En publiant son premier recueil de poésie intitulé «Sur les chemins de la mémoire », Aziz Tiberguent a franchi le pas qui le séparait du grand public. Longtemps, ses poèmes n'étaient lus et appréciés que par un cercle, certes assez large, d'amis ; l'espace de son lectorat est maintenant accessible à tous. Dans le même élan, Aziz Tiberguent s'engage dans la réalisation de projets d'écriture qui n'attendaient que le signal du starter, comme quand il se lançait dans la course pour une compétition de cross, alors qu'il était lycéen, emporté par l'euphorie créée par l'indépendance nationale que nos aînés venaient tout juste d'arracher au colonialisme français, au terme de 132 ans d'une résistance ininterrompue, alimentée par les sacrifices de générations successives. Aziz Tiberguent a parlé de ses prochaines œuvres à la journaliste Nacima Chabani dans un entretien publié récemment dans El Watan : « Plusieurs projets d'écriture sont finalisés ou en cours de finalisation : deux recueils de poésie, une fresque poétique qui traverse des étapes historiques (en langue française, traduite en arabe algérien et en tamazigh) et également un roman ». Il nous fait savoir que « plus de 200 poèmes ont été écrits par mes soins dans différents registres avec des visions différentes, par la suite, je les ai classés et regroupés en thèmes pour leur donner une cohérence, exemple : Mes mots et mes maux, Mes mots, histoire et mémoire ». « Les autres thèmes seront publiés plus tard », annonce-t-il. Pour l'heure, Aziz Tiberguent commence par ce recueil de poésie « Mes mots et mes maux, Mes mots, histoire et mémoire », publié à compte d'auteur, qui a reçu, comme premiers échos, les éloges des lecteurs, y compris parmi les profanes. Il faut préciser que la conception du recueil est réussie, de l'avis de connaisseurs : une belle couverture, une mise en page soignée, aérée, qui facilite la lecture sans altérer le contenu, choix judicieux dans la typographie, et « cerise sur le gâteau » une illustration faite d'œuvres d'artistes peintres qui agrémentent la « magie des mots » par la « magie des formes et des couleurs». Dès son livre « bouclé », sans attendre, Aziz Tiberguent s'est mis à parcourir l'Algérie à la rencontre de son public. Il passe d'un endroit à l'autre, d'Alger à Blida, puis Oran, les Ouacif, Biskra, Constantine, Annaba, Tlemcen,... pour dédicacer son livre, dialoguer avec les lecteurs et expliquer sa démarche poétique. On apprend que sa vocation s'est révélée avec l'indépendance du pays, repère fondamental. « La poésie m'a toujours habité, elle ne m'a jamais quitté depuis mon adolescence face à la souffrance humaine. A l'indépendance, à l'âge de 15 ans, j'ai vécu une charge émotionnelle intense à la vue d'une femme seule, meurtrie, parlant à elle-même, pleurant à la folie, ayant perdu sa famille pendant la guerre d'indépendance. Cette scène m'a terriblement bouleversé, la joie et l'ivresse de la libération contrastaient terriblement face aux souffrances humaines, séquelles des années de terreur et du sang versé pour libérer le pays. Mon premier poème, je l'ai écrit à cette occasion. C'était pour moi un cri de douleur, une colère indicible, aussi un appel à la révolte contre l'inhumain, contre la violence, contre la guerre, contre l'injustice et le pouvoir des puissants… La poésie m'a permis de mettre des mots sur des maux ». Pour celles et ceux que l'on appellera plus tard « enfants de Novembre » et qui, au moment de l'accession du pays à l'indépendance, étaient adolescents, le contexte, en juillet 1962, poussait à la prise de conscience et à la réflexion sur ce que chacun devait faire pour reconstruire l'Algérie libre après les sept années de guerre de libération nationale imposée à leurs aînés par l'armée d'occupation française. Dans sa contribution à l'histoire de l'UNEA (Union nationale des étudiants algériens), dont il a été militant (« L'UNEA racontée par des militants », Editions Qatifa), Aziz Tiberguent décrit de façon admirable ce moment : «Comme tous les jeunes de mon époque, l'indépendance acquise, l'euphorie des premiers jours passée, mon rêve était de participer à l'édification d'une Algérie belle, généreuse, solidaire, sociale et moderne. (...) L'énergie, l'enthousiasme, le courage, ne nous manquaient pas après avoir connu, comme enfants pendant ces longues années de guerre de libération, toutes les privations, les humiliations, les peurs, les rafles des adultes, l'emprisonnement de nos parents et proches, les perquisitions et interventions musclées, nocturnes dans les domiciles de nos familles, le retour des prisonniers affaiblis par les tortures, la disparition d'autres». Au lendemain de l'indépendance, faut-il le rappeler, c'était l'époque des «immenses rassemblements de foules», lorsque «dans des journées nationales de l'arbre, des foules innombrables de volontaires, hommes, femmes, enfants, partent à l'assaut des campagnes dénudées pour les