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Les oueds rouges de l?Ouarsenis Par Yves Sudry
Livres
Publié dans La Nouvelle République le 29 - 09 - 2008


VENDREDI 2 JANVIER
Dans la matinée, deux fuyards sont capturés. Ce sont des civils. Chèche blanc, manteau usé par-dessus une veste aux manches élimées, sarrouel bleu délavé. lls ne portent pas d'armes. Le commandant les fait interroger. Ils n'ont jamais vu de fellaghas... ils sont emmenés à l'écart pour un interrogatoire plus poussé. Quand je les vois réapparaître chancelants, ils ont des ecchymoses sur le visage, l'un d'eux a le bord libre du pavillon de l'oreille en partie découpé. lls n'ont donné aucun renseignement.
Le commandant donne l'ordre de leur lier les mains derrière le dos. Il faut repartir. La progression reprend colonne par un. Une rafale de mitraillette. Les deux hommes viennent d'être exécutés.
Début d'après-midi, des coups de feu crépitent en avant de la colonne. Cette fois-ci trois jeunes rebelles sont capturés, armés de fusils, ils n'avaient, semble-t-il, plus de munitions. lls sont très jeunes, aux alentours de vingt ans. Le crâne rasé, vêtus d'une chemise et d'un jean bleus, djounoud ou moussebiline ? Leurs visages n'expriment ni peur ni haine, mais une sereine indifférence.
Eux aussi ont été interrogés. Je ne puis affirmer s'ils ont été torturés, toujours est-il qu'eux non plus n'ont donné aucun renseignement.
Le commandant donne l'ordre de les exécuter. J'ai vainement tenté de le faire revenir sur sa décision. Je lui ai évoqué la convention de Genève sur le traitement des prisonniers de guerre.
Ces hommes, que nous venons de capturer, n'avaient pas d'uniformes mais ils portaient leurs armes, ouvertement, ils devaient donc être considérés comme des combattants...
Au milieu de l'après-midi, peu avant de quitter notre position, trois rafales mettent un terme à la discussion. La marche reprend. Cent mètres plus loin au fond d'une cuvette rocheuse, trois corps gisent parmi les touffes de lentisques.
Je m'éloigne, alourdi du poids de toutes ces exécutions, que je n'avais pas su empêcher. Quelques mois plus tard, Cerba dit Kadour, notre guide arrêté pour avoir donné des renseignements aux rebelles, s'est suicidé d'un coup de poignard dans le ventre.
Lundi 5 janvier
Je retrouve la chaude ambiance de Moulay Abd El-Kader. Pas pour longtemps, car cinq jours plus tard il faut repartir en opération.
Départ le matin de bonne heure. Des véhicules nous transportent sur la piste de Rouina jusqu'à la limite entre les Beni Boudouane et le douar Zeddine. De là nous continuons à pied. Une désagréable surprise, D... a tout simplement oublié d'embarquer les boîtes de ration.
On envoie un SOS au PC. Notre état-major nous répond de nous débrouiller pour trouver de la nourriture sur place.
Nous n'avions pas la même expérience que les maquisards de la survie en pleine nature : ceux-ci savaient reconnaître, comme le rapporte l'ancien djoundi Rémy Madoui, les racines sauvages, les fruits, les fleurs, les feuilles et les herbes comestibles capables d'assurer un minimum vital quand les opérations militaires interdisaient tout ravitaillement. Nous n'avons pas trouvé autre chose à nous mettre sous la dent que des glands. On fit, donc, griller nos glands dans une gamelle. Chaque gland tombe sur l'estomac comme un caillou... Mais quand on a faim, on ne fait pas le difficile. Ce fut, donc, notre régime pendant deux jours. Le troisième jour, nous avons rencontré quelques moutons et avons pu améliorer le menu avec le foie grillé sur une pierre plate placée devant les braises. La guerre transforme facilement les soldats en pillards. Je me croyais un homme civilisé, eh bien j'ai admis de plus en plus facilement ces tueries de moutons pour en manger le foie. J'ai même été jusqu'à emmener en opération du sel et du poivre pour épicer ces abats à la saveur très fade...
A quelque temps de là, ayant eu l'occasion de passer par Lamartine, j'ai respectueusement fait remarquer au PC que les hommes n'auraient pas été au mieux de leur forme en cas d'accrochage et qu'il eut été facile de nous faire parvenir des boîtes de ration par hélicoptère. Le commandant major, Georges Arnoux m'a répondu : «Ne vous inquiétez pas, sous les balles des fells, ils auraient immédiatement trouvé l'énergie nécessaire ! »
Ce commandant, rond comme une bille, devait peser au moins cent kilos et je ne l'ai jamais vu crapahuter dans le djebel.
