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Le fugitif
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 02 - 02 - 2017

Alger 1996, Kamel Daoud. J'avais d'abord cherché le numéro de téléphone de la rédaction du Quotidien d'Oran, son journal. Je voulais lui dire mon admiration pour sa musique. Elle était nouvelle. Ce que j'aime le plus dans une écriture, c'est la musique. La note bleue. Et lui, avait percé le secret de la trompette. Le mystère du be-bop des mots. Je ne l'avais pas trouvé au bureau ce jour-là. J'avais laissé un message en espérant qu'il lui parvienne. Il a eu l'élégance de rappeler. Nous avons échangé quelques généreuses amabilités. Nous exercions alors le même « métier » de chroniqueur. Lui à Oran, que l'héritage jacobin avait confiné dans le mépris d'une lointaine province, et moi à Alger, capitale prétentieuse engloutie par le feu des attentats et le couvre-feu des potentats. Ensuite, je ne sais plus. Je n'arrive pas à me souvenir de notre rencontre trop floue, trop lointaine , de cette première poignée de mains, celle qui allait sceller une fraternité résistante aux vicissitudes du temps, aux polémiques qui fâchent, à la gloire qui grise, aux incompréhensions des mots… C'est à cause de la guerre, je crois. Une guerre, ça brouille tout, ça génère de la confusion dans le souvenir. Ça fragmente le passé en séquences chaotiques et inconciliables. Je me suis juste souvenu que c'était la guerre. C'est ce qui prédominait alors. C'est ce qui enveloppait nos vies. Une atroce guerre. Civile ? Contre les civils ? Ou peut-être même avec ? Personne n'a su la nommer, la définir, la cerner. Elle était sans nom. Absurde, comme toutes les autres, mais elle se singularisait par un raffinement absolu dans l'horreur et l'ignominie. Elle était un peu l'arrière-cour de celle qui se déploie actuellement sous nos fenêtres et qui fait de l'audience dans nos postes de télévision, certes à une échelle un peu plus ample et avec des répercussions plus tragiques pour la survie des hommes et de l'Histoire.
C'est à ce moment-là que cet homme, Kamel Daoud, sorti d'un village silencieux (pour suivre des études de lettres), fait son apparition pour braver le temps et la folie des Hommes et faire vœu de parole ; frêle silhouette, presque aussi frêle que son âge : un peu plus de vingt ans. L'âge de toutes les outrances. C'est peut-être aussi cette outrance présomptueuse avec le vide que créa la violence qui permit à Kamel Daoud de dire à la place de quelques aînés plus madrés (rendus muets par l'horreur) ; de faire de cet acte de dire, son métier à tisser du verbe. Parce que c'est ce qu'il fait, c'est ce qu'il fit : il dit.
(…) De la pensée unique érigée en dogme, nous n'avions pas eu suffisamment de temps pour sauvegarder les règles élémentaires du dur métier de la pensée plurielle à laquelle nous aspirions tant , nous sommes passés pieds et poings liés au désastre d'une pensée fragmentée. Décomposée. Désintégrée. La pluralité des idées est unie par un socle commun qui fait un tout.
Ce socle avait rendu l'âme. Il n'y avait plus rien pour faire un tout, et tout était réuni pour que rien ne soit. Plus aucune pensée ne se rattachait à l'autre. Comme des particules dans l'univers, une errance cosmique dans le vide. Sans chute, juste avec des risques de collisions tragiques. La violence avait réussi à creuser autant de tombes pour les morts que pour les vivants.
La parole n'était pas considérée comme un point de vue seulement, elle s'apparentait à un positionnement « belliciste » dans la géographie de la mort. Chacun rendait responsable l'autre de ce qui n'était pas censé relever de sa responsabilité. Et comment dire ? Comment écrire ? Comment penser l'impensable ? Comment créer sa propre « musique » dans ce vacarme ? Kamel Daoud se jeta dans cette arène folle, à ce moment précis où le seul « bien vacant » était le marché de la mort. Morituri...
Il est nécessaire de saisir ce moment de l'histoire pour mieux saisir la complexité de Kamel Daoud, de contextualiser la naissance de cet écrivain en devenir dans l'étrange monde de l'écriture. C'est ce qui va déterminer tout le reste de son parcours. Parce que ses chroniques n'étaient pas seulement une analyse politique, un coup de gueule éditorialiste, comme le sont souvent les chroniques dans le monde de la presse, plus aptes à créer de la proximité avec l'idéologie qu'avec l'art. Non. Ses chroniques alliaient l'esprit à l'humour, la noblesse des lettres à la vulgarité morbide de l'actualité, la colère à la légèreté, la réflexion littéraire à la prise de parole politique. Et il le fit pendant presque vingt ans. Chaque jour. Une moitié de vie consacrée à cet exercice aussi exaltant que périlleux.
(…) Audacieux instinctif, d'affranchissement en affranchissement, qui certainement commença avec le village, la famille, la religion, et toutes ces valeurs-boulets qui peuvent empêcher de penser librement, Kamel Daoud franchit les derniers remparts de la citadelle d'un pays engoncé dans la mythologie du passé, il s'affranchit de l'Histoire. Le sacrilège de trop.
Et c'est en cela qu'il est dans l'inédit. C'est en cela aussi qu'il crée de l'incompréhension. C'est en cela que son discours est en totale rupture. S'affranchir de l'histoire pour penser, c'est sûrement sa plus grande audace. C'est aussi sa plus grande faiblesse, sa grande fragilité, un peu son talon d'Achille.
Il refuse d'être otage de l'histoire coloniale quand tout le récit national est tissé autour de cette notion. Nous avons décolonisé un pays, il nous reste à décoloniser son histoire. L'histoire est un héritage à préserver et à revendiquer en tant que tel, pas un pénitencier à fortifier. J'essaye depuis quelques années d'esquisser une réflexion autour de cette question. Peut-on réfléchir à la liberté, au monde de demain, en restant dans la cour de la prison coloniale ? Comment être libre si nous refusons de sortir de cet univers carcéral ? Nous serons toujours colonisés tant que notre rapport à l'histoire elle-même n'est pas décolonisé. Et c'est ce que tente peut-être Kamel Daoud. C'est ce qu'il expérimente à ses dépens. Il transgresse le récit national. Ce n'est pas un hasard si l'insulte suprême, celle qui trône au-dessus de toutes les autres, reste celle de la « trahison ».
Parce que la seule trahison, la seule qui soit réellement inscrite dans la génétique de l'imaginaire collectif, est celle qui renvoie au récit national de la guerre de Libération.
Mais la guerre est finie. Et c'est ce que nous dit aussi Kamel Daoud, qui s'est évadé de la prison depuis plusieurs années. Un homme libre… jusqu'à preuve du contraire. Et en homme libre, la pensée constamment en fuite, il faut qu'il évite les autres prisons. Toutes les prisons. Il est nécessaire pour lui et pour nous qu'il reste ce fugitif. L'homme des grandes évasions.


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