicain avait gagné les élections. Je me souviens que j'avais passé la nuit à écouter les résultats.
J'étais jeune et c'est la première fois que je m'intéressais comme ça à une élection. Finalement, j'ai été étonné que ce ne fût pas Mendès France qui ait été appelé mais Guy Mollet, mais enfin bon... c'était des socialistes. Ils ont fait alors la politique inverse. Ils ont appelé le contingent pour aggraver la guerre, ils ont donné le pouvoir à l'armée, ils ont couvert la torture, ils ont fait une expédition à Suez, et ça m'a beaucoup frappé. Le premier contact que j'ai eu avec la politique, c'était la grande trahison. Ce que je suis en train de vivre actuellement en France, c'est la même chose.
Un gouvernement socialiste qui arrive au pouvoir sur un programme, un discours, sauf que la grande différence, c'est que, cette fois, je n'y croyais pas. J'ai eu une expérience et je sais que ces gens trahissent tout le temps. Je savais qu'ils trahiraient mais je n'imaginais pas qu'ils trahiraient à ce point. J'ai quand même été un peu dépassé dans mes prévisions.
Donc, on revit ça, pas aussi tragique que ce que fut la guerre d'Algérie, mais on revit avec un gouvernement qui fait le contraire de ce pour quoi il avait été élu, et avec ses conséquences. On oublie une chose, c'est que cette trahison de 1956 a débouché sur 1958, et cette année-là, l'extrême droite aurait pris le pouvoir s'il n'y avait pas De Gaulle. Et, aujourd'hui, on peut très bien avoir demain l'extrême droite parce qu'il n'y a pas De Gaulle.
De la même façon, la gauche a mis 24 ans pour se refaire une santé, parce qu'il y avait Mitterrand. Et aujourd'hui, il n'y a pas de Mitterrand. Voyez-vous que c'est quelque chose qui contribue à ma réflexion. Pour le reste, non seulement ça a été mon ouverture à la vie politique, surtout que j'ai milité contre la guerre d'Algérie, pour les négociations, et en 1961 j'ai été envoyé ici.
J'ai couvert la fin de la guerre d'Algérie, le putsch des généraux, la période de l'OAS à Alger, Oran, et ensuite je suis revenu le jour de l'Indépendance. J'ai aussi couvert la guerre civile entre les Algériens, ce qui est terrible à vivre. Quand vous voyez un peuple qui accède à l'indépendance, alors que vous avez soutenu cette volonté d'indépendance, et, tout à coup, un an après, vous les voyez s'entretuer, c'est aussi tragique.
Selon vous, était-ce prévisible ou pas ?
À ce point, je ne l'avais pas prévu. Je l'avais prévu au moment de l'Indépendance. Tout de suite avant ces journées, j'avais été à Ghardimaou, une ville de la frontière entre l'Algérie et la Tunisie, où j'avais rencontré l'état-major de l'armée des frontières de Boumediene.
Là, les propos que m'avait tenus un colonel de l'état-major, montraient bien qu'ils étaient prêts à en découdre. J'ai bien senti qu'on allait vers un affrontement. D'autant plus que j'avais vécu une des grandes batailles dans une ville qui s'appelait Aumale (l'actuelle Sour El-Ghozlane, ndlr). Je me suis retrouvé entre les deux armées. D'un côté, l'armée qui attaquait, celle du colonel Chaâbani, et de l'autre, celle du colonel Oulhadj.
En plus, quand j'étais à Alger en 1962, je me souviens, j'ai entendu une explosion. J'ai couru, j'étais encore tout jeune, vierge (rires), c'était une voiture qui avait explosé sur les Docks d'Alger et ça avait fait 60 à 70 morts. Je suis arrivé parmi les premiers. Il y avait des corps déchiquetés, etc. c'était mon premier choc avec la mort d'une certaine manière.
Comme j'étais le premier Européen à venir, les Algériens, qui étaient sur place, ont sauté sur moi et j'ai failli être lynché. Il y avait des gens du FLN qui m'ont pris à Belcourt. C'était tellement dur que je n'arrivais pas à écrire mon article. Aussi, il y a un autre exemple, je me souviens un jour où je remontais la rue d'Isly, j'ai vu un commando (de l'OAS, ndlr) qui a tué huit personnes devant moi. C'était comme ça que j'étais complètement insensible à la mort.