14 JANVIER 1959
A l'occasion de son entrée à l'Elysée, le général De Gaulle annonce plusieurs mesures de grâce :
- 180 condamnés à mort pour terrorisme sont graciés. Leur peine est commuée en travaux forcés à perpétuité.
- 7 000 prisonniers sont libérés.
- Messali Hadj, le fondateur du MTLD, en résidence surveillée à Belle-lle-en-mer est autorisé à circuler librement sur le territoire métropolitain.
Ces mesures sont mal accueillies par l'armée, scandalisent la population européenne d'Algérie et inquiètent ceux des musulmans qui ont choisi de combattre la rébellion aux côtés de la France.
22 janvier
Opération dans le douar Tiberkanine qui limite au nord-ouest les Beni Boudouane. Des renseignements nous avaient indiqué la présence d'un responsable politique du FLN dans une mechta du douar.
Départ dans la nuit et arrivée sur place à l'aube. La mechta est en terrain plat et nu, ce qui ne facilite pas son approche, car il faut parcourir au moins quatre cents mètres à découvert avant de l'atteindre.
D… laisse une section en protection, à l'abri d'un talus avec un fusil-mitrailleur. Il me dit de rester avec elle et se dirige avec les autres sections déployées en tirailleur vers la mechta indiquée.
Ces quatre cents mètres me paraissent interminables. A tout moment je m'attends à voir nos artilleurs se faire allumer.
En fait, pas un seul coup de feu n'est tiré. Ils ne trouvent dans la mechta que des femmes et des enfants. Ils ne peuvent rien en tirer.
Nous nous contentons au cours de cette opération, de laisser sur le terrain des tracts sur la «Paix des braves». Un petit berger, qui nous observe de loin, vient les ramasser dès que nous nous éloignons.
Le tract représente le général De Gaulle ouvrant les bras à un rebelle qui tient dans sa main droite une feuille portant ces mots : «Ceci est un laissez-passer».
Cette offre de «Paix des braves», jointe aux réformes engagées par le gouvernement français eut un impact certain sur les combattants de l'intérieur dont le moral était au plus bas. En effet, en ce début de l'année 1959, la situation des maquis est assez critique.
Au cours de l'année 1958, l'ALN a subi des pertes sérieuses et si les djounoud tués au combat sont généralement remplacés par de nouvelles recrues, celles-ci, souvent très jeunes, ne sont pas encore aguerries. Le bouclage des frontières est efficace à 95 % si bien que le ravitaillement en armes et en munitions devient très difficile. Les chefs de maquis sont contraints de fractionner les katibas en bandes restreintes et évitent le plus possible l'accrochage avec les forces françaises. A nouveau sont privilégiés les embuscades, les harcèlements et les attentats. L'offre de «Paix des braves» trouve, donc, une oreille complaisante chez plusieurs combattants.
Dans notre secteur, un responsable de la wilaya IV, Si Khaled, est entré en contact par l'intermédiaire du bachagha Boualem avec un officier de l'état-major du général Gracieux, le capitaine X... Pour des raisons assez inexplicables, celui-ci n'aurait pas donné suite à l'offre de reddition de la wilaya IV proposée par Si Khaled. Quant à ce dernier, il fut arrêté par le FLN. Lié à un arbre dans une forêt de l'Ouarsenis, il fut torturé et finit par avouer sa démarche auprès de l'armée. On lui fit alors subir le supplice de l'hélicoptère : Corde passée autour d'une branche, un bout attaché aux chevilles, l'autre aux poignets, ventre faisant face au sol. Le supplicié est placé cinquante centimètres au-dessus d'un brasier, puis on le fait tournoyer jusqu'à ce que mort s'ensuive.
Le GPRA était opposé à la «Paix des braves». Il considérait qu'il était trop tard pour les réformes et que toute solution dans le cadre français était dépassée. Le seul but à atteindre était l'indépendance.
Juste le temps de souffler, la douzième batterie repart en opération dans le Lyra. Cette fois-ci, c'est une opération de grande envergure appuyée par l'aviation. On entend tirer un peu de tous les côtés. Le premier jour, nous croisons un peloton du cinquième spahis. Les hommes, tous musulmans, ont fière allure avec leurs turbans blancs et leurs burnous rouges à revers blancs On se serait cru à l'époque de la conquête, au temps des charges sabre au clair, à la suite de ce Yussuf qui créa les premiers régiments de spahis et que les Arabo-Berbères avaient sumommé «Cheik el Baroud», le seigneur du combat.
Grâce à leurs chevaux, ces spahis sont très rapides et les fellaghas les craignent. Ils jouissent d'un grand prestige auprès des populations. Cependant le peloton que nous venons de croiser, n'est pas dans son jour de chance, une demi-heure plus tard il tombe dans une embuscade qui lui coûte trois morts et deux blessés.
