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"La harga touche l'ensemble des catégories sociales"
Salim Chena, politologue et auteur des "traversées migratoires dans l'Algérie contemporaine"
Publié dans Liberté le 24 - 09 - 2020

Le phénomène de l'émigration clandestine refait surface et a pris de l'ampleur ces derniers temps. Des corps de migrants ont été repêchés dans plusieurs régions côtières. Auteur des "Traversées migratoires dans l'Algérie contemporaine", un livre-enquête sur le phénomène migratoire en Algérie, Salim Chena explique dans cet entretien ce phénomène. Selon lui, "La question de la ‘mal vie' est centrale". Elle est l'une des raisons majeures qui poussent à partir.
Liberté : Les médias rapportent régulièrement l'arrivée de dizaines de migrants algériens en Europe. Comment expliquez-vous la reprise de ce phénomène en ce moment précis ?
Salim Chena : Il est vrai que la presse nationale et internationale a fait état, depuis ces deux derniers mois, d'importants départs et arrivées et de drames également de harraga vers l'Europe. Mais les départs ont aussi existé l'été dernier, en 2019, même s'ils ont été un peu moins nombreux. Il ne faut donc pas négliger l'aspect saisonnier de la harga, qui profite du temps clément pour limiter les risques.
D'autres chercheurs, tels que R. Farrah ou F. Souiah, établissent un lien plus direct entre le contexte politique et la volonté d'émigration irrégulière ; la harga est alors considérée comme une solution de sortie (exit) d'une situation jugée bloquée par les concernés. Selon cette hypothèse, elle exprimerait une forme d'insatisfaction.
Il y a aussi un contraste entre une absence temporaire de départs lors des tout premiers temps du Hirak et les départs actuels. Mais ils ont repris très rapidement. Plus généralement, sur le plan socioéconomique, les enjeux et problématiques qui existaient avant 2019 existent encore aujourd'hui ; cela explique aussi la persistance du phénomène.
Outre des jeunes, des familles avec des enfants empruntent les chemins de la harga. Qu'est-ce qui pousse, ainsi, des familles entières à prendre ce risque ?
Il est vrai que cela peut étonner, mais ce n'est pas nouveau. Lors de mes recherches à la fin des années 2000, des personnes emmenaient déjà leurs enfants, parfois très jeunes, avec elles. Il y avait aussi des personnes plus âgées, des retraités qui tentaient la harga. Quant aux femmes, on estime que, dans le monde, la moitié des migrants sont des migrantes.
C'est donc un phénomène qui touche l'ensemble des catégories sociales, bien qu'il soit dominé par des personnes jeunes, plutôt des hommes dans la force de l'âge, de plus en plus diplômés et qualifiés. Elle concerne aussi les catégories sociales marginalisées et en rupture scolaire.
Lorsque vous avez la responsabilité de faire vivre une famille, il est très difficile de la voir souffrir ; de même, si un individu n'arrive pas à envisager un avenir meilleur chez lui, il aura davantage propension à chercher à satisfaire ses attentes ailleurs, qu'il s'agisse d'attentes économiques, d'émancipation individuelle, de construction de soi... La question de la "mal vie", comme on dit en Algérie, est, d'après moi, centrale et ne concerne pas que les questions socioéconomiques.
Ce phénomène ne touche pas que l'Algérie. Comment expliquez-vous cela ?
L'émigration irrégulière, plutôt que clandestine, n'est pas réductible à une cause unique et, bien entendu, ne concerne pas que l'Algérie qui n'est, d'ailleurs, pas le pays le plus touché par la question. La migration irrégulière existe aux quatre coins du monde et agrège un certain nombre de facteurs doutes sur l'avenir, voire le rejet d'une situation donnée, qui alimente une espérance ailleurs. Lorsqu'une grave crise économique a touché la Grèce en 2008, de très nombreux jeunes s'étaient tournés vers l'émigration.
C'est le résultat d'un processus de construction et d'intériorisation d'un certain nombre d'éléments qui sont perçus comme des impasses. Ce ne sont pas que les "pauvres" qui émigrent ; d'ailleurs, les plus pauvres des pauvres n'émigrent pas, puisqu'ils n'en ont pas les moyens. Un facteur fondamental de l'émigration irrégulière, notamment celle du Sud vers le Nord, est l'existence, depuis plusieurs décennies maintenant, de politiques migratoires restrictives et d'une augmentation des coûts de la migration régulière.
Lorsqu'il y a peu de visas, que ceux-ci coûtent cher et sans garantie d'obtention, ni remboursement en cas de refus, cela ouvre la voie à des stratégies alternatives dont le but est de contourner ces limitations réglementaires et économiques. Ou alors, cela réoriente les migrations vers d'autres destinations. Mais qu'il s'agisse de l'Europe en général, de l'Amérique du Nord ou des pays du Golfe, il y a plus de facteurs de fermeture que d'ouverture depuis longtemps déjà.
