Ce mardi 2 avril 2019, Abdelaziz Bouteflika, dont on avait décrété qu'il était indéboulonnable, venait de démissionner sous la pression d'un soulèvement populaire historique. Les images ont vite fait de faire la Une des médias, autant nationaux qu'internationaux : l'homme, en robe de chambre, affalé dans un fauteuil, visiblement éprouvé par la maladie qu'il traînait depuis son AVC en 2013, lisant laborieusement sa lettre de démission au président du Conseil de la nation, Abdelkader Bensalah, et au président du Conseil constitutionnel, Tayeb Belaïz, qui l'entouraient et dont les mines semblaient défaites. Ce mardi 2 avril 2019, Abdelaziz Bouteflika, dont on avait décrété qu'il était indéboulonnable, venait de capituler, sous la pression d'un soulèvement populaire historique et inédit qui avait éclaté dans tout le pays un mois et demi plus tôt et celle de l'état-major de l'ANP, en jetant le tablier après vingt ans d'un règne sans partage. "Cette décision que je prends en mon âme et conscience est destinée à contribuer à l'apaisement des cœurs et des esprits de mes compatriotes pour leur permettre de projeter ensemble l'Algérie vers l'avenir meilleur auquel ils aspirent légitimement", affirmait Bouteflika dans cette lettre lue en début de soirée par la télévision algérienne. "Cette décision procède de mon souci d'éviter que les excès verbaux qui marquent malencontreusement l'actualité ne dégénèrent en dérapages potentiellement dangereux pour la protection des personnes et des biens qui relève des prérogatives essentielles de l'Etat", justifiait-il. Pourtant, jusqu'à ce moment fatidique pour celui dont l'ivresse du pouvoir est chevillée au corps et qui rêvait du prix Nobel de la paix, Bouteflika aura tout essayé pour s'accrocher et se ménager une sortie glorieuse, sinon honorable, pour lui et sa famille. Le 11 mars, alors que la mobilisation gagnait en ampleur réclamant son départ et celui du régime, à travers notamment des slogans comme "Pas de cinquième mandat Boutelika" ou encore "Le peuple ne veut ni de Bouteflika ni de Saïd", le président déchu annonçait l'annulation de l'élection présidentielle projetée pour le 18 avril suivant et l'organisation d'une conférence nationale chargée d'élaborer une nouvelle Constitution et de réformer le pays, une échéance au terme de laquelle il léguera le pouvoir à un président élu. Face à la pression populaire qui allait crescendo, il annonce quelques jours plus tard qu'il quitterait le pouvoir, à la fin de son mandat, le 28 avril, mais une fois qu'il aurait pris de "grandes décisions" pour assurer la continuité de l'Etat. Ces "décisions" ciblaient, à vrai dire, le défunt chef d'état-major de l'armée, Ahmed Gaïd Salah, que le clan Bouteflika, engagé dans des tractations secrètes avec l'ex-ministre de la Défense, aujourd'hui réfugié en Espagne, Khaled Nezzar, mais également avec l'ex-patron du renseignement, Mohamed Mediène dit Toufik, voulait limoger. Le mardi 2 avril en matinée, un conclave des hauts officiers de l'armée, regroupant les commandants de forces, les commandants des Régions militaires, le secrétaire général du ministère de la Défense nationale et les chefs des deux départements de l'état-major de l'ANP se tient au MDN sous la présidence d'Ahmed Gaïd Salah. "Nous estimons qu'il n'y a plus lieu de perdre davantage de temps et qu'il faut appliquer immédiatement la solution constitutionnelle proposée, à savoir la mise en application des articles 7, 8 et 102 et entamer le processus garantissant la gestion des affaires de l'Etat dans le cadre de la légitimité constitutionnelle", annonce un communiqué du MDN quelques heures plus tard. Fin d'un règne chaotique La fin du règne de Bouteflika venait d'être actée. Avec lui, sans doute, la fin d'un cycle historique. Dans un geste qui tient plus d'un baroud d'honneur, il demande le lendemain, dans une ultime lette, "pardon" aux Algériens. "Quittant mes responsabilités, il était de mon devoir de mettre fin à mon parcours présidentiel en m'adressant à vous par le biais de cette dernière lettre par laquelle je demande pardon à mes compatriotes envers lesquels j'ai été négligeant (…) je vous demande pardon en tant qu'être humain, qui n'est pas dépourvu de faire des erreurs, pour toute négligence que j'aurais pu commettre à votre encontre, que ce soit une parole ou un acte", écrivait-il. Mais le mal, alors qu'il avait l'opportunité, vingt ans durant, d'engager le pays sur la voix de la prospérité, de la démocratisation et du développement, était déjà fait. Non seulement, il a engagé le pays dans une grave crise politique, mais il l'a livré à la prédation. De l'avis de tous, il est le principal responsable de la déchéance morale du pays, de la propagation de la corruption, du délitement de la société, de sa dislocation, de la déstructuration du fonctionnement institutionnel et de l'étouffement des libertés. Et rien de plus emblématique de son bilan que l'état chaotique du système de santé qui affronte aujourd'hui, dans des conditions terribles, l'épidémie de coronavirus. Les autres secteurs ne sont pas mieux lotis. Une année après son départ, alors que des voix réclament son jugement pour sa responsabilité, le pays, exposé au spectre d'une grave crise économique, est toujours en quête d'une perspective de sortie du tunnel. Même si le pays a vu arriver un nouveau président, du reste contesté, dans des circonstances particulières, son "état de santé" demeure critique, notamment sur le plan politique. "Le général Gaïd Salah a emmené les contestataires sur son terrain, sans perdre son ultime objectif : faire élire un Président avant la fin de l'année 2019. Mission accomplie : la crise du pouvoir est réglée, reste la crise politique", écrit le politologue Naoufel Brahimi El-Mili, dans son livre Histoire secrète de la chute de Bouteflika, paru récemment en France. Et rien ne dit que le bout du tunnel est pour bientôt.