Plus de mille morts et déjà quelques conclusions. 1° - La guerre contre Ghaza a disqualifié le Fatah, mais pas seulement. L'annulation de légitimité et le signe de péremption touchent tous les régimes « laïcs » ou surtout nationalistes dans tout le monde arabe. Comme écrit par notre confrère Abed Charef, la « cause palestinienne » a cette vertu incommodante de nous renvoyer l'image de nos Etats, de rendre visibles nos impuissances et de nous disperser au nom de l'union pour la Palestine. Aujourd'hui, l'offre politique pour l'opinion arabe se résume à deux figures : celle de Moubarak et de tous ceux qui lui ressemblent, reconduisent leurs mandats à sa manière, sous-traitent la « cause » arabe avec la même hypocrisie efficace et le même aveu de soumission pragmatique ; et celle des Nasrallah, Hamas et confrères, nouveaux leaders des guerres « sans Etats » ou avec des Etats traîtres, de la résistance qui « sauve l'eau du visage » et de la légitimité par Dieu et les armes. A côté, les gigotements « nationaux » des fausses démocraties, des fausses réformes et des relances à base de distribution des rentes gardent déjà à peine leur valeur de spectacles pour les peuples arabes appelés aux urnes ou à rester chez eux. 2° - Depuis sa fondation en 1948, Israël gagne toute ses guerres sur nous, mais il semble que c'est la seule fois où elle a perdu la guerre des images. Malgré l'interdiction d'entrée faite aux journalistes occidentaux, la super propagande internationale, la criminalisation anticipée du Hamas pour faire « passer » cette guerre et sa facture et le parti pris parfois incroyable de l'opinion occidentale réduite à user des euphémismes et des commentaires sur des images « nettoyées », la victoire « par El Jazeera » a été immense. Les images de cette chaîne et ses consoeurs ont été le seul parti politique qui a réussi à faire bouger la rue arabe et les capitales du monde, mais aussi à entretenir cette mobilisation dans le temps et à réduire à néant les explications « post-11Septembre » d'Israël. Ces images, beaucoup plus que celle des autres guerres, vont marquer l'opinion et les consciences des Arabes et des musulmans, resteront dans les mémoires et démantèleront durablement tous les discours des modérés et les explications sécuritaires des Occidentaux. Si, aujourd'hui, même dans les bouches des écoliers algériens les plus jeunes, les slogans en faveur de la lutte armée et les noms de Djabaliah, Khan Younès ou autres quartiers massacrés en Palestine sont plus connus que les noms des ministres locaux, c'est à cause d'El Jazeera, par sa vertu. Le « traumatisme » sera durable, marquera des générations et ne sera pas oublié de si tôt contrairement à ce que l'on croit. Tous les discours politiques locaux doivent dorénavant relever la barre plus haute que ces « images », ou être frappé de nullité et retomber dans le bavardages ou le bourrage d'urnes et des oreilles. L'avenir n'est pas le même quand il est raconté aux enfants par Walt Disney ou par nos chaînes satellitaires : nos enfants ont grandi entre les images du cadavre des fils de Saddam, celle de Zarquaoui défiguré, la pendaison de Saddam et les yeux crevés par les bombes de l'enfant palestinien. Les leurs sont les enfants des « Happy End » et de l'amour comme seule éternité envisageable pour l'homme. Les images d'El Jazeera sont autant d'images interdites chez eux par souci « d'hygiène » psychologique et qui, chez nous, accouchent de nos enfants autrement que par les ventres de leurs mères. 3° - La division des régimes arabes est désormais irréversible, lourde et sans même le souci des apparences et des politesses. Les seules institutions qui nous restent sont celles de la rue, « ruisseau des solitudes », dira un poète, et de la mosquée. Ceux qui divisent les Arabes sont leurs Etats et ce qui les réunit sont leurs islamistes et leur religion. La préemption frappe aujourd'hui non seulement le nationalisme « assis » des vétérans des décolonisations et les héritiers des couronnes, mais aussi les « modérés », les partisans du dialogue mais aussi les « armées », les notions de sécurité et de souveraineté et les mythes de nos fiertés locales. La cause palestinienne est désormais un effet islamiste, mais pas seulement.