Un jour j'étais avec un journaliste anglais, on était sur la rue Didouche-Mourad, Michelet à l'époque, il y a eu un Algérien tué devant nous. On l'a enjambé et on a continué à discuter. Si c'était un Français, ça aurait été pareil.
Ça veut dire que nous étions tellement habitué à côtoyer le crime, la mort et l'horreur, que nous en sommes arrivés là. Au-delà même de l'Algérie, ce contact avec le crime, la mort, la violence, c'était terrible.
Jean-François Kahn au siège de "Liberté" (Photos de Louiza AMMI)
Pour vous l'Algérie n'est quand même pas uniquement synonyme de sang et de violence ?
Non, mais il y a aussi le jour de l'Indépendance, cette espèce d'explosion de joie, toutes ces voitures, ces gens partout sur les toits, etc., c'était extraordinaire à vivre aussi.
Finalement votre présence en Algérie durant cette période a été déterminante pour la suite de votre carrière de journaliste...
Oui, dans la mesure où c'était quand même l'événement principal même d'un point de vue français. Même sur le point de vue de la politique française. Pourquoi j'ai été là alors que j'avais 22, ou 23 ans ! C'était une raison toute bête. J'étais dans un journal qui était « Algérie français », plutôt de droite, « Paris Presse »., et moi je n'ai jamais caché que j'étais pour l'indépendance de l'Algérie, enfin pour la négociation, et que je militais pour la paix en Algérie. Lorsque De Gaule, a pris le tournant de donner l'indépendance à l'Algérie, il y'a eu une crise dans le journal et quasiment il a changé de ligne. Tous les partisans de la guerre à outrance ont quitté le journal et du coup il y'a un jeune journaliste là, qui finalement il n'était pas mal et il était plutôt pour l'indépendance de l'Algérie et c'est pour ça qu'ils m'ont envoyé. C'est pour ça que j'ai é é très vite confronté et que du coup j'avais les articles à la Une, en gros, ce qui était un hasard incroyable. En plus, ils m'ont viré...
L'Algérie en était-elle la cause ?
Après cette expérience-là, j'ai couvert la guerre entre l'Algérie et le Maroc. J'ai envoyé un article et le journal l'avait complétement truqué. Quand je suis retourné en France, j'ai dit que je n'acceptais pas ça et j'ai fini par démissionner.
Du coup, "Le Monde", dont le correspondant ici avait été expulsé, m'a demandé, ayant lu mes articles, d'aller représenter le journal en Algérie. Donc j'étais l'envoyé permanent du Monde à Alger, pendant un an et demi.
Vous étiez installé où exactement à Alger ?
J'avais loué un appartement à la rue Didouche Mourad, avec un design rustique breton. C'est spécial, parce que avec des meubles en rustique breton et 40° à l'ombre, c'est quelque chose (sourires).
Mis à part la capitale, connaissez vous d'autres villes algériennes?
J'ai été à Oran, quand il y a eu les événements de juillet 62. J'ai été à Constantine, également à Tlemcen quand Benbella y était arrivé. J'ai été aussi au Sahara. Je connais pas mal d'autres villes. Dans l'ensemble je connais assez bien le pays.
Et qu'évoque pour vous juillet 62 ?
C'était la période de l'OAS où l'apartheid était devenu total. Les algériens ne pouvaient pas rentrer dans les quartiers européens et les européens n'allaient pas dans les quartiers algériens. A cette époque je me posais une question : pourquoi les algériens continuaient à aller dans les quartiers européens en sachant qu'ils allaient être tués! Ils n'étaient certes pas très nombreux mais ils continuaient à y aller et ils finissaient par être tués. Pour revenir à juillet 62, c'était tout à coup le déferlement. L'Alger arabe se déversant sur l'ensemble de la ville. Ce qui m'avait beaucoup marqué, d'abord le fait de crier « vive nos martyrs », et il y avait aussi ce slogan ; d'ailleurs e ne sais pas si c'était ce jour là, c'était « un seul héros, le peuple ». Cette idée m'avait beaucoup frappé. On voyait bien ce qu'il y'avait derrière ! C'est à dire, on ne veut pas de leaders, on ne veut pas de culte de personnalités, il faut tenir compte de l'avis du peuple. Mais il y'avait une préscience là dedans. Malheureusement, on ne les a pas écoutés.
