Sur le terrain, la signature intervient dans un contexte de forte dégradation sécuritaire. Depuis le début de l'année, l'offensive du M23 a rebattu les cartes militaires dans l'Est du pays. Le groupe armé se réclamant de la défense des Tutsis congolais et soutenu, selon l'ONU, par l'armée rwandaise – ce que Kigali dément – contrôle désormais de larges pans du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, y compris Goma et Bukavu, les deux principales métropoles régionales. Conclu sous l'égide du président américain Donald Trump, le texte paraphé par Paul Kagame et Félix Tshisekedi intervient à l'issue de plusieurs mois d'efforts diplomatiques menés en parallèle à Washington, à Doha et au sein de l'Union africaine. Si le porte-parole du Secrétaire général a confirmé hier que les Nations unies n'étaient pas « directement associées » à l'initiative américaine, M. Guterres a rendu hommage aux efforts déployés par la Maison Blanche pour parvenir à un apaisement, après une année de tensions croissantes dans la région des Grands Lacs. Les combats contre les forces armées congolaises ont forcé des centaines de milliers de civils à fuir leurs localités, aggravant une crise humanitaire déjà profonde. Routes coupées, aéroports fermés, bombardements et violences sexuelles utilisés comme arme de guerre ont accru l'instabilité d'une région dont les équilibres demeurent précaires depuis les guerres du Congo des années 1990. Un Etat sous pression À la menace posée par le M23 s'ajoutent plusieurs acteurs armés qui alimentent un climat d'insécurité généralisée. Dans le Nord-Kivu, les Forces démocratiques alliées (ADF), milice d'origine ougandaise affiliée à l'organisation Etat islamique, ont multiplié les attaques meurtrières ces dernières semaines. Dans l'Ituri voisine, les milices Codeco poursuivent leurs offensives contre les populations civiles. Les groupes d'autodéfense Wazalendo, mobilisés en soutien à Kinshasa, sont eux aussi accusés de nombreuses exactions. Malgré la présence d'environ 14 000 Casques bleus de la mission onusienne de maintien de la paix (Monusco), les capacités de stabilisation demeurent limitées. Les rivalités régionales, l'accès aux ressources minières et l'absence de mécanismes de sanction crédibles continuent de nourrir la dynamique de violence. Les accords de Washington s'ajoutent aux tentatives de désescalade engagées ces derniers mois. Le 27 juin, un cessez-le-feu avait été signé entre Kinshasa et Kigali, également dans la capitale américaine. Le 19 juillet, à Doha, le gouvernement congolais et le M23 ont adopté une déclaration de principes. Aucun de ces textes, toutefois, n'a débouché sur une réduction tangible des combats. Dans sa déclaration, António Guterres a rappelé que des « progrès significatifs » avaient été accomplis dans le cadre des processus de Doha et de l'Union africaine. Il a exhorté « toutes les parties à tenir les engagements qu'elles ont pris », notamment le respect du cessez-le-feu permanent demandé en février par le Conseil de sécurité. À Washington, la présence du médiateur de l'Union africaine, le président togolais Faure Gnassingbé, ainsi que de représentants du Qatar, visait précisément à coordonner ces différents efforts. Pour l'heure, rien n'indique que la signature de Washington permettra une désescalade rapide. Les lignes de front autour de Rutshuru, Sake, Minova ou Masisi restent actives. Les populations locales continuent de se déplacer au gré des avancées militaires, et l'accès humanitaire demeure entravé dans plusieurs zones. Le Secrétaire général réaffirme que la Monusco est « prête à continuer de soutenir tous les efforts visant à instaurer une paix et une stabilité durables en RDC et dans la région ». Mais sur les collines du Kivu, l'impact de l'accord reste à démontrer. Entre la diplomatie menée dans les salons de Washington et la réalité mouvante du terrain, le décalage demeure profond. Le texte existe désormais ; la paix, elle, reste à construire. Les violences sexuelles, un fléau constant Le M23, une constellation de groupes armés, exploite le désordre dans cette région des Grands Lacs riche en minerais, en particulier au Nord-Kivu et en Ituri (67 cas). Les Wazalendo, milices d'autodéfense appuyées par Kinshasa, les Forces démocratiques alliées (ADF), groupe d'origine ougandaise affilié à l'Etat islamique, ou les milices CODECO, issues de la communauté lendu, figurent parmi les principaux auteurs des abus de septembre. Ensemble, les groupes armés sont responsables de 74 % des violations documentées. Au Nord-Kivu (345 cas) et au Sud-Kivu (121), l'offensive lancée en janvier par les rebelles du Mouvement du 23 mars (M23) explique en grande partie les exactions recensées. Cette milice, qui dit défendre les intérêts de la minorité Ttutsie congolaise et bénéficie, selon l'ONU, du soutien de l'armée rwandaise, est responsable à elle seule de 177 violations. Les forces de sécurité congolaises apparaissent aussi dans le rapport : un cinquième des violations leur sont attribuées, qu'il s'agisse des forces armées (61 cas) ou de la police nationale (60 cas). Le bureau a recensé 201 victimes de violences sexuelles liées au conflit au mois de septembre. Parmi les principaux auteurs figurent le M23 (42 victimes), les Wazalendo (28), les Twirwaneho, groupe d'autodéfense banyamulenge du Sud-Kivu (14), et la CODECO (9). Un groupe se distingue par l'ampleur des abus : RED-Tabara, mouvement armé burundais actif dans les hauts plateaux, responsable à lui seul de 50 victimes, dont 36 femmes et 11 filles. Les forces étatiques apparaissent aussi dans ces cas : 16 victimes sont imputées à l'armée congolaise, trois à la police, une à l'agence nationale de renseignement et une à la garde républicaine. Des soldats burundais et ougandais sont également cités pour des viols en Ituri et dans le Nord-Kivu. Le bureau onusien signale par ailleurs un rétrécissement de l'espace civique : 24 violations des libertés fondamentales ont touché 51 personnes, du Sud-Kivu à Kinshasa en passant par le Haut-Katanga ou le Sud-Ubangi. Défenseurs des droits humains, journalistes et citoyens figurent parmi les victimes, dont 14 d'entre elles ont dû bénéficier d'un appui direct pour renforcer leur sécurité. Une vingtaine de poursuites ont été engagées en septembre contre des militaires et des membres de groupes armés, pour aboutir à 19 condamnations devant les juridictions militaires. Une réponse limitée, mais essentielle, selon l'ONU, pour tenter d'enrayer le cycle de l'impunité. En parallèle, le bureau des droits humains a organisé 17 sessions de formation dans tout le pays, réunissant 829 participants – magistrats, membres de la société civile, défenseurs et forces de sécurité. Une action discrète mais indispensable dans un contexte où les institutions peinent à tenir. En septembre, 619 violations et atteintes aux droits humains ont été documentées en République démocratique du Congo (RDC) par le bureau local des droits humains de l'ONU. Un niveau particulièrement élevé, dont la répartition géographique est sans équivoque : plus de 85 % des cas se concentrent dans les provinces de l'est – Nord-Kivu, Sud-Kivu et Ituri.