L'importance des archives filmées est maintenant perçue plus nettement à travers la place qu'elles occupent dans les émissions diffusées depuis quelques mois par la Télévision algérienne consacrées aux faits liés à la longue résistance anti-coloniale et à la Guerre de libération nationale qui a arraché l'indépendance nationale. Pour la période, d'avant l'indépendance, les réalisateurs de documentaires et d'émissions historiques se heurtaient à la difficulté d'accès aux archives filmées qui ont été massivement transférées vers la France à partir de 1961 par les autorités coloniales. L'aubaine, pour eux, a été l'Accord signé au début du mois de décembre 2007, entre l'Institut français de l'audiovisuel (INA) et l'Entreprise de télévision publique algérienne (EPTV), qui «prévoit la mise à disposition d'une copie de l'ensemble des images d'actualité conservées par l'INA» entre 1940 et 1962, Et quand il s'agit de travailler sur les faits qui ont marqué les premières décennies de l'Algérie indépendante, ont-ils autant de chances ? Dans quel état se trouvent, aujourd'hui, les archives des actualités filmées algériennes produites après l'indépendance ? Tout dépend des moyens qui ont été engagés pour leur conservation et leur restauration. Au départ, était l'OAA Les premières images d'actualités sur support film ont été produites par une équipe dirigée par Mustapha Badie et constituée autour d'un noyau comprenant, notamment, Pierre Clément, un Français qui avait participé avec un de ses compatriotes, le célèbre René Vauthier, à la création du cinéma algérien dans le feu de la Guerre de libération nationale. Les choses furent rapidement officialisées en janvier 1963 par le Décret instituant l'Office des actualités algériennes (OAA), premier établissement national du genre, qui a eu pour mission de réaliser des journaux d'actualités filmés destinés à être diffusés dans les salles de cinéma. Durant son existence, l'OAA a produit quelques centaines de documentaires d'actualité ou publicitaires. Généralement sur support film 35 mm, ces documentaires sont d'une durée de dix à vingt minutes, en noir et blanc, ou en couleurs, avec des versions arabe et française. Le développement de la pellicule et même le montage des documentaires étaient effectués à l'étranger, principalement en France et en Italie. A l'époque, les actualités couvertes par l'OAA concernaient surtout les visites présidentielles dans différentes régions du pays et à l'extérieur, ainsi que des visites en Algérie de personnalités étrangères. D'une façon générale, les sujets traités étaient liés aux activités officielles, aux dates commémoratives et à divers thèmes relevant de la «propagande» conformément à la vocation historique des actualités filmées. Les premières actualités cinématographiques de l'OAA, dirigé alors par Mustapha Badie, ont été présentées, à la salle Ibn Khaldoun, le samedi 9 mars 1963, en présence du Président Ahmed Ben Bella et de plusieurs ministres. Les séquences projetées concernaient entre autres, un voyage de Ben Bella en Kabylie et le match Algérie-Tchécoslovaquie ainsi que des images d'activités économiques. Le commentaire était dit par Ahmed Hocine. Le 4 juillet 1963, des copies des actualités algériennes projetées dans un cinéma à Paris ont été saisies par la police française, pour une raison non mentionnée par Alger républicain qui avait donné l'information. Parmi les cinq meilleures au monde En mars 1965, lors de l'opération reconstruction de la Bibliothèque universitaire (incendiée dans l'explosion d'une bombe posée par l'OAS le 7 juin 1962), les images des dégâts filmées par l'OAA sont passées dans les salles de cinéma. Les actualités algériennes étaient alors classées parmi les cinq meilleures au monde, selon Jacques Choukroun, journaliste à la rubrique cinéma d'Alger républicain, qui se référait au témoignage de Mohamed Lakhdar Hamina, devenu directeur de l'OAA. Dans son article, le journaliste précisait que les actualités algériennes avaient une grande valeur au plan information et au plan cinématographique, cinq opérateurs dont Lakhdar Hamina travaillaient à l'OAA. Quand les films étaient terminés, ils étaient envoyés à Paris (à cause de l'inexistence de laboratoires à Alger) où le montage et la sonorisation étaient effectués par une équipe de techniciens algériens travaillant en liaison étroite avec la direction à Alger. L'OAA avait réalisé (à cette date) 125 numéros et 27 courts métrages dont plusieurs ont été primés à l'étranger (Alger républicain 12 juin 1965). Le cinéaste Nasredine Guenifi cite des courts-métrages sur l'autogestion, le reboisement, le volontariat étudiant et le volontariat des cheminots pour réparer les tracteurs sabotés par les colons, la médecine dans les campagnes, la reconstruction des villages bombardés, le déminage aux frontières... (El Watan 10 septembre 2022). Au passage, notons que l'OAA a produit dans le même temps, quatre longs métrages dont trois de Mohamed Lakhdar Hamina (Le vent des Aurès, en 1966, Hassan Terro, en 1968, et Décembre en 1972) et un film réalisé par Mustapha Kateb (El Ghoula, en 1972). La lacune de l'OAA était l'omission de l'archivage parmi les missions que l'Etat lui a confiées. Sans doute, voulait-on laisser cette charge à la Cinémathèque algérienne, créée en juin 1964 dans le cadre du Centre national du cinéma (CNC, que dirigea Ahmed Hocine) remplacé ensuite par le Centre algérien de la cinématographie (CAC). En principe, la Cinémathèque « assure à titre artistique, pédagogique, historique et culturel, la recherche, la conservation et la diffusion de tous films et documents d'intérêt cinématographique ». Cela inclut