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A propos de l'ouvrage de Gilbert Sinoué, Avicenne ou La route d'Ispahan - Les savants : «Des fétus de paille sous le souffle de nos mécènes»
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 20 - 10 - 2013

Ce récit décrit la vie passionnée, tumultueuse et riche de l'une des hautes figures de la pensée universelle, en l'occurrence Avicenne ou Ibn Sina. On est subjugué par le savoir immense détenu par cet homme qui voue sa vie entière, à produire des connaissances dans différentes domaines scientifiques et philosophiques, et à ne jamais se lasser d'écrire jour comme de nuit, ses différentes observations et réflexions multiples transcrites dans les manuscrits, à l'aide de disciples fidèles et admiratifs face à l'abnégation et la passion de leur maître.
Mais Avicenne, c'est aussi le médecin qui n'hésite pas à accourir au chevet du malade, quelque soit sa condition sociale, construisant à 18 ans une réputation et une renommée incontestée dans le champ médical.
Le savant Ibn Sina, curieux de tout, incontournable en médecine, consacre son temps à débattre avec d'autres savants, des sujets aussi divers se rapportant à la médecine, la philosophie, l'astronomie, etc. Très vite, le savant est capté de force ou de gré par les différents princes qui ont pour souci premier de «posséder» dans leur cour, les plus prestigieux savants, mais aussi d'élargir constamment leurs territoires, par la médiation de la guerre, et ce, des confins de la Turquie et de la Perse du XIème.
Ce récit nous raconte de façon saisissante et précise les rapports entre les savants de cette époque et les pouvoirs prêts à utiliser tous les stratagèmes pour les intégrer dans leur cour, en achetant à prix fort leurs compétences, ou n'hésitant pas à les poursuivre pour qu'ils se soumettent à leurs désirs et à leurs ordres. Le savant est pris dans la tourmente et dans les drames produits par ceux qui ne se lassent jamais du pouvoir, rien que le pouvoir pour assouvir des vengeances ou des revanches. Ibn Sina, écrivant à son ami El-Birouni, lui-même grand savant astronome, lui rappelle ce propos combien significatif : «Il me souvient d'une phrase que tu as prononcée le soir où nous débattions dans la maison de mon père des «choses de l'univers». Tu disais: «Nous ne sommes que des fétus de paille sous le souffle de nos mécènes». Il ajoute: «Pour le plaisir du prince, j'ai joué, il y a bientôt quatre mois, le rôle d'un vulgaire faiseur de tours. Avais-je le choix ?».
Le savant Ibn Sina avait conscience de sa fragilité et de sa dépendance à l'égard des mécènes avides de l'intégrer dans leur sphère de pouvoir, pour qu'il prenne soin de leurs propres personnes et de leurs familles. Toute l'ambiguïté du médecin-savant, est qu'il est à la fois courtisé et intégré dans la cour des «grands» quand ses services semblent indispensables pour la reproduction du pouvoir des princes, mais rejeté et poursuivi quand il ose enfreindre les règles du palais du prince. Avicenne ou Ibn Sina devient tour à tour l'intellectuel organique au service de sa «majesté» qui le neutralise en lui offrant richesse et prestige; mais quand le «citron a été pressé», que ses services ne sont d'aucune utilité, il subira les foudres de ses anciens protecteurs, contraint au nomadisme, et à la quête d'un autre mécène.
ATTRACTION-REPULSION DU SAVANT A L'EGARD DU POUVOIR
Ce mouvement attraction-répulsion du savant à l'égard des différents pouvoirs, est décrit de façon admirable par Gilbert Sinoué qui montre que la cohabitation entre les savants et les différents pouvoirs est souvent conjoncturelle et fragile, parce que l'intérêt du moment l'exige («le pouvoir a immédiatement besoin du savant»), pour être considérée comme sereine et sincère. Cette alliance contre nature, ne peut s'inscrire dans la stabilité et la pérennité. Elle est remise en question quand les intérêts du pouvoir sont menacés par celui qui était pourtant reconnu comme une personne indispensable qui participait au prestige de la cour.
Ibn Sina, le savant, sous la pression du prince, est nommé vizir (ministre). Il accepte donc de mener une double mission: celle du savant et du politicien. En plus de sa nourriture intellectuelle quotidienne, s'attelant à finaliser ses multiples ouvrages, Ibn Sina va aussi gérer la cité. Très rapidement, il observe que l'armée du prince s'approprie sans vergogne des impôts considérables auprès de la population la plus pauvre. Il décide, avec l'accord préalable du prince d'y mettre fin. Celui-ci appuie la décision de son ministre. Elle sera ratifiée pour être mise en application. Mais l'armée s'oppose violemment à cette décision et le fait rapidement savoir au prince. Elle exige l'annulation de la règle de diminution des impôts et le renvoi du ministre Ibn Sina qui a eu le courage et l'autonomie d'affronter directement l'armée, en souhaitant mettre fin à une injustice. Le prince avait une double option : appuyer et confirmer la décision prise par son ministre, et dans ce cas-là, affronter l'armée, ou se plier à son diktat en se séparant de «son» ministre.
