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La brèche et le rempart
Extraits. Premier roman de Badr'Eddine Mili
Publié dans El Watan le 23 - 04 - 2009

C'est le premier roman de Badr'Eddine Mili, né en 1944 à Constantine. Journaliste, militant, syndicaliste, il exerce, après des études en sciences politiques, plusiuers responsabilités dont celle de DG de l'APS. Actuellement consultant international, il entre en littérature avec une écriture sobre et limpide et un sens maîtrisé de la description. Une œuvre qui sera sans doute remarquée. La Brèche et le rempart de Badr'Eddine Mili. Ed. Chihab, Alger, 2009, 336P.
Les Américains, débarqués en pleine guerre, étaient là. Après El-Alamein, les Alliés avançaient en Afrique du Nord. Ils entrèrent à Constantine en triomphateurs, accueillis par les jeunes qui les apostrophaient à coups de « come on » et « bye bye », pastichant le tube du chanteur marocain Slaoui qui faisait fureur à la radio. Tous découvraient le nouveau monde, le chewing-gum, le chocolat, les sodas et les conserves et se gominaient les cheveux à la Rudolf Valentino. Ils avaient entendu dire qu'un de leurs présidents avait promis l'autodétermination aux peuples sous le joug et tous se prirent à espérer la fin de l'occupation.
M'hamed El-Hadi, le frère de Mustapha avait, en ces jours de folles espérances, raflé, par on ne sait quel subterfuge, une cuisinière qu'il offrit en guise de ghanima à la famille, l'œil bleu narquois lançant aux femmes un énigmatique : « Vous allez voir ce que vous allez voir ! Rien ne sera plus comme avant ! » Elles voulaient bien le croire, mais elles avaient de la peine à déchiffrer ses brumeuses prédictions. Quelques années plus tard, l'objet gisait encore dans le débarras avec d'autres vestiges de cette époque. La mère, peu encline à utiliser ce qui venait d'outre-mer, avait obstinément refusé de s'en servir, fidèle à sa méfiance légendaire.
L'abondance et l'allégresse furent de courte durée. Les Américains partis, les Français reprirent du poil de la bête. Pétainistes, quand ils chantaient sur le Pont Suspendu : Maréchal nous voilà, ils tournèrent vite casaque et se déclarèrent plus gaullistes que les gaullistes à l'arrivée du général dans une ville quadrillée par les Corps francs et les Compagnons de France. L'année qui suivit resta dans les mémoires comme « Aâm Echar » et « Aâm el Boun », l'année de la faim et du bon ; les denrées alimentaires furent rationnées et le marché noir battait son plein. Les barons des trafics en tous genres, les gangs et les nervis firent leur apparition et mirent la ville sous le boisseau.
Les anciens qui racontaient cette année de famine affirmaient avoir été jusqu'à manger du rat. Et, pour couronner le tout, le marché couvert s'effondra lors d'une épouvantable tempête de neige qui paralysa la ville pendant plusieurs semaines, et un violent séisme jeta la panique parmi la population qui dut bivouaquer à la belle étoile, éparpillée dans les champs, plusieurs nuits d'affilée. Lorsque les femmes évoquaient ces temps-là, elles parlaient de « Aâm Echar », « Aâm el Boun », « Aâm el Maricane » et « Aâm Ezzenzla ».
Les évènements, qui survenaient ainsi, ne présageaient rien de bon. Ils transportaient avec eux les signes de bouleversements imminents. Les rumeurs les plus contradictoires couraient sur les intentions des uns et des autres. Visiblement l'heure était à l'incertitude. Des voix de plus en plus fortes montaient de quelques tribunes courageuses pour exiger la fin de l'ordre inique. Le pays profond meurtri, mais déterminé, était mûr. Pour s'ébranler, il attendait un signal. Ce sera le 8 mai 1945.
Une année auparavant, Salah-Eddine El Hamadène se maria en grande pompe en présence de tout le clan, frères, neveux, nièces et cousins. Les noces, qui furent célébrées durant plusieurs jours, laissèrent des traces dans les annales de la smala. La fête fut animée par El-Hadwa et cheikh H'souna dont le fils, Mohamed Tahar, débutait dans Chabab El-Fen, l'orchestre moderne qui fut le premier à interpréter, à l'instigation du cheikh Abdelhamid, le chant patriotique de Hayou Echamal. La nouvelle épouse de Salah-Eddine, élevée dans une famille aisée de Méchatis, à l'orée de la médina, dans un derb réputé, était belle, fine et d'une sensibilité peu commune. Elle accepta son nouveau statut sans y trouver à redire. Il lui avait suffi que son père, qui la chérissait démesurément, le lui demande pour qu'elle accepte d'épouser ce jeune veuf sans chercher à en savoir plus.
