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Les coquelicots
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 20 - 05 - 2010

« Laisse-moi te dire la vérité Nadjet : même un marteau- piqueur acharné n'arriverait pas à seulement érafler ta stupidité ! Le pauvre ouvrier qui tiendrait l'engin dans ses mains perdrait immanquablement toutes ses dents et rentrerait chez lui, la viande et les nerfs vibrant à exploser, frémissant terriblement du désir de tuer ! Je ne sais pas ce qui retient ma main, mais je t'assure que je brûle d'envie de te donner une gifle qui te ferait loucher jusqu'à la tombe ! Que tu sois gonflée de naïveté, ça je le sais depuis longtemps déjà. Mais que ta bouche soit capable d'accoucher sans le moindre gémissement d'une sottise aussi grosse que celle que tu viens de me servir, ça je l'ignorais ma sœur ! Ainsi donc, après avoir longuement et soigneusement pressuré ta cervelle de moineau, tu en as tiré cette idée géniale d'aller pourrir. Tes grimaces ne me feront pas taire ! Tu t'attendais à quoi ? Que je lance des youyous d'émerveillement devant l'ânerie que tu as pondue il y a un instant dans mon salon ? »
Imane s'interrompt un instant pour reprendre haleine. Ses yeux scintillent de colère, ses propos sont durs et énergiques, mais elle ne donne pas l'impression d'avoir été secouée, ou plus exactement choquée, par les paroles de son amie Nadjet, qui ont provoqué chez elle ce flot de reproches animés. C'est peut-être parce que la chose qu'elle a nommée «la sottise » ne lui est pas étrangère, qu'elle en entend souvent parler autour d'elle, qu'elle y pense parfois elle aussi...
Profitant de ce silence, les bruits du dehors envahissent le salon. Les deux amies entendent alors les vagissements d'un bébé et les cris de colère de sa mère qui n'arrive pas à le faire taire. Nadjet tend ses lèvres vers la tasse qu'elle a dans la main et aspire une gorgée du café à la cannelle que lui a servi tout à l'heure son amie qui reprend la parole : «Tout en moi est en train de trembler ! J'ai envie de te donner une fessée dont tu te souviendras jusqu'à ce que tu sois enfouie sous terre ! Comme lorsque nous étions encore des adolescentes... Souviens-toi Nadjet ! Quand tu m'exaspérais, je te sautais dessus, je t'aplatissais contre le sol, et je te cinglais les fesses avec ma main. Parfois, je te mordais. J'aimais te mordre ! Tu riais nerveusement ! Tout en se tortillant comme un serpent, tu poussais de petits cris qui enrageaient mes mains et mes dents ! Je redoublais de férocité. Rappelle-toi, c'était souvent au cours de l'après-midi, surtout en été, quand les autres sombraient dans la pâte moelleuse de la sieste. Dans la pénombre humide de la chambre, par les échancrures de ta robe légère, ta chair lançait des éclairs qui éblouissaient mes yeux, me donnaient le vertige. Puis, brusquement, nous nous laissions tomber l'une à côté de l'autre, haletantes, des frissons douloureux agitant notre chair, languissantes. Tu murmurais : «Tu m'as fait mal. J'ai mal. Je sens ma chair couverte de blessures béantes d'où coule à flot du sang frémissant qui m'inonde. Tu m'as fait mal. Qui calmera ma douleur maintenant ? Qui ? Qui ? » Je murmurais : «Ce ne sont pas des blessures, ce sont des bouquets de coquelicots qui s'épanouissent en abondance sur ta chair. Je vais dénuder ton dos et souffler doucement sur ces fleurs pour apaiser ta douleur. Pendant ce temps, décris-moi le prince que tu attends.» Tu murmurais : «Je le veux fort et impitoyable ! Mes cris de souffrance ne devront pas l'apitoyer, que je pousserai chaque fois qu'il se mettra à arracher les plantes vénéneuses qui me tourmentent et m'enragent ! Et lorsqu'il aura fini de déraciner ces herbes dangereuses, avant qu'elles ne repoussent, il recouvrira mes blessures apaisées de roses blanches.» Je murmurais : «Mais que feras-tu pour attiser ses braises ? » Tu murmurais : «Je lui danserai. Je lui danserai. Je serai plus souple qu'un serpent. » Alors, je te provoquais : «Mais si ton prince est une limace qui baigne dans sa bave ? » Tu te levais et tu me répondais, tes yeux criblant mon visage de braises incandescentes: «Je l'écraserai. » Puis un rire étrange jaillissait de ta gorge... Un rire où mes oreilles discernaient comme une supplication, une prière... peut-être aussi une menace... »
Submergée par ce souvenir, la voix cassée par l'émotion, Imane s'arrête de parler. Les vagissements du bébé et les cris de colère de sa maman s'engouffrent à nouveau dans le salon. On entend la mère hurler d'une voix aiguë : « Ferme ta bouche ! Tu veux me démolir le cerveau ? Je n'en peux plus ! J'en ai marre de tes piailleries ! Ferme ta gueule ! Un jour, je t'étranglerai et je me reposerai pour de bon ! » Mais le nourrisson continue de vagir de plus belle, ignorant les menaces de sa mère.