Indépendante depuis 52 ans, que pensez-vous du parcours de l'Algérie?
Je ne peux pas répondre comme ça globalement. Il y'a d'abord, la première période de la guerre civile, qui était tragique. Avec quand même cet évènement surréaliste qu'on ne peut même pas imaginer. Une grande manifestation, là où on criait « sept ans barakat ». La foule énorme qui va jusqu'au palais du Gouvernement pour chercher qui gouverne. On ne savait plus qui gouvernait. Et Benkhedda,qui était censé être le Président, se cachait dans la cave pour ne pas qu'on le dérange. Ils vont le chercher et vont le remettre parce qu'on veut un Gouvernement. C'était un truc de fou. J'étais parmi la foule. Après, il y'a eu l'arrivée de Benbella. Les deux premières années, il y'a eu sans doute des folies, l'autogestion non préparée, le socialisme un peu anarchisant, mais il y avait une effervescence extraordinaire y compris culturelle. Il y'avait des dangers mais des possibilités, de créer une sorte de démocratie ouverte. Moi, personnellement, je vais peut être choquer vos lecteurs, mais je pense que le coup d'arrêt de Boumediene a été quand même terrible pour l'Algérie. Je le ressens comme ça.
Vous pensez que Benbela était « mieux » ?
Ni mieux ni pas bien. Benbella avait un côté un peu fou, impulsif, des coups d'humeur mais en même temps c'était quelque chose d'incroyable à vivre. Peut être aussi que c'était une jeune indépendance. Sans doute, il fallait discipliner tout ça. Sans doute, il fallait arrêter un certain nombre de folies, mais l'excès dans le sens inverse, et le coup d'arrêt que représentait Boumediene, même si cela a amené de l'ordre, mais politiquement, je pense que cela a eu des aspects très pervers.
Et concernant les relations algéro-françaises, comment les analysez-vous ?
On pose le problème en termes de rapports franco-algériens, c'est assez artificiel. C'est comme s'il y avait quelque chose qui s'appelait l'Algérie et quelque chose qui s'appelle la France, avec des patrons et c'est le problème de leurs rapports. Non, ce n'est pas vrai. C'est un problème de politique intérieure dans les deux pays. En Algérie, gérer pour des raisons de politique intérieure avec la France avec les rapports avec les ultra-nationalistes, les islamistes, etc. En France c'est gérer le problème des anciens partisans de l'"Algérie française", du Front national, d'une partie de la droite, etc., pour qui c'est une machine de guerre pour revenir sur la guerre d'Algérie. C'est la gestion intérieure du problème des rapports entre les deux pays qui pose un problème, ce n'est pas le problème des rapports entre les deux pays.
Il y a également la question de la repentance de la France pour ces crimes coloniaux ...
Mais c'est parce que c'est un problème de politique intérieure. Hollande, il ne l'a pas faite la repentance.
Ni Sarkozy d'ailleurs...
Sarkozy, on peut considérer que c'est un homme de droite. Mais Hollande, quand il est venu ici, juste avant d'être élu, je suis sûr qu'il l'a dit qu'il allait l'accepter. J'en sais rien, mais je l'imagine. Comme il promet tout à tout le monde et il fait le contraire. Mais c'est un problème de politique française. Le gouvernement, qui acceptera la repentance, provoquera dans certains secteurs un tollé terrible, absolument terrible.
Le même problème si demain, un gouvernement algérien dit on ouvre les bras aux harkis, ils peuvent tous rentrer, provoquera un tollé terrible. C'est pourquoi dans les deux cas, c'est un problème de politique intérieure.
La France a pourtant bien demandé à la Turquie de se repentir par rapport à l'Arménie...
C'est pour moi incroyable. J'étais contre. Je suis plutôt proche des Arméniens, et je trouve que ce qu'ils ont souffert est terrible. D'abord ce n'est pas au Parlement de voter l'Histoire, c'est aux historiens de faire l'Histoire. Voter une loi qui rend obligatoire la reconnaissance, même pas par nous, mais par les Turcs, d'un crime, alors que nous-mêmes on refuse de reconnaître nos propres crimes, c'est absurde.