Le soir, jonction avec le PC de Lamartine. Nous campons sur le même piton. Je m'installe à l'abri d'un rocher. Mon duvet est très chaud mais il a l'inconvénient d'être bleu électrique et réfléchit les rayons de la lune. C'est un cadeau de mon beau-père, il n'a pas pensé au camouflage. Je suis obligé à chaque fois de placer dessus des feuilles et des brindilles.
Milieu de la nuit : rafales d'armes automatiques. «Aux armes, aux armes ! » C'est la voix du commandant.
Les hommes enfilent en vitesse leurs rangers et sautent sur leurs armes.
C'est un groupe de fells qui passe près de notre position pour forcer le bouclage. Echange de coups de feu, puis c'est à nouveau le silence de la nuit.
Un djoundi a été tué au cours de ce bref engagement, mais ses camarades ont emporté son arme. Deuxième jour d'opération. Nous trouvons un jeune djoundi avec un pansement empesé qui lui prend la jambe et le pied gauche. Il a une fracture du tibia. Ses camarades n'ayant pu l'emmener l'ont laissé sur le terrain. Vingt ans environ, c'est un étudiant en droit qui a rejoint le maquis après le démantèlement du FLN à Alger en octobre 1957.
Il semble en avoir assez de la vie au maquis et répond sans difficulté aux questions. Cette fois-ci, je réussis à obtenir un hélicoptère et le fais évacuer sur Alger.
Les relations entre ces jeunes intellectuels et la masse des djounoud formés de paysans souvent illettrés et aux mœurs rudes étaient souvent difficiles.
Par ailleurs, les manœuvres d'intoxication montées par un officier de renseignement, le capitaine Léger, avaient laissé croire aux chefs rebelles l'existence de complots au sein des maquis. Amirouche, le terrible chef de la wilaya III, s'était livré à des épurations sanglantes. Si M'Hammed dans la wilaya IV, s'était laissé gagner par cette hantise des complots et suspectait particulièrement les intellectuels. C'est ainsi que notre prisonnier avait assisté aux tortures et exécutions de plusieurs de ses camarades. C'est sans doute pourquoi il paraissait tellement détendu en tombant entre nos mains.
Dans l'après-midi, nous croisons six cadavres de djounoud le long d'un oued, certains ont la moitié du corps dans l'eau. Ils sont revêtus de treillis kakis et chaussés de pataugas. Ils ont dû être tués par les mitrailleuses des T6.
Les hommes remplissent leurs gourdes en amont des cadavres. En passant près d'une des victimes, un artilleur courbé sous le poids de son sac lance avec cynisme : «Toi au moins, tu te reposes…»
Retour d'opération : Là-bas sur la piste une jeep est en stationnement. Ce sont les cuistots, Vidu et Curec, qui sont venus à notre avance avec une cargaison de Pils. Les hommes s'agglutinent bientôt autour du véhicule. Les capsules sautent et les artilleurs font couler à grandes lampées la bière fraîche et mousseuse sur leur gosier en feu.
Je suis furieux. Barthélémy vient d'être muté à Lamartine. Il me faut encore former un nouvel infirmier. Ma nouvelle recrue, Bernard, est livreur dans le civil. Par bonheur, il se met rapidement au courant et me seconda avec beaucoup de dévouement auprès de la population. Il m'accompagnait dans toutes mes pérégrinations, toujours de bonne humeur, sans jamais se plaindre. En opération et au cours des visites AMG dans le douar, il ne quittait jamais son brassard de la Croix Rouge, persuadé qu'il jouissait ainsi de l'immunité accordée au personnel du service de santé par la convention de Genève.
Il n'avait pas complètement tort. Dès 1955 le FLN avait créé officieusement et en toute illégalité le Croissant-Rouge Algérien, équivalent de la Croix-Rouge dans les pays musulmans, ce qui impliquait le respect des conventions de Genève. Les infirmiers de l'ALN portaient eux aussi un brassard blanc avec l'emblème du Croissant-Rouge.
Par cette création, le FLN positionnait l'ALN comme une armée régulière respectant les lois de la guerre. Par-là même, ils pouvaient revendiquer en retour que leurs combattants tombés aux mains des Français bénéficient du statut de prisonniers de guerre.
Indéniablement, l'ALN, dans plusieurs cas, a respecté ces conventions. En revanche, nombreuses furent les atrocités infligées à certains prisonniers et nul ne saura jamais dans quelles circonstances sont morts les cinq cent quarante six disparus de la guerre d'Algérie. Parmi ceux-ci : le médecin-lieutenant Claude Guillemot enlevé par les rebelles en janvier 1956.
Agence


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