L'élite culturelle malienne tente de résister en continuant à créer tout en s'employant à mobiliser l'opinion nationale et internationale sur la menace qui pèse sur la culture au Mali du fait de la crise politique et sécuritaire que traverse ce pays depuis plus d'une année, témoigne l'écrivain malien Lassana Igo Diara dans un entretien téléphonique à l'APS depuis Bamako. Dès les premières semaines de l'invasion du nord du Mali par les groupes terroristes en 2012, des acteurs de la scène culturelle du Mali ont organisé des actions pour sauver le riche patrimoine malien que renferme cette région, affirme Igo Diara. «Sauvons les manuscrits de Tombouctou», une campagne lancée en mai 2012 appuyée par la projection d'un film montrant le grave préjudice causé par les terroristes à l'édifice El-Farouk, la plus grande concentration de monuments dans la Cité des 333 saints, a été la première de ces actions, dit-il. Ce membre actif de la scène culturelle malienne évoque aussi la publication, le même mois, du «Manifeste pour la défense des patrimoines des zones occupées (par les terroristes islamistes)» pour prendre à témoin la communauté internationale devant la destruction du patrimoine millénaire malien. Celui-ci est composé de mausolées, de stèles, du bâti local et de manuscrits, de «Kurukangufa» (une Constitution élaborée en 1236 et considérée parmi les plus anciennes au monde). Face à ce qu'il qualifie de «criminel», Igo Diara estime que le plus important est de «résister à travers des actions sur le terrain», donnant en exemple l'organisation, durant tout le mois de février en cours, à Bamako, d'un atelier de formation sur les manuscrits. L'initiative lancée au lendemain de la destruction des premiers mausolées, poursuit-il, tend à sensibiliser les citoyens sur la valeur historique et mémorielle des manuscrits, dont une partie date du XIIIe siècle et même de la période pré-islamique, et la nécessité de les protéger. Quelques semaines plus tôt, c'est une exposition collective d'artistes intitulée «Sacrifices ultimes» qui était montée dans la capitale malienne pour adresser un «message fort à la nation malienne et au monde entier en ces heures graves que traverse le pays», indique la note de présentation de l'exposition. Par ailleurs, selon l'écrivain malien, il a été décidé d'ériger une stèle à Bamako comme «action symbolique contre ces actes de vandalisme» et de maintenir la tenue à Ségou, une vieille cité impériale à mi-chemin entre Bamako et Mopti au nord, du 9e Festival du Niger, prévu en mars prochain. «Nous maintiendrons ce festival comme une forme de résistance aussi mais nous exclurons l'aspect festif en respect pour les morts de cette guerre», a déclaré Diara qui rappelle l'initiative de la chanteuse malienne Fatoumata Diawara, qui a réussi à fédérer de grandes voix du Mali comme Oumou Sangaré, Amadou et Mariam et Cheikh Tidiane, Seck autour de la chanson «Mali-ko», un hymne à l'unité du Mali. Le chanteur malien Salif Keita, ambassadeur culturel de son pays, se produira, de son côté, vendredi prochain à l'Olympia (Paris). Réagissant à l'engagement de l'Unesco de reconstruire ce qui a été détruit à Tombouctou, Diara s'en félicite et espère qu'au delà de cette action, il s'agira de lancer une «réflexion sur la manière de protéger à l'avenir cette richesse historique de sorte à ce qu'elle devienne une zone intouchable». Interrogé sur une éventuelle collaboration avec des artistes et intellectuels algériens, Diara rappelle ses visites en Algérie où il a participé au Salon du livre et à des colloques, autant d'occasions qui, dit-il, lui ont permis d'établir des contacts réguliers avec des acteurs de la scène culturelle et des médias algériens. «Cela m'a valu le qualificatif de Monsieur Algérie», ironise-t-il, en souhaitant que cet échange soit «dans les deux sens» à travers la participation d'Algériens à des manifestations culturelles au Mali. Invité à fournir une estimation, même approximative, des dégâts occasionnés aux vestiges de Tombouctou, lgo Diara soutient que ces questions sont, dit-il, «souvent frappées du sceau de la confidentialité en raison de l'importance qu'elles revêtent pour les autorités maliennes». Au moment où l'Unesco estimait importantes les destructions du patrimoine, les autorités maliennes affirmaient que seule une infime partie avait été saccagée par les terroristes et que le reste avait été déplacé, à temps, vers des lieux sûrs. A la question de savoir comment a été accueillie l'intervention française au Nord Mali par l'élite de son pays, Lassana Igo Diarra affirme que «l'adhésion est quasi unanime, y compris chez le reste de la population qui ne demande qu'à en finir avec le spectre du terrorisme et de l'intolérance». Tombées sous le contrôle de groupes terroristes au printemps 2012, les principales villes du nord du Mali, Gao, Tombouctou et Kidal, ont été libérées après une offensive de l'armée malienne et des forces françaises combinées lancée le 11 janvier dernier. «Cela étant, avertit l'écrivain, il faut éviter de tomber dans les amalgames entre musulmans et islamistes», affirmant avec force que la nation malienne, de tout temps «diversifiée», «demeurera indivisible», même si le Mali traverse en ce moment une période déterminante de son histoire. En dépit de la conjoncture difficile que traverse le Mali, Lassana Igo Diara veut croire en un «avenir où le Mali reprendra sa place et où tous les Maliens s'occuperont plutôt à mener la guerre au sous-développement». Fondateur des éditions Balani's, Lassana Igo Diara est également promoteur de l'université d'été de Bamako et directeur de la Médina Galerie Médiathèque, un espace pour l'expression pluridisciplinaire dédié à la promotion des arts et de la culture africains.