Hochant la tête tristement, Imane dit d'une voix grave : «C'est toujours comme ça, le jour comme la nuit, ce petit paquet de viande ne cesse pas de couiner. La pauvre femme va finir un jour par perdre la tête. Parfois, elle me fait peur ! Elle en a six qu'elle n'arrête pas d'appeler ou d'engueuler. Comme nous toutes ! Il m'arrive quelques fois de penser que nous enfantons notre propre malheur ! Pourquoi tous ces garnements endiablés?»
Elle s'interrompt un instant, puis revient au fil de ses souvenirs : «Parfois mon frère cadet Mounir nous rejoignait dans la chambre et nous dessinait avec son crayon magique. Il avait des mains divines. En quelques coups de crayon, il nous couchait sur ses feuilles, exagérant nos formes, particulièrement les miennes. En ce qui te concerne, il n'était pas loin de la vérité, tu avais un beau corps bien potelé ! Malicieux comme un singe, il nous gratifiait de hanches et de poitrines généreuses, moulées dans des robes vaporeuses. Il possède un petit carton rempli de ces dessins qu'il faisait de nous à l'époque. Dieu seul sait comment il a réussi à les protéger contre les mains dévastarices qui rôdent dans la maison de nos parents. Il me les a montrés l'autre jour. Il y en a un qui te plairait certainement. Je l'avais complètement oublié. Souviens-toi Nadjet ! Il m'a dessinée avec des cheveux défaits et ondulés, deux longues dents de vampire et des lèvres épaisses. Mes mains étreignent ton corps, je te regarde avec avidité et tu m'offres la chair de ton cou, ta tête rejetée en arrière, tes cheveux déployés vers le sol, tes yeux remplis de supplications. Il avait des mains divines. Mais lui aussi a été détruit. Il ne dessine plus depuis longtemps déjà.
Dis-moi Nadjet ma sœur, que Dieu te garde pour moi, que reste-t-il de nos rêves de ce temps-là ? Pourquoi avons-nous quitté notre chambre ? Nous aurions dû nous emmurer dans sa douce pénombre... Mais pourquoi suis-je en train de te parler du passé ? Ce temps a-t-il réellement existé ? Je n'en suis pas sûre ! Tout a été saccagé ! Tout a été saccagé !... Nous avions la tête remplie de roses et de canaris. Le mariage a tout dévasté ! Notre vie ressemble maintenant à une terre rocailleuse couverte de buissons épineux et grouillante de serpents. Nos corps sont morts. Partout autour de moi, je ne vois que des visages au teint frelaté par les vapeurs toxiques que dégagent leurs profondeurs. Des plaintes ! Des plaintes visqueuses dégoulinant de toutes les bouches ! Des tas de linge sale et puant à décrasser ! De la vaisselle huileuse et poisseuse à frotter ! Des gamins criards à surveiller et à nourrir ! Des repas à préparer ! Un appartement à nettoyer dans un bâtiment planté dans la saleté et la poussière ! Des mensonges ! Des mensonges ! Que reste-t-il de nos rêves, Nadjet ma soeur ?
