Les voies du Seigneur sont impénétrables. Souvent on ne peut démystifier un acte tant celui-ci est la résultante d'un mal profond et d'une omerta aux relents de haines destructrices, mais autant qu'il aura à affronter le bien, la finalité est connue. Patience. Depuis des siècles et à travers l'aïeul Mohand El Mouhoub, pionnier des révolutionnaires pour avoir pris part en 1831 avec la confrérie Er-Rahmania à un front pour repousser l'invasion françaises à Alger. Le cheikh vouait sa vie à la propagation de l'islam, l'enseignement du Coran et de la langue arabe mais il éclairait aussi ses disciples et citoyens dans les domaines des sciences de l'agriculture et le bien-être dans leur quotidien. Ses descendants, fidèles à sa voie et à sa foi patriotique, ont pris le relais dans la fonction originelle mais aussi dans la révolution à travers la guérilla de Boubaghla en 1852, prémices d'actes révolutionnaires relayés par El Mokrani, Benhaddad... qui attisera la guerre sacrée de 1954, et aboutira à l'indépendance dont nous fêtons le cinquantenaire. C'est de cette volonté irréfragable, cette foi inébranlable et de cette voie aux sillons sûrs que naîtront des fidèles au sein de la Tarîqa (confrérie). Des sanctuaires seront édifiés et constitueront des menaces de première importance pour l'ennemi qui s'en rendra compte du reste pour en avoir détruit quelques-uns. Des sanctuaires à l'image de Maqam Sidi Ali, des citadelles de rayonnement de la science et des relais pour combattants. C'est à ce titre que ce dernier sera bombardé et détruit lors de la guerre de 1954 pour avoir été un des fiefs des moudjahidine. Il sera reconstruit et réhabilité en 1968 par les siens qui jouissaient (acte à l'appui) des biens et reprendra depuis sa fonction de sanctuaire ouvert aux visites à l'apprentissage du Coran mais perdra sa qualité de mosquée. «On peut y prier individuellement, psalmodier le Coran. Ledit sanctuaire est la propriété des consorts Ladjouzi», lit-on dans un procès-verbal officiel du 17 mai 1968. Un document d'arbitrage suite à une action entreprise à l'époque par les villageois de Taourirt Ouaabla en vue d'une affectation aux biens des Habous (domaines religieux) loin d'être conclue et en dépit de ce déboutement, ce sera le début d'un long conflit et de déboires aussi bien pour le sanctuaire Sidi Ali, le cimetière le jouxtant et tous les marabouts du village qui subissent le pire. Fermeture forcée du cimetière et refus d'enterrement des marabouts selon leur gré et leurs dernières volontés, l'endroit sera réservé à la débauche pour désœuvrés de tout acabit. C'est depuis 2011 que le sanctuaire terni connaîtra les premières agressions. Une tombe sera calcinée (celle de Mohand Amokrane B/Abdelaziz). Des harcèlements s'en- suivront et nombreuses dépouilles furent transférées suite à cette vendetta, qui n'auront pour sépulture qu'une fosse commune, nous assure-t-on. Furieux, les Ladjouzi décident d'arrêter ces agressions et mettront le cimetière sous clôture pour préserver les autres tombes. La situation ne s'améliorera pas pour autant et des voix se sont élevées pour poursuivre les profanations pour vider le sanctuaire de ses missions et le darih (caveau) et le cimetière de tous les morts. Une barbarie cautionnée. Face à l'impuissance des uns et l'indifférence des autres, le mal s'accomplissait au vu et au su de tous. Au mois de décembre 2012, une pierre d'achoppement, selon le porte-parole des Laduouzi, une réunion devait se tenir par les villageois pour discuter du développement local mais, dira-t-il, c'est le mausolée et le cimetière qui étaient visés. Si le dessein avoué, accuse-t-il, était de construire une école, l'inavoué était l'expropriation par la destruction et le saccage. Acte qu'aucune logique, ni morale, ne pouvait tolérer. Une fetwa (avis religieux) émanant du HCI, appuyée par le cheikh Abou Abdessalem, rejette en bloc. «L'usage de ce terrain occupé ne peut être dévié de sa vocation originelle, encore moins exproprié ses propriétaires sans leur consentement». Malgré cette fetwa en janvier 2013, et dans l'illégalité, des travaux ont été lancés ce à quoi Ladouzi et consorts ont dû appeler à leur cessation par voie de référé judiciaire. Le 26 mars, une première tentative de saccager le sanctuaire par quelques jeunes qui se sont par la suite rétractés. Le 27 l'inévitable arriva de nuit et à l'aube la destruction est totale. Un acte heureusement dénoncé par de nombreux villageois attristés de voir ce maqam en roche éparpillée. Un acte glorifié par les «victorieux». Non remis des conséquences de l'acte barbare, les marabouts du village sont mis en quarantaine et n'auront que les yeux pour pleurer et la saisine de la justice pour les éventuelles réparations des préjudices moraux et matériels. Quel vent de folie a donc soufflé sur Ighil Ali, une haute citadelle de grands révolutionnaires qui a enfanté Jean El Mouhoub Amrouche ? Y a-t-il raison à un acte aussi criminel et quelle feinte maladroite que de venir à bout de ce mausolée et cet endroit de repos éternel au motif fallacieux d'une construction d'école. Pourquoi ce terrain qui, certes, est la propriété privée des Ladjouzi et consorts, mais appartient aussi à la mémoire collective? Ce n'est pas seulement un lieu de culte, une école coranique que l'on a détruit, mais tout un panthéon. On s'en est pris à la morale, à l'histoire. N'est-ce pas là un pêché capital. Le coup est rude pour les Laduouzi qui, en dépit des faux-fuyants des uns et des échappatoires des autres, comptent aller au bout des procédures. Reconstruire le mausolée mais aussi traquer et faire asseoir les criminels sur les bancs de la loi. En attendant les dénouements, il règne à Taourirt Ouaabla une ambiance à l'odeur de soufre pour de nombreux marabouts désignés persona non grata et dérangés dans leur repos éternel. «Qui crache au ciel lui revient au visage», dit l'adage, et le mal n'est ni invincible encore moins éternel, dirions-nous.