Les agents qui bénéficient d'une "industrie" d'importation "constituent le principal groupe d'influence opposé à la production nationale". Dans les pays de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient, les importations sont une "malédiction" pour nombre d'économies, estime l'économiste en chef de la Banque mondiale pour la région MENA, Rabah Arezki. Selon lui, les économies tournées vers l'importation ont fait naître dans de nombreux Etats "un capitalisme de copinage" et des "monopoles privés" à l'issue de certains épisodes de libéralisation qui se sont traduits par le transfert des monopoles publics vers le privé. "En plus des tarifs (qui frappent les importations), d'autres restrictions peuvent intervenir, comme les quotas (qui limitent les volumes importés) et les contraintes aux transactions en devises (achat et vente). Dans les pays MENA, ces entraves ont eu pour conséquences néfastes de créer un lobby pro-importations qui fausse les incitations de marché, de conforter un secteur privé inefficace fonctionnant à coups de subventions et de renchérir le prix des biens échangeables", estime l'économiste en chef de la Banque mondiale pour la région MENA. Ce dernier constate que les agents qui bénéficient d'une "industrie" d'importation "constituent le principal groupe d'influence opposé à la production nationale". "Des licences d'importation exclusives garantissent à un entrepreneur ou à une agence nationale un monopole sur tel ou tel produit d'importation. Ce qui dissuade toute velléité de produire localement le même bien", lit-on dans un exposé de Rabah Arezki, consacré à l'analyse des effets néfastes de l'importation sur certaines économies de la région MENA. Deuxième constat : "Les subventions universelles accentuent le déséquilibre de la structure d'une économie dépendante aux importations. Les subventions aux importations de produits vivriers ou essentiels augmentent la demande pour ce type de biens. Elles accroissent par ailleurs artificiellement la demande des produits fournis par des importateurs exclusifs et font ainsi perdre pas mal d'argent au gouvernement, qui manque dès lors de moyens pour d'autres secteurs". "Les recettes tirées des exportations de pétrole ou l'aide étrangère ont financé des subventions universelles qui ont contribué à la constitution de monopoles d'importation", souligne l'économiste de la Banque mondiale. L'Algérie n'a pas été épargnée par les effets néfastes de l'importation énumérés par Rabah Arezki. Le modèle économique de l'Algérie repose essentiellement sur l'exportation des hydrocarbures et l'importation de 70% des besoins du pays en produits alimentaires, intrants et équipement. Ces tendances ont, au fil des années, créé des positions monopolistiques chez le privé, inhibé l'acte d'entreprendre et d'investir et entretenu une fausse demande aux produits de l'importation, subventionnés de surcroît par un Etat complice. L'économiste de la Banque mondiale fait bien de souligner que la dépendance à l'égard des importations entretient les déficits jumeaux (c'est-à-dire budgétaire et commercial). "Les importations de biens bénéficiant de subventions universelles sont largement gonflées. Le surplus est ensuite, soit introduit en contrebande dans des pays voisins, soit écoulé comme intrant dans une filière industrielle et, pour peu que le prix soit inférieur aux cours mondiaux, procure ainsi un avantage artificiel au bénéficiaire", explique Rabah Arezki. Au cours des vingt dernières années, les importations, dont la facture a nettement augmenté à l'ère où le baril de Brent caracolait à plus de 100 dollars, ont fortement contribué à la fragilisation de bien des filières industrielles. La production locale pâtissait de cette option en faveur de l'importation qui s'est traduite en quelques années par l'émergence de plusieurs monopoles à l'importation. Ces monopoles se sont révélés de puissants lobbies à tel point que les gouvernements, les institutions et l'administration économique ont été carrément mis à leur service. Ali Titouche