De nouveau, Imane se tait, la voix brisée par le parfum poignant de la nostalgie. Indifférent aux cris de rage de sa maman, le bébé hurle toujours. Quelques minutes s'écoulent puis on entend la femme appeler sa fille et la gronder : «Viens ici et occupe-toi de ton frère ! Tu n'es plus une gamine maintenant ! Tu veux que je te torde le cou ? Chienne ! » La petite fille rouspète : «J'ai envie de jouer avec mes copines. Je ne sais pas le faire taire ! » Alors un cri perçant se fait entendre : «Occupe-toi de ce diable et boucle-la ! Saleté ! Tu veux peut-être que je te brise la nuque ? »
Après avoir vidé son cœur à son amie au début de la visite, Nadjet n'a pas prononcé un mot. Elle avait ressenti un besoin tyrannique de se confier, et après avoir crevé et pressuré l'abcès qui enfiévrait sa chair, en écoutant ensuite Imane évoquer leurs souvenirs, elle se sent mieux maintenant. Il y avait très longtemps qu'elle n'était pas venue chez son amie. Adolescentes, comme toutes les jeunes filles de leur âge, elles étaient embrasées par le désir de se marier, ignorant ou ne voulant pas voir le désenchantement qui les guettait au bout de ces rêves. Pourtant, elles l'avaient souvent remarqué, elles en parlaient entre elles, jamais elles n'avaient rencontré une femme heureuse, dans les sens bien sûr qu'elles mettaient dans ce mot. C'était souvent un pullulement de gamins grossiers et pleurards, un empilement inextricable et fracassant de vaisselle graisseuse, un amas de linge gorgé de saletés, un mari qui explose sans crier gare, un foyer étouffant envahi de poussière, d'ordres, de cris et de disputes. Un monde sombre et triste, accablant, lourd, zébré de haine, gluant, malsain, dangereux, impur, mensonger, hypocrite, trompeur, masqué, laid, dissonant, incongru, brouillé, confus, tortueux...
Nadjet sursaute, arrachée à ses pensées par la voix de son amie : «Je comprends que tu sois dégoutée de la vie ! C'est la même chose pour moi aussi ! Nous rêvions à autre chose que cette épouvantable et suffocante grisaille ! On dirait que nous sommes maudites ! Ou peut-être sommes-nous minées par une maladie noire qui a frelaté notre sang ! Ce pays est beau ! Mais nous sommes laides ! Cependant, en dépit de tout ça, jamais je ne me suiciderai ! Car au fond de moi frissonnent encore quelques braises de nos anciennes espérances ! Et je sais que tu es comme moi ! Tu me racontes que tu as décidé de te tuer ! Je ne veux pas le croire ! Sinon, tu n'es pas mon amie, cette gazelle pleine de vie, ce corps potelé que j'aimais mordre jusqu'au sang, qui savait si bien danser, qui est encore gonflé de promesses ! Il faut survivre ! Il nous faut survivre !... Mais j'entends sonner le téléphone... Excuse-moi, je vais voir qui appelle... »
Imane quitte le salon hâtivement. Nadjet l'entend décrocher le téléphone et répondre. Quelques minutes s'écoulent. Le bébé de la voisine n'a pas cessé de pleurer. Imane revient et regagne sa place en face de son amie. Son visage est souriant et ses yeux ont des lueurs gaies. Elle prend le visage de Nadjet entre ses petites mains, la regarde longuement, lui arrange une mèche qui lui tombe sur l'œil gauche, et s'exclame : «Tu sais qui vient de m'appeler ? C'est Mounir mon frère ! Ne dis pas un mot ! Tu vas rester ici jusqu'à ce qu'il vienne ! Je lui ai demandé de chercher son petit carton de dessins, son crayon et de venir nous rejoindre ! Il a été ravi de savoir que tu désirais revoir les dessins qu'il a faits de nous il y a vingt ans ! Nous lui demanderons de nous dessiner ! Maintenant, lève-toi, nous allons nous changer ! Nous nous habillerons comme des jeunes filles ! Il fait beau aujourd'hui et j'ai envie de vivre ! Toi et moi, comme lorsque nous étions encore des adolescentes, nous trouverons comment éloigner de nos corps les mains laides et froides de la mort ! Nous repeuplerons notre tête de roses et de
canaris... »


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