Et si on abordait le fameux Printemps arabe ? Presque quatre ans après, comment en analysez-vous les résultats et surtout les conséquences ?
Aujourd'hui, il y a toute une tendance qui consiste à dire que c'est une catastrophe, et on aurait jamais dû soutenir les Printemps arabes, regardez les conséquences ! Je crois que c'est une mauvaise lecture. Ce qui a été terrible, et ce qui a été une conséquence absolument redoutable, ce sont les Printemps arabes auxquels on s'est mêlés nous. La Libye, c'est absolument catastrophique. Mais ce n'est pas la révolte des Libyens qui est catastrophique, mais c'est notre intervention à nous qui a provoqué ce bilan absolument calamiteux. En Irak, la catastrophe c'est d'être intervenu. Mais en revanche, en Tunisie, où on n'est pas intervenu, pour l'instant objectivement ça tourne plutôt bien. Même en Egypte, je ne peux pas dire que ça tourne bien, mais ils ont échappé au pire quelque part. Je crois que les révolutions arabes sur lesquelles s'est plaquée une intervention extérieure ont été extrêmement calamiteuses.
Et concernant la Syrie?
C'est plus compliqué parce qu'en fait nous sommes intervenus sans le dire. Quand vous avez 17 000 djihadistes qui combattent en Syrie, encore faut-il qu'on ait favorisé leur venue. Il y a eu une intervention. Seulement sur ce coup, c'est moins la France, l'Angleterre ou l'Amérique, que l'Arabie Saoudite, le Qatar ou la Turquie. Il faut dire les choses comme elles sont, il y a eu une intervention massive.
Pourquoi, selon vous, l'Algérie a-t-elle-été épargnée par ce "printemps" ?
Je crois que c'est à cause de la Libye. Juste avant les événements dans ce pays, rappelez-vous, il y avait eu les émeutes de Bab El-Oued. Ça veut dire qu'il y avait eu un ferment, qu'il aurait pu se passer quelque chose. Et puis il y a eu la Libye et je pense que c'est devenu un repoussoir terrible. Ce qui a donné le voisin, peut-être que je me trompe, mais c'est ce que je pense, est un phénomène qui a découragé, pour beaucoup, la possibilité ou le risque d'une explosion sociale en Algérie.
Il y a aussi le 5 Octobre 1988...
Ah oui, c'est vrai aussi. Je ne suis pas contre ça. Les deux jouent. Je dirais même trois. Il y a eu la Révolution algérienne avec ses morts. Mais je pense que s'il n'y avait pas le repoussoir libyen, il y aurait, peut-être, un risque d'explosion. Je ne l'exclus pas.
Le cas syrien peut être considéré également comme un repoussoir. D'ailleurs la France envoyait bien des armes aux opposants au régime...
La France envoyait des armes à l'ASL (Armée Syrienne Libre, mouvement d'opposition armé, ndlr) c'est les islamistes qui les ont récupérés. C'est tragique parce que le Gouvernement de Bachar Al Assad est épouvantable. Aucun démocrate ne peut avoir la moindre sympathie pour lui. Il faut dépasser une conception qui est bêtement manichéenne. Même quand vous avez devant vous un diable, celui qui s'oppose au diable n'est pas forcément un ange. Et même vous pouvez avoir des cas, où vous avez un diable et se lève devant lui quelqu'un qui devient un «diable pire». Staline est un diable absolu, sauf que Hitler a un moment est devenu un «diable pire». On a même accepté de faire la guerre à côté de Staline contre Hitler.
Pourtant Bachar El Assad était auparavant un ami de la France...