Ibn Sina, le savant vénéré et reconnu comme le maître incontesté de la médecine, est contraint au départ. Il n'a plus sa place parmi les gens du pouvoir, parce que il a osé dire non aux puissants du moment, en l'occurrence l'armée à l'origine de son exclusion. On peut être homme de science, produire des manuscrits reconnus dans soixante douze nations de l'époque, et être poursuivi par la force comme le dernier des renégats. La science, le savant n'ont pas le droit de cité. Ils s'effacent au profit du pouvoir prêt à faire mordre la poussière à tous ceux qui osent le contester ou aller à l'encontre de ses intérêts.
Ce récit sur Avicenne est passionnant pour comprendre aujourd'hui encore les rapports ambigus entre les pouvoirs et les intellectuels. Bien sûr que le contexte sociohistorique est différent, mais les mécanismes politiques s'appuient sur des logiques et des registres analogues qui font aussi référence au mode d'intégration de l'intellectuel dans les sphères du pouvoir. De façon encore plus radicale, l'intellectuel n'est pas reconnu par sa production scientifique autonome et critique, mais essentiellement parce qu'il s'inscrit et adhère au jeu social dicté par le pouvoir. L'important est qu'il opère d'abord et avant tout dans la voie tracée par celui qui lui donne l'opportunité d'être du dedans, dans une sorte de collusion avec les autre acteurs politiques ou syndicaux qui participent dans un même élan de solidarité à consolider les puissants du moment. Il semble difficile d'être dedans et de continuer à aiguiser son sens critique ou de s'aventurer à remettre en question le mode de fonctionnement des institutions.
SOCIALISER ET RENFORCER «SES» COURTISANS
Il ne faut pas s'illusionner en pensant qu'une étude critique sur les questions de l'emploi ou de la santé, ou des jeunes etc. puisse être prise en considération dans le système social et politique algérien qui ne s'est pas constitué en référence à la réflexion, à l'éducation citoyenne, à la recherche ou le questionnement devant permettre fin à la sous-analyse de la société. Le souci premier n'est pas de changer les choses, mais de privilégier le statut quo, réfutant toute possibilité de remises en question fondées sur les savoirs. La confrontation avec une bureaucratie difforme, fonctionnant moins à la règle qu'aux relations personnelles, produite par le politique, incrustée profondément dans les institutions, illustre parfaitement toutes les impasses et les revers subis par les chercheurs soucieux de comprendre et de changer l'ordre des choses. Tout est balayé d'un revers de main pour affirmer que «les éléments avancés sont connus, et que toute façon que la recherche n'est d'aucune utilité» ! Comment s'étonner de l'absence de toute politique publique rigoureuse et fondée sur la connaissance de la société ? En multipliant les commissions et les conseils composés souvent d'acteurs propulsés dans une logique de nomination par le haut, qui opèrent dans une logique de l'immédiateté et de l'urgence, le système politique contribue activement à socialiser et à renforcer «ses» courtisans qui participent au jeu social construit en dehors d'eux, même s'ils savent, pour la majorité d'entre eux, qu'ils ne sont en réalité, pour reprendre les propos d'Avicenne que des «faiseurs de tours».
Il faut surtout «penser» à épouser les postures et les valeurs propagées par le système sociopolitique qui capte de façon sélective l'élite intellectuelle contrainte de mobiliser ses ressources pour le reproduire, lui apportant les éléments de justification pour promettre, dans une logique paternaliste, le bonheur du «peuple». Le couple intégration-allégeance a produit l'élite du pouvoir en Algérie. Ce «couple» est d'autant plus puissant, rôdé, et pernicieux qu'il combine à la fois l'exclusion du registre du mérite, tout en instrumentalisant celui de l'élection.
Ce qui ne veut pas dire que dans les sociétés dites «démocratiques», la cooptation serait absente. Wright Mills (1969), sociologue américain indique de façon précise qu'aux USA, les hiérarchies sont reliées entre elles, mettant en valeur les rapports de dépendance de certains «cliques» par rapport à d'autres. Il écrit : «Il y a des allégeances personnelles ou officielles, des critères d'avancement personnels ou impersonnels. Quand nous suivons la carrière d'un membre individuel des divers cercles supérieurs, nous suivons en même temps l'histoire de ses allégeances, car le fait primordial et dominant qui concerne les hautes sphères, du point de vue des conditions requises pour réussir, est qu'elles sont fondées sur la cooptation» (p 356). Sauf que les modes de redistribution du pouvoir, s'ils s'appuient sur la cooptation, n'exclut pas, loin s'en faut, l'idéologie du mérite et de la réussite basée sur le travail et la concurrence, tout en permettant le fonctionnement des contre-pouvoirs qui limitent considérablement les abus et les dérives de l'élite au pouvoir contrainte de rendre des comptes de ses échecs et ses dérives. A contrario, la fabrication politique d'une «société civile» reste le mode d'emploi privilégié pour décourager et bloquer toute initiative autonome d'acteurs sociaux qui se voient clairement signifier leur exclusion par un système sociopolitique courtisan.
Référence bibliographique
C. Wright Mills, (1969), L'élite du pouvoir, Paris, Maspéro.
* Professeur de Sociologie à l'Université d'Oran


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