reboiser» (Boualem Khalfa/ Henri Alleg/ Abdelhamid Benzine, La grande aventure d'Alger républicain, Ed. Messidor, Paris, 1987). « Par centaines de milliers, les Algériennes et les Algériens sont dans la rue, répondant sur un signe à tous les appels à manifester. Pour le 1er Mai, pour l'anniversaire du 1er Novembre 1954, devenu fête nationale, pour celui de la proclamation de l'indépendance, le 5 juillet, et de multiples autres occasions...», témoignent Boualem Khalfa, Henri Alleg et Abdelhamid Benzine, journalistes, moudjahidine et qui sont restés, jusqu'à la fin de leur vie, fidèles à leur idéal communiste. Reboisement et alphabétisation dominent les campagnes nationales auxquelles contribuent les lycéens, comme Aziz Tiberguent. Dans la foulée, le sport algérien occupe tous ses terrains. En mars 1963, lui-même participe au premier championnat national de cross-country (avec le regretté M'hamed Chenenou et bien d'autres,...), sous la direction du défunt Mohamed Mechkal, champion de cross-country. Soit dit en passant, il faudra bien, un jour, rendre un hommage mérité à Mohamed Mechkal pour sa précieuse contribution, parmi les bâtisseurs du sport national, à l'essor de l'athlétisme dès les premières années de l'Algérie indépendante. En mai de la même année, 1963, Aziz Tiberguent a la surprise de lire dans le quotidien Alger républicain, en bonne place, page 4, des « Notes de voyage d'Alger à Béchar » (appelé encore Colomb Bechar). C'était le reportage qu'il avait remis au journal. Il était annoncé à la Une : «Un long voyage fatiguant mais combien exaltant raconté par deux jeunes lycéens Said Saib (16 ans) et Abdelaziz Tiberguent (16 ans) ». Tout en participant aux épreuves d'athlétisme organisées par Mohamed Mechkal et aux matches de football avec l'équipe de son lycée, Emir Abdelkader, il signera dans la rubrique sportive d'Alger républicain, les comptes rendus de compétitions qui mettaient aux prises, chaque jeudi, les équipes des lycées et collèges dans diverses disciplines, dans le cadre des championnats scolaires. Pour mieux connaître le poète, il faut savoir qu'il a été « militant dès l'âge de 17 ans d'abord au sein de l'UNLCA (Union nationale des lycéens et collégiens algériens) en tant que lycéen et ensuite au sein de l'UNEA en tant qu'étudiant». Etudiant en médecine à l'Université d'Alger, actif dans les luttes pour les « revendications matérielles et morales » et pour les libertés syndicales et démocratiques, il n'a pu éviter la répression qui a « jalonné » le parcours des militants de l'UNEA. En 1971, il est exclu de l'Université, contraint à interrompre ses études et incorporé au Service national par appel anticipé. Cela ne l'empêchera pas d'être médecin, parce que cela correspond à ses convictions, explique-t-il, dans sa notice autobiographique : c'est un « métier social et humain par excellence en prise avec la vie des gens, la vie réelle des gens humbles et modestes ». Il passe vite sur sa carrière professionnelle au service de la santé publique : « Bien entendu, j'ai participé à la lutte contre la tuberculose, à l'hygiène scolaire et la protection de l'enfance, à la santé au travail, aux urgences dans les hôpitaux publics mais également sur le terrain, dans l'entreprise du secteur industriel de Rouiba, sur les lieux mêmes des tremblements de terre, à Chlef et au mont Chenoua...Par la suite, je me suis plus attaché aux soins curatifs et préventifs des travailleurs dans les zones et agglomérations industrielles à forte population ouvrière ». Aujourd'hui, Aziz Tiberguent s'est installé dans le champ de l'écriture, « après 52 ans de vie professionnelle riche et variée en ayant exercé divers métiers avant d'être médecin (plongeur, agent des transport public, ouvrier en mobilier métallique, enseignant de collège, secrétariat et statistique médicale, médecin, praticien hospitalo-universitaire et chercheur, médecin-ergonome, médecin-chef d'un service public territorial) ». Une vie professionnelle confondue avec sa vie militante orientée vers un cap fixé, dès le début, dans les années 1963, 1964,..., par les débats passionnés dans le café mythique « Le Faisan d'or », à Bab El Oued ; discussions qui étaient très souvent animées par le regretté Kheireddine Ameyar. « A cette époque, nous étions un petit groupe, nous les enfants de Bab-El-Oued, une dizaine, tous étudiants au même lycée, partageons des idées révolutionnaires, pour la plupart, sympathisants du PCA (Parti communiste algérien) et imprégnés du socialisme scientifique. Et lecteurs assidus et sympathisants d'Alger républicain », se souvient Aziz Tiberguent. « On refaisait le monde à notre façon », ajoute-t-il. Pas étonnant, alors, que ses références en poésie se nomment Mahmoud Darwich, Nazim Hikmet, Louis Aragon, Paul Eluard, Bachir Hadj Ali, Vladimir Maiakovski, Federico Garcia Lorca... Sur les chemins de la mémoire. C'est le devoir que s'est assigné Aziz Tiberguent. Bonne route !