Elle descendit du chatt vers Aouinet El-Foul dans un cortège de calèches encadrées par des cavaliers qui tiraient des salves de tromblons à n'en plus finir. Elle se souvenait qu'elle était en beauté dans sa gandoura violette en velours, brodée d'or. Neuf mois plus tard, son premier enfant frappa ses trois coups par une nuit de frimas qui précédait de peu l'hibernation générale. Il poussa un cri fort et ferme. Mamma, l'aïeule, l'accueillit dans ses mains expertes en annonçant d'une voix de stentor : « C'est un garçon. » Elle l'avait saisi gaillardement pour le laver et l'emmailloter, puis le présenter au père, fier comme un coq : « Voici ton fils. »
La mère, qui n'avait pas encore récupéré de ses efforts de primipare, la dernière cuillerée de z'rir entre les dents, lâcha : « Mustapha ! Je l'appellerai Mustapha comme le Prophète. » Jusqu'à la fin de ses jours, elle ne cessa de trouver des diminutifs à ce prénom : « Mousmous, Fousfouss, Fousseïfissa, Stopha… », y mettant le souffle de sa foi inébranlable autant que l'élan enjoué avec lequel elle se plaisait à mettre en scène, avec un art consommé, les contes des Mille et Une Nuits.
Au cours des longues veillées d'hiver, elle faisait revivre, avec l'inépuisable verve d'une prodige, et pour l'émerveillement d'un auditoire médusé, les personnages mirifiques de Schahrazede, Schahraïar, Kamr-Ezzamène, Haroun Errachid et El-Baramiki, le défenseur des pauvres. « Si par malheur il t'arrivait de mourir, je mourrais instantanément, car depuis ta naissance, me relie à toi khaït errouh, le fil lumineux de l'âme. » confia-t-elle, un jour, à Stopha, entre deux baisers dans le cou, là où elle aimait le sentir. Elle ne faisait aucun mystère de ce qu'il fût sa seule raison de vivre, bien qu'en l'espace de dix-sept ans, elle eût mis au monde huit autres enfants. Juché sur son berceau à roulettes qui allait abriter, à tour de rôle, ses nombreux successeurs, Stopha l'observait vaquer à ses occupations, dans sa robe de percale, de taffetas ou de crêpe de Chine à fleurs roses, les cheveux fins noués sur la nuque dans un foulard de soie méziana, un feu follet, de l'éther, du mercure, c'est à peine si elle touchait le parquet, sa voix cristalline doublant Ismahane, la belle chanteuse égyptienne qui roucoulait dans le haut-parleur de la TSF. (…)
Zouaki ! Tout le monde l'appelait Zouaki, le diminutif de Zakia, la pure bien-aimée, prenant exemple sur son père qui avait choisi de la surnommer ainsi. Elle était sa préférée. En vérité, elle avait été enregistrée à l'état civil sous le prénom de Zoubeïda, la « petite crème », très usité dans les familles kouroughlies ; mais personne ne l'avait jamais appelée ainsi à la maison. Zoubeïda était froid, neutre et conformiste. Zouaki lui allait comme un gant. Il sonnait à la façon d'une déclaration d'amour pour la vie triomphante. C'était aussi une manière pour son entourage de la câliner, de lui dire son bonheur de vivre avec une jeune fille si gracile, très tôt distraite à ses jeux d'enfant et à ses rêves d'adolescente solitaire et romantique.
Esthète, elle avait une inclination naturelle pour les arts et en particulier pour la musique. Au petit-déjeuner, elle réveillait sa nichée au son des violons langoureux, des nays et des luths grisants des orchestres égyptiens et tunisiens. Rien ne lui était étranger de ce qui concernait Nadjet Essaghira, Leila Mourad, Affaf Radi, Siham Rifki, de Hassiba Rochdi, Fethia Khiri, Hedi Jouini, El Djamoussi et Wadî Essafi. Elle citait de mémoire Chawki et reprenait avec l'engouement d'un connaisseur Ched essif ouhaya guebalni, Dalamouni, Djaratou Elouadi, les refrains de Ali Riahi, Farid Al Atrache et Mohamed Abdelouahab. Elle répétait les zedjels et les mahjouz de Zyriab, les maya et les aya interprétés par Belabjaoui, Benrachi, El Amouchi, El Kourd, Toumi, Chaklab, Bestandji et Baba Abid, le zornadji maître de Darsouni et de Sadek Bentobbal. Elle était l'oiseau d'Orient. Avec Zouaki, le brouillard matinal se dissipait comme par enchantement.
La musique n'était pas la seule corde à son arc. Stopha adorait ses magnifiques représentations théâtrales. Elle jouait avec un détachement de surdouée, et entrait dans la peau des personnages les plus inattendus. Elle était Janus qui pleurait, Janus qui riait. Il ne perdait aucun de ses gestes, notait ses répliques et ses silences. Il était son spectateur inconditionnel et elle était son unique comédienne. Leur scène : la maison et ses dépendances.


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