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Une monstruosité si "normale", un délire si commun
L'Autre Algérie
Publié dans Liberté le 19 - 08 - 2021


Par : Kamel daoud
Ecrivain
Une semaine après le terrible meurtre. Ce qui frappe chez certains des présumés coupables présentés aux caméras. Leur normalité. Des gens normaux. Monstrueusement. Des avocats, étudiant, tôlier, infirmière, etc. Des personnes du quotidien qui nous ressemblent qui, eux-mêmes, de l'aveu de l'un d'entre eux, ne savent même pas comment ils en sont arrivés à se transformer en monstres hurlants, ne comprennent pas leurs propres actes, gestes, sanglotent ou racontent froidement comme pour prouver que ce n'était pas eux, mais un autre en eux. Cette monstrueuse normalité se révèle comme la chose la plus terrible pour cette nation, le miroir de chacun d'entre eux, malgré la déformation, l'amplitude, le déni ou la fuite en avant dans le refus ou l'interprétation. Cette "normalité monstrueuse", on peut bien sur la rejeter et chercher à trouver des différences ou des explications. On peut par exemple, comme l'a fait indécemment un parti politique, un ancien ministre sous Bouteflika et quelques voix, expliquer que l'horrible assassinat est un complot, un scenario du "Régime", un plan pour criminaliser la Kabylie. Alors, on ira, comme ces complotistes sur internet, forcer les interprétations, lire des astres et des signes, expliquer le sens de doigts croisés vus chez les inculpés, soulever des questions oiseuses sur les teeshirts et le timing, et conclure sur la nécessité de lutter contre "le Régime" et le faire tomber pour atteindre la justice et la liberté, idéaux amoindris par tant de rancunes. C'est une façon de nier la "monstrueuse normalité" de ce crime, l'escamoter.
On peut aussi faire l'inverse : recourir à la théorie "raciale", l'appel au meurtre des Kabyles, le projet de purification du pays de ceux qui ne sont pas suffisamment arabes ou suffisamment musulmans. Cette monstruosité normale est alors expliquée par la démonstration de la traîtrise, la néo-colonisation, les généralisations à une région entière du pays et à ses millions d'habitants, la kabylité séparatiste, l'amazghité traîtresse à l'arabité. Cette fois, ce n'est pas le Régime, mais la Kabylité qui est criminelle pour ces négationnistes. C'est une recette, encore une, pour récuser cette normalité du monstre, en refuser le constat et la réalité en soi-même, répéter que "c'est l'Autre" parce que c'est la preuve que c'est pas soi-même le monstre ou sa possibilité. Ainsi un monstre se cache derrière un Monstre qu'il désigne aux yeux des témoins monstrueux. Ainsi, on se fabriquer une innocence, on se blanchit, on en devient plus nationaliste, plus Algérien que les Algériens, plus pure. On reproduit le même comportement des meutes, de monstres en groupes, de simplification cruelle et criminelle que chez les tueurs du jeune Djamel Bensmaïl. Mais cette fois, sous prétexte d'une autre identité, d'une autre extrémisme, d'une autre "religion" de haine, d'une autre peur transformée en prétexte.
On peut aussi refuser d'admettre la normalité du monstre en chacun en s'attardant sur des détails imaginaires, des délires organisés, multiplier cet humour si "urbain" du "Tniz" (moquerie méprisante) chez certains intellectuels urbains qui se lâchent sur les réseaux sociaux. On rit des maladresses de la propagande, on hurle au complot du Régime tout en accusant le Régime de ne pas être partout, on s'étale sur le "Régime" responsable dernier. Le "Régime" ? Oui, mais lequel ? Les agents de Sonelgaz qui triment pour rétablir l'électricité dans les zones du sinistre ? Les soldats de l'armée morts en luttant contre le feu ? Les agents de l'ADE qui creusent jour et nuit ? Les pompiers venus de partout ? Non, dit-on. Alors, où commence le Régime et où finit-il ? Qui décide de l'étiquette sur le torse de chaque Algérien ?
Mais on peut naturellement nier la normalité du monstre en recourant à la généralisation de l'explication par "les groupes terroristes nationaux". Séparatistes ou islamistes terroristes. C'est aussi vrai et c'est tout aussi faux. Car si les chefs de ces groupes du mal sont connus, les tueurs du jeune homme sont comme nous quelque part : monstrueux, désespérés, sensibles aux théories du complot, amateurs d'identités meurtrières, soumis à l'affect, expliquant le monde comme s'ils étaient des Ancêtres, des Dieux ou des prophètes, propriétaires de l'islam ou de l'amazighité, détestant la France, mais attendant ses canadairs, agressifs au volant, polis en piétons, amateurs du fatalisme, colériques et démissionnaires, etc. Un peu nous, oui. Avant de passer à l'acte. Un peu chacun. Et cela explique pour une grande partie pourquoi on accuse, on appelle au meurtre, à la vengeance, à l'exclusion, à tuer l'Arabe et à assassiner le Kabyle. Il s'agit, face à ces images qui sont nos miroirs déformés, d'effacer la trace du monstre en nous en répétant que c'est "la chose de l'Autre", le propre de l'autre et sa saleté.