Nous sommes responsables du soutien à son régime, et lui, il est responsable dans son refus de négociation. N'empêche qu'à un moment peu à peu il y a eu une émergence des diables pires que Bachar El Assad et ils y se sont imposés. On n'a pas voulu l'admettre en France et on a vécu dans le mythe où vous avez certains mauvais rebelles mais heureusement qu'il y'avait des bons. Sauf qu'hélas, à un moment, les bons ont disparu ! Alors, il faut se poser la question. Bachar Al Assad est responsable, la Turquie est responsable. C'est le Qatar qui a distribué les armes, l'argent, c'est la Turquie qui a fait venir les Djihadistes. Il y'a un an et demi l'ASL avait quasiment disparu, c'était totalement marginal. On s'est inventés le mythe qu'on aidaient les bons rebelles face à Bachir Al Assad, sauf qu'il y'en avait plus, et on voit bien ce qui se passe aujourd'hui. On en arrive à ce summum, que face aux pires des rebelles, Daâch, qui sont l'épouvantable de l'épouvantable, qui sont pires qu'El Assad. Ceux qui apparaissent comme convenables sont les mecs qui sont liés à Al Qaïda. On s'est arrangés de telle façon qu'il n'y ait plus que des diables. Entre nous, les anges, on ne les invente pas. On ne peut jeter des anges pour les opposer aux diables. Il faut qu'ils existent.
Que répondriez vous aux adeptes du complot, qui affirment que le « printemps arabe » n'est qu'une application du fameux projet des néo-conservateurs américains, le « GMO », Grand Moyen Orient, dont le but n'est que de démanteler les pays arabes en de petites républiques ?
Déjà je me méfie des thèses des «complotistes». Et c'est aussi les américains qui ont organisé le 11 septembre, c'est dans la logique de ça. A la limite c'est très gentil de considérer que les américains sont d'une grande intelligence, d'une grande rationalité, que tout ce qu'ils font est pensé. Hélas, ce n'est pas vrai du tout. Croyez moi, aujourd'hui, ils ne sont pas contents de ce qui se passe en Irak. Quand les néo-républicains ont fait la guerre d'Irak, ils étaient sincères. Leur truc était fou mais ils étaient sincères.
Obama a-t-il fait mieux ?
Il a hérité de cette situation. Que ce que disent les néo-conservateurs américains ! C'est la faute d'Obama parce qu'il fallait aller plus loin et rester sur place. Autrement dit, il fallait occuper l'Irak. Et moi je suis très frappé d'une chose, c'est quand les gens sont enfermés dans une doctrine, et que ça ne marche pas, ils ne reconnaissent jamais leur erreur et ils disent toujours « parce qu'on n'a pas été plus loin ». Quand le système communiste s'est effondré, que disaient nos communistes français ! « Ah non, ce n'est pas le socialisme qui ne marche pas, c'est parce qu'on ne l'a pas poussé assez loin ». Quand vous avez eu la crise de 2007 du système néo-libéral, les néolibéraux disaient « ah non, ce n'est pas notre système qui ne marche pas, c'est qu'on n'a pas poussé assez loin ».
Avant notre entretien, vous nous avez dit que vous auriez voulu que votre livre « Les rebelles » soit parmi ceux que vous allez dédicacer demain (ndlr : l'entretien a été réalisé samedi) au Salon du Livre International d'Alger. Vous aviez précisé que c'était un ouvrage tout indiqué pour un pays comme l'Algérie. Pourquoi ?
Ce que je dis sur Poutine : si les élections étaient vraiment libres ; au lieu de faire 70% il aurait fait 55%. Donc, j'aurais envie de dire ça aussi pour l'Algérie. Je pense qu'il y'a eu des pressions, des manipulations, qui ont fait que Bouteflika ait eu beaucoup plus que ce qu'il aurait dû avoir. Je pense que même si les élections étaient libres, il aurait été élu. Peut être de peu, peut être avec moins, mais je pense qu'il aurait été élu quand même. Il y a un un Président à un âge, et un état de santé, qui font que ça ne soit pas raisonnable de l'avoir réélu. En revanche, l'Algérie est un pays où il n'y a que des gens de l'opposition. Vous ne rencontrez jamais un algérien qui ne soit pas de l'opposition. C'est presque un label ! Même les ministres sont de l'opposition, même les conseillers du Président font de l'opposition aussi. Tout le monde est dans l'opposition dans ce pays. C'est étrange! Ce mélange où on vote pour le Pouvoir mais on est de l'opposition. On est le Pouvoir et on est également l'opposition. Cela a une conséquence : on passe facilement de l'opposition au Pouvoir.
Entretien réalisé par Salim KOUDIL
@SalimKoudil


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