les archives filmées qui ont une dimension cinématographique du fait des moyens techniques mis en œuvre et de l'usage de leurs images par les cinéastes. Mission archivage omise En janvier 1974, l'OAA fut dissous et ses « biens, droits et obligations » dévolus à l'Office national pour le commerce et l'industrie cinématographique (ONCIC) de création ancienne (mars 1967, en même temps que le CAC) et dont les statuts ont été modifiés pour l'occasion, en février 1974, afin de lui permettre de remplir la mission de « production et distribution à titre exclusif de magazines et documentaires d'information ». L'ONCIC a ainsi vu adjoindre à son organisation interne, une division de la presse filmée et des magazines, DPFM, comme on l'appelait à l'époque par abréviation. Il est intéressant de noter que, dans ce cas aussi, les statuts de l'ONCIC, autant dans sa version initiale de 1967 que celle corrigée de 1974, ne comprenait pas la mission d'archivage des documents-films. La DPFM a continué l'activité de l'OAA et a produit quelques dizaines, peut-être même deux ou trois cents documentaires filmés, publicitaires ou d'informations. Leurs caractéristiques sont pratiquement identiques aux produits OAA : d'une durée autour de vingt minutes, le plus souvent en couleurs, en versions arabe et française, quelques fois anglaise et plus rarement espagnole. Le développement de la pellicule impressionnée par les opérateurs de la DPFM a continué à être effectué dans les laboratoires français ou italiens. Les sujets traités restent revêtus du cacher officiel, mais, avec la DPFM, le contenu est encore plus fortement teinté de « propagande » encore plus quand il s'agit de documentaires publicitaires destinés à faire connaître les sociétés nationales, symboles de l'étatisme triomphant. On sait que ces sociétés nationales, hormis quelques rescapées, perdront leurs prestiges en même temps que leurs sigles célèbres, dans le tumulte de la « restructuration » des entreprises publiques menée tambour battant dans les premières années 1980 qui coupa net la lancée du développement national post-indépendance alors qu'il commençait à montrer des signes de progrès, y compris dans le domaine culturel et, en particulier, le cinéma. A cette époque, la « restructuration », qui a cassé en deux tout l'appareil économique, selon ce qui ressemblait à un caprice de la « dichotomie » séparant le segment production du segment distribution, n'a pas épargné le secteur du cinéma. Son application a entraîné la disparition de l'ONCIC et sa transformation, en 1985, en ENAPROC et ENADEC ; la consonance laisse deviner que le premier établissement concernait la production et le second, la distribution. Auparavant, en 1983, l'ONCIC avait déjà été délesté de sa DPFM remplacée par l'Agence nationale des actualités filmées (ANAF), bien que le premier Décret de création de l'ANAF n'ait pas explicité cette filiation. Cela a été rattrapé une année plus tard, par un Décret transférant à l'ANAF le patrimoine filmique de la DPFM, preuve de la continuité avec l'OAA. Pas de structure ni personnel pour l'archivage En créant l'ANAF, les décideurs ont, toutefois, pris en considération, pour la première fois, de façon spécifique, l'archivage des journaux d'actualité filmés. En effet, parmi les missions définies à l'ANAF par le Décret de création (19 novembre 1983), figure « la conservation des journaux d'actualité, magazines et films documentaires qu'elle produit » (article 4). Cette mission est confirmée une année après par un Décret de « réorganisation » (8 décembre 1984) qui lui rajoute des missions supplémentaires liées à la démonopolisation, intervenue entretemps, des fonctions production, distribution et exploitation cinématographiques. Le hic surgit dans l'arrêté ministériel qui dessine, avec retard (janvier 1987), l'organisation interne de l'ANAF : l'archivage n'est pas mentionné et aucune structure ni personnel ne sont prévus pour prendre en charge les activités liées aux archives filmées qui ont été pourtant la principale raison d'être de l'ANAF. En outre, l'ANAF ne disposait d'aucune infrastructure spéciale pour conserver ce genre d'archives dans des conditions qui répondent aux normes en la matière. Cette négligence explique la situation de l'archivage des journaux et magazines d'actualité filmés : un patrimoine dispersé et son inventaire non maîtrisé. En 1994, on avait parlé, dans la presse, de 10 000 bobines contenant archives filmées et documentaires – un héritage de l'OAA -, stockées dans le bâtiment des Archives nationales ; leur contenu : l'agriculture, l'économie, le pétrole, les élections..., les événements quotidiens. Les actualités filmées étaient destinées à être projetées avant le film dans les salles de cinéma au nombre de 400 à l'indépendance, nationalisées en août 1964 et placées sous la responsabilité du CNC. Ces salles recevaient alors, selon Alger républicain, 2 millions de spectateurs par semaine (Alger républicain, 21 août 1964). En 1981, la gestion des salles de cinéma a été confiée aux communes, et, quelque temps après, les projections vidéo, non autorisées, émergeaient dans nombre de salles alors que d'autres étaient carrément détournées de leur vocation pour servir notamment de dépôt ou tout simplement fermées. Au début des années 1990, un net recul de la fréquentation des salles de cinéma est enregistré, imputé à la concurrence de la télévision et aux chaînes satellitaires qui ont commencé à entrer dans les foyers grâce à l'antenne parabolique. Dans ce contexte, les actualités filmées ne pouvaient que disparaître, laissant leurs archives éparpillées entre diverses structures ou volatilisées.