Nous ? Oui. On se fabrique ainsi. Il ne nous manque que le feu, le couteau ou l'occasion souvent ou la conjoncture des astres mauvais. En partie victime des réseaux sociaux, du déclin de l'Etat, de l'Ecole sinistrée, des cultures de la pureté là où personne ne s'offusque de la saleté, de la culture de la déresponsabilisation radicale de soi et la responsabilisation absolue du Régime. Car quand on accepte de laisser faire les théories de la suprématie, les prétextes de l'identité et la culture du victimaire en Kabylie, on réinvente la solitude, on perpétue la douleur et on fabrique des criminels qui prétextent la défense ou la vengeance. Qui d'entre nous oserait dénoncer qu'on brûle en Kabylie des urnes et des centres de vote ? Personne, car le prétexte de la lutte pour la démocratie sert à l'immunité de la violence. Aujourd'hui, on paye ce silence (le mien aussi), cette peur de dénoncer, la complicité dans l'exception, la crainte devant les procureurs intellectuels. Mais aussi lorsqu'on laisse faire les racismes sur les réseaux, que l'immunité est érigée comme réponse à l'autre radicalité, que l'arabité devient un tribunal d'appartenance et l'islam une religion de bourreaux, on fabrique le monstre de l'unanimité, celui de la radicalité, et un jour celui de la pureté et de la purification.
C'est cette monstrueuse normalité du monstre qui doit nos alerter et nous faire craindre le pire pour demain. Les mêmes qui ont tué ce jeune homme auront leurs pairs qui vont tuer un Kabyle pour se venger. Et ainsi de suite. Jusqu'à atteindre le but ultime : devenir des cendres et épouser des vents. L'auteur l'avait écrit il y a une semaine : la Kabylie et les incendies qui ont touché la Kabylie et d'autres wilayas révèlent en nous le sublime et le monstrueux. C'était une journée avant le meurtre et le lynchage de Djamel Bensmaïl.
Aujourd'hui, ce meurtre risque d'effacer ses traces en nous, la possibilité monstrueuse en chacun à cause d'une culture de la colère et de la haine, perpétuer la déresponsabilisation individuelle sous le prétexte de la responsabilité de l'Autre, du Régime, de nous aveugler sur l'énorme solidarité qui raviva la racine de ce pays et sa grandeur face à la tragédie, les camions d'aides, les bénévolats admirables. Cette formidable solidarité qui allait couper l'herbe sous le pied des séparatistes en Kabylie et des "racistes" contre la Kabylie. Cet élan qui allait faire oublier le monstre au profit de l'ange et qui trébucha, mais sans tomber.Le tragédie et son revers d'honneur. Le meurtre qui prouve que le monstre existe, mais aussi qui permet d'entrevoir l'abime et ce qu'on perdrait tous à l'imiter, le perpétuer, le suivre et le reproduire. Un pays devient si facilement, si rapidement SDF. Le revers d'une terre est l'errance et la mendicité internationale. Et alors, on aura tous gagné en perdant tout. Cette semaine révéla en nous le noble et le triste.
Elle offrit à voir (insoutenables images) le lynchage, mais aussi à entendre les paroles incroyables du père de la victime. Les deux minutes à imaginer les derniers instants du jeune Djamel Bensmaïl dans ce fourgon, à l'instant où il tanguait sous l'effort des monstres qui tentaient d'y accéder ; et le visage ferme, doux, muet du père qui est venu sur le lieu de la mort et de la calcination pardonner, raviver le vivant, recoudre une terre. On aura vécu les appels à tuer "le Kabyle", lancés à visage découvert sur Tiktok et les appels à la raison, à déconstruire les discours de haine et l'instigation à la grandeur, à visage découvert aussi, sur les Réseaux sociaux.
Voilà. C'est la direction de l'avenir : penser cette normalité des monstres qui est la nôtre, pour chacun, sous mille visages, embusquée dans les gestes de notre quotidienneté, la rejeter sur l'autre, tuer et assassiner, brûler et se venger. Ou admettre que cette monstruosité est le choix de chacun, sans y mêler ses théories, ses règlements de comptes politiques, ses faiblesses, ses lâchetés ou ses ruses, ses projets de conquête de Pouvoirs ou ses projets pour le garder comme un manteau éternel.
Car ce meurtre nous révèle et nous confond. Car à trop vouloir se faire victime, on se fait un jour bourreau. Et à trop vouloir nier la réalité, on tue la lucidité qui, un jour, tuera l'un de nos enfants, de la plus atroce des manières. La même. Paix à l'âme de Djamel Bensmaïl. Cette paix de l'âme qui nous manque tant désormais.


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