La France compte plus de trois millions de binationaux. Ciblés par un projet de loi sur la déchéance de la nationalité pour des faits de terrorisme, ils s'élèvent contre ce qu'ils considèrent comme une nouvelle discrimination qui bafoue le principe d'égalité de la République. "Mon père m'a toujours dit : ‘Tu es 100% français, 100% algérien.' Dois-je revoir ce taux de nationalité à la baisse ? ", s'est interrogé Azzedine Ahmed Chao sur Twitter le 31 décembre dernier. Son coup de gueule se confond avec des dizaines d'autres, pleins de pertinence et d'ironie. Tout a commencé quelques jours plus tôt, par un tweet d'Ali Badou, un des animateurs vedettes de la chaîne de télévision Canal +. "J'ai toujours pensé qu'avoir deux nationalités était une richesse. Aujourd'hui je découvre que c'est un problème", a écrit le journaliste franco-marocain, en ponctuant son message d'un #JeSuisBinational. Les internautes s'emparent aussitôt de son hashtag et portent le débat sur l'extension de déchéance de la nationalité aux binationaux, sur la Toile. Peu sollicités dans les médias grand public, les concernés par le projet de loi du président François Hollande, libèrent leur parole et font enfler la polémique, entretenue jusque-là par les politiques. Leurs arguments ne soulèvent pas des points de droit. Ils questionnent avec émoi les fondements de la citoyenneté et accusent l'Etat de vouloir amputer la devise de la République d'un de ses trois principes : l'Egalité. "Père algérien, mère française et enfant de la République. Ma nationalité n'est pas conditionnelle", a résumé Sarah dans un message. De son côté, Mina révèle sa fierté de porter une double culture et de la transmettre à ses enfants. Plein de dérision, Sevan a annoncé, quant à lui, vouloir renouveler son passeport iranien périmé depuis dix ans. "Ce n'est pas une revendication culturelle ou identitaire, c'est une revendication politique. Un acte de résistance contre une proposition injuste", a-t-il écrit également sur Twitter. D'autres soupçonnent avec humour la France de vouloir fourguer ses terroristes à d'autres pays. Plus sérieusement, beaucoup déplorent la démarche du gouvernement. Les critiques émanent aussi des détenteurs de la seule nationalité française. "La droite étouffe la Fraternité, mais c'est la gauche qui poignarde l'Egalité", a déploré Michel. Julien, lui, réclame des statistiques exactes sur les terroristes avérés ou potentiels qui détiennent réellement la double nationalité. "Nous devenons suspects parce que nous avons une autre nationalité. Nous le sommes déjà amplement, à cause de nos noms et de notre couleur de peau", s'indigne Yahia, infographe dans une publication de presse. Arrivé enfant dans l'Hexagone avec ses parents, il se sent fondamentalement Français mais une partie de son cœur vibre encore pour l'Algérie. "C'est comme si on me demandait aujourd'hui de renoncer définitivement à ma nationalité algérienne pour être labellisé Français à 100%. Autrement, je serai toujours vu comme un Français de seconde zone", confie le jeune homme amer. Dans une tribune publiée par Le Nouvel Observateur, Dal-C, un autre Franco-Algérien, a exprimé son acrimonie presque dans les mêmes termes. "Je suis né en France, j'y ai grandi et j'y vis encore. Je parle français parfaitement, j'ai fait mes études dans le système scolaire public, je paie mes impôts en France et prends l'apéro en terrasse dans les cafés parisiens. Pourtant, la loi ne m'envisage pas de la même manière que mon voisin, qui n'a qu'un seul passeport dans sa table de chevet" et d'ajouter : "Comment expliquer à ceux qui, comme moi, sont déjà victimes de discrimination au quotidien (contrôle au faciès hebdomadaire, remarques islamophobes, regards suspicieux dans les transports en commun...), que leur situation va s'aggraver, même symboliquement ?". S. L.-K.