Quelques minutes plus tard, le gardien du jardin, effaré, aperçoit Sonia tituber avant de s'affaler sur le sol, un couteau planté dans le dos. C'est l'histoire de deux femmes que tout séparait, dont la rencontre a été fatale pour l'une et destructrice pour l'autre. L'une, célibataire âgée de 34 ans, vivait à l'Est de l'Algérie, plus précisément à Batna où elle travaillait comme institutrice. L'autre, femme au foyer de 38 ans, vivait de l'autre côté du pays, à Maghnia, en compagnie de ses cinq enfants et un mari violent et porté sur la boisson. Par un singulier concours de circonstances, les deux femmes se rencontrent par une chaude journée d'août 2015, dans le jardin Hasni Cherkroun (anciennement Petit Vichy), le Front de mer. Sonia, l'institutrice, est assise sur un banc, le téléphone collé à l'oreille quand Faïza pénètre dans le parc. Quelques minutes plus tard, le gardien du jardin, effaré, aperçoit Sonia tituber avant de s'affaler sur le sol, un couteau planté dans le dos. Faïza, elle, tentera de fuir mais déjà les policiers de la 16ème Sûreté urbaine, dont les bureaux se trouvent à proximité, sont sur les lieux et l'immobilisent. Interrogée, Faïza raconte son histoire : «Il y a quelques jours, mon mari m'a chassée de la maison sans rien. J'étais démunie de tout et je n'avais personne vers qui me tourner. Excédées par mes plaintes, ma mère et la police refusèrent de m'écouter et de me protéger de mon ivrogne de mari. Alors, désespérée, j'ai acheté un couteau que j'ai mis dans mon sac, et suis partie. Je me suis retrouvée à Annaba où j'ai erré pendant des heures. J'ai fait une halte près d'une plage où une femme m'a demandé ce que j'avais. J'ai éclaté en sanglots ». Mise au courant de sa situation, la dame décide de venir en aide à Faïza et lui présente une avocate de ses connaissances qui la prend sous son aile. « Elle m'a hébergé et a accepté de me représenter gracieusement dans le divorce que je m'apprêtais à demander». Deux ou trois jours plus tard, Faïza, qui a retrouvé un peu d'espoir, descend à Oran pour prendre une correspondance vers Maghnia où sa fille aînée doit lui louer une chambre d'hôtel. «J'étais à bout, j'avais faim et la chaleur était suffocante. J'étais enceinte de deux mois et j'étais à deux doigts d'avoir un malaise. Je suis rentré dans le jardin du Front de mer pour chercher un peu d'ombre », continue-t-elle dans sa déposition à la police. A l'intérieur du parc où, dit-elle, tous les bancs ombrés sont occupés par des hommes, elle s'avance vers une femme qui est assise sur un siège situé à l'ombre, et lui demande la permission de s'asseoir à côté d'elle. «Elle m'a toisée de la tête aux pieds et ma lancé des grossièretés... Je ne sais pas comment mais j'ai pris le couteau que j'avais dans mon sac et je l'ai frappé au dos... J'ai fais quelques pas de côté avant d'être arrêtée». Sonia, qui était en vacances chez son frère habitant à El Hassi, rendra l'âme quelques minutes plus tard, dans les locaux des UMC du CHU d'Oran où elle a été évacuée en urgence. Dans son rapport, le médecin légiste est catégorique : D. Sonia, 34 ans, est morte des suites de la blessure occasionnée par un couteau de boucher. R. Faïza, née à Nedroma en 1977, maintient ces déclarations pendant toutes les étapes de l'instruction : oui, elle a poignardé la victime, non, elle n'a jamais eu l'intention de la tuer et non, elle n'était pas en pleine possession moyens. Au terme de l'instruction, Faïza sera inculpée de meurtre selon les articles 254 et 263 du code pénal ; elle risque la réclusion à perpétuité. Lors du procès, qui s'est tenu ce dimanche au tribunal criminel près la cour d'Oran, les propos de Faïza ne varient pas. Après être revenue sur les circonstances qui l'on amenée son crime, elle jure qu'elle n'avait aucune intention de donner la mort. A la demande du juge (qui a regretté que le magistrat instructeur n'ait pas procédé à la reconstitution), l'accusée répètera le geste fatidique qu'elle a eu ce funeste matin. Les mains jointes autour d'un couteau imaginaire, elle mimera le coup fatal sur le dos de son avocat. « La victime était au téléphone, vous l'avez prise en traître et ne lui avez laissé aucune chance d'éviter le coup ou de se défendre », a constaté le juge. Pour l'avocat de la partie civile, l'accusée avait frappé avec l'intention de tuer et elle constitue un danger pour la société : « Elle avait un couteau dans son sac et elle a frappé en réponse à des insultes. C'est bien la preuve qu'elle est dangereuse pour la communauté ». Dans son réquisitoire, le représentant du ministère public basera également son réquisitoire sur la dangerosité d'une femme qui, dit-il, a déjà été condamnée à la prison pour avoir jeté de l'huile bouillante sur son mari, et qui n'a pas hésité à mettre un couteau dans son sac. Considérant que les éléments constituant le crime étaient établis par le dossier d'accusation, il requerra la peine maximale. L'avocat de la défense axera sa plaidoirie sur le vécu horrible de Faïza : elle a été élevée dans un environnement violent, par un père alcoolique qui battait sa femme et la chassait de la maison ; elle a été mariée à l'âge de 16 ans ; son mari lui faisait subir les mêmes tortures que son propre père faisait endurer à sa mère ; elle était responsable de cinq enfants et en attendait un sixième (qui naîtra en pison, Ndr)« Alors oui, nous ne nions pas qu'elle ait frappé la victime. Mais elle ne l'a pas fait avec l'intention de donner la mort et elle se trouvait dans une situation extrêmement difficile », dira l'avocat en priant la cour d'étudier sa demande de requalification de l'accusation en coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, suivant l'article 264, alinéa 4, du Code pénal : « Cette femme est punie depuis qu'elle est venue au monde », ajoutera-t-il en réclamant les circonstances atténuantes les plus larges. Après délibérations, la cour condamnera R. Faïza à 12 ans de réclusion criminelle et la privation des droits civiques pendant dix ans