Pour faire face à ce phénomène, les autorités ont adopté, jusque-là, une approche répressive. Cela suffit-il à dissuader les Algériens de tenter cette aventure risquée ? Existe-t-il des solutions pour faire face ou ne serait-ce que freiner ce phénomène ?
Vous avez raison de faire cette remarque, et j'ajouterais que cette approche n'est pas propre à l'Algérie, qui a été le dernier pays du Maghreb à l'adopter. L'option prohibitionniste, celle de l'interdiction, crée les conditions de possibilités de l'infraction. Elle fait prospérer des acteurs peu scrupuleux qui y trouvent un moyen de gains importants et faciles.
Ainsi se développe un marché parallèle de la mobilité dont les personnes désireuses de partir sont captives. Une autre solution adoptée a été celle de la morale en stigmatisant les migrants comme de mauvais patriotes ou de mauvais musulmans. On ne peut que constater que ces solutions sont insuffisantes, voire inefficaces, même s'il faut noter que peu de harraga sont en réalité emprisonnés à la première condamnation.
Marcel Mauss définissait la nation comme l'intégration morale et matérielle d'un groupe humain qui devient donc non segmenté : l'intégration morale désigne l'adhésion à un projet de vie, un projet de société partagé, qui permet de se projeter dans l'avenir ; l'aspect matériel renvoie à la question de la justice sociale, de l'égalité des chances dans l'ascension sociale, de l'accès équitable aux ressources de la vie (emploi, logement, crédit...).
Il y a donc aussi ces deux axes-là à prendre en compte. Car, le fait d'utiliser la peur de la mort, la crainte de l'arrestation ou la stigmatisation ne semblent pas suffire. Il n'y a pas de solution miracle, de remède définitif à aucune problématique. L'approche mérite d'être globale à la hauteur des enjeux humains.
Comment jugez-vous la réaction de pays d'accueil ?
Les pays d'accueil connaissent leurs propres difficultés socioéconomiques et politiques. Aussi, la migration est un sujet hautement politique, comme le disait Abdelmalek Sayad, en ce qu'elle questionne l'Etat comme garant des appartenances, des identités, des droits, de la souveraineté. C'est un sujet qui est également de plus en plus instrumentalisé politiquement dans les relations internationales : souvenons-nous que Kadhafi utilisait la contrainte pour faire monter des migrants sur des bateaux au moment de l'attaque de l'Otan ; des Etats utilisent les migrants comme arme de pression et de négociation avec d'autres Etats.
Kelly Greenhill parle d'armes de migration massive (weapons of mass migration). On ne doit pas oublier non plus le rejet croissant des immigrés extra-européens par les peuples du Vieux Continent, à cause des succès idéologiques et électoraux d'une extrême droite raciste, xénophobe et islamophobe. Cela met les gouvernements plus modérés en place en porte-à-faux avec leur électorat. En cela, ils sont à la fois victimes et acteurs de la paranoïa identitaire qui s'exprime un peu partout dans le monde.
On peut aussi regretter que la coopération entre pays de départ, de passage et de destination soit surtout concernée par les durcissements de la législation, la coopération sécuritaire, voire l'amalgame entre risque terroriste et migration. Une fois de plus, une approche apaisée de la question nécessite de ne pas la réduire à un enjeu autre que l'enjeu humain ; qu'y a-t-il de plus triste que la mort en mer de familles entières ? Que le fait de penser que l'on n'a pas un avenir satisfaisant dans son propre pays ?
Au-delà de cela, il faut rappeler que l'histoire de l'humanité est l'histoire des migrations et des mobilités depuis la nuit des temps. On ne peut donc que s'interroger sur les soubassements d'un monde néo-libéral dans lequel, biens, services et capitaux circulent librement et rapidement face à des individus qui sont refoulés aux frontières, qui attendent fébrilement des semaines un visa, et des mois, voire des années une relocalisation concernant les réfugiés.
Cela me semble être un contresens incompréhensible sur la ligne d'horizon du monde et la conception des sociétés et des êtres humains. Contrairement aux idées reçues, la différence et le contact entre les peuples sont des facteurs de progrès plus que de conflits, puisque si on ne se connaît pas, on ne peut que se craindre.

Entretien réalisé à Paris par : ALI BOUKHLEF


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