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«C'est unique au monde»
Publié dans El Watan le 14 - 04 - 2018

– Quel était le contexte de la création de cette fresque à Maamoura ?
C'était l'époque de la révolution industrielle, de la révolution agraire et de la révolution culturelle. L'industrie construisait les machines qui servaient à travailler la terre. Du côté culturel, le théâtre était très impliqué dans la justice sociale et les droits de la paysannerie. A l'avant-garde, il y avait Abdelkader Alloula et son équipe à Oran.
En 1973, le TRO a lancé une initiative de séminaire à Saïda avec la participation de Abdelkader Djeghloul, Mediene Benamar et d'autres, comme Merzak Allouache, qui a filmé, mais qui, malheureusement, ne retrouve plus les bandes, et puis l'Université populaire de Sidi Bel Abbès et le Théâtre de Saïda qui s'appelait Prolet-Cult.
Le séminaire portait sur la relation entre théâtre, culture et révolution agraire et on nous avait invités comme artistes-peintres. Il y avait Mohamed Khadda, moi-même, Zerrouki Boukhari, qui était peintre et scénographe du TRO, et Mohamed Benbaghdad (Baghdadi de son vrai nom) qui était peintre, journaliste et membre du groupe Aouchem. Pendant la semaine, on nous a proposé une journée de volontariat dans un village en construction à 45 km de la wilaya, dans les steppes.
Dans le cadre de la révolution agraire, il a été décidé d'attribuer des parcelles de terre aux paysans. On s'est entendu avec Khadda et les autres pour proposer une œuvre collective sur un grand panneau pour la future école du village. On ne voulait pas juste faire semblant d'aider. On n'est pas des maçons ou des plombiers, on voulait apporter vraiment ce qu'on sait faire.
– Comment s'est déroulée la création de cette œuvre ?
Ce n'est pas facile de faire une œuvre collective. Chacun à ses idées, sa vision, ses habitudes… On s'est entendus pour s'entendre (rires). La wilaya nous a fourni le panneau et tout le matériel. La veille au soir, on a fait une réunion rapide. On a fait circuler une feuille pour une esquisse collective. Rapide. Pas de discussion. On garde comme c'est. Si on commence à retoucher, on n'en finit pas. Le matin, les camions sont venus nous prendre avec les autres volontaires. Sur place, il y avait les tracteurs et les camions déjà en pleine action.
C'était au mois d'avril, mais le soleil tapait fort. On a sorti notre matériel, on a accroché l'esquisse et on s'est mis au travail. Ca bougeait tout autour. Des intellectuels venaient discuter, des gens passaient nous voir. Vers la fin de la journée, on a rassemblé les attributaires pour leur expliquer le sens de notre travail. Beaucoup nous disaient : «C'est quoi ce gribouillage !» Ce n'était pas méchant.
Quand on leur a dit que c'est pour les murs de la nouvelle école, ils l'ont accepté. Ils ont le réflexe de générosité. Il y a eu une scène très forte, filmée par Merzak Allouache. Les attributaires ont pris le panneau sur leurs épaules et ils l'ont emporté pour le mettre à l'abri. Voilà comment s'est déroulée la création en une journée. Il ne fallait pas rester plus, sinon on commence à retoucher… Il faut garder l'intensité du moment.
– Vous ne l'avez plus revu depuis ?
Non. Certains d'entre nous sont repassés à Saïda pour des activités et stages culturels. Les années passaient et on organisait plein de choses un peu partout. L'importance de ce panneau est que, en Algérie, c'est la première œuvre collective à destination du public. Dans ce contexte, les gens ne savaient pas ce qu'était une peinture. Mais ce n'est pas un problème. Ce n'est pas un manque. Les années sont donc passées. Les années 80 et puis les années noires et puis ça s'est calmé.
J'avais des échos du panneau de Maamoura de temps en temps. Les mauvaises langues disaient : «Awah, ils ne l'ont pas gardé, ils l'ont abîmé, il a disparu…» J'ai témoigné de cette réalisation dans le film de Djaoudet Guessouma sur Khadda. Et puis, il y a deux ans, j'étais jury dans le Festival du film engagé d'Alger. Je rencontre Moulay Belkacem, président de l'association Ciné culture de Saïda. Il a voulu m'inviter à Saïda.
Alors je lui ai parlé de Maamoura. Il ne connaissait pas cette histoire. De retour à Saïda, il m'envoie un mail avec des photos du panneau dans une salle de classe ! Il fallait que j'aille voir ça. J'en ai même parlé à Madame Orfali, conservatrice au Musée des Beaux-Arts, qui a proposé de la restaurer et de la classer patrimoine national. J'ai dit : je vais y aller. Je suis parti en novembre dernier comme signalé dans votre journal.
– Comment se sont passées les retrouvailles ?
On a rencontré les intellos de Saïda autour d'un thé avec Moulay Belkacem. On m'a dit que, si elle a survécu jusqu'à présent, c'est grâce au chef des patriotes de Maamoura. Cette région a beaucoup souffert du terrorisme. Il y avait des attaques contre les paysans… Le chef des patriotes a pensé à cacher la fresque pour la protéger des terroristes. Il l'a mise à l'abri sous un amas de foins. Elle est restée là des années jusqu'à ce que la situation se calme.
Quand on m'a raconté ça, je tremblais d'émotion : ça, c'est pas n'importe quoi ! Après, on est partis à Maamoura. Autour des maisons d'origine, toute une cité s'est construite et le village s'est agrandi. Quelqu'un s'est chargé d'avertir Mohamed Belhamidi, l'ancien chef des patriotes qui est actuellement président de l'APC.
On arrive à l'école. Le directeur, un jeune sympathique et compétent, nous accueille chaleureusement avant même de savoir qui on est et ce qu'on vient faire. Il nous offre des gazouz et dès que je mets le dossier sur la table, la secrétaire, en passant, remarque la photo et s'écrie : «Ah, mais voilà le tableau !» Elle me dit : «Mais il est là !» J'ai commencé à raconter l'histoire.
Le directeur savait qu'il fallait en prendre soin mais il ne connaissait pas son histoire. Il n'était pas encore né à l'époque. Son père, par contre, était présent en 1973. Alors on nous conduit à la classe où se trouve l'œuvre. C'était beau, les enfants en rose et bleu avec les yeux grands ouverts. Les élèves nous font un chant d'accueil. Ce n'était pas préparé. Je rentre. Je vois l'œuvre. Et là je n'ai pas résisté.
J'ai pleuré. C'était le silence total. Tous me regardaient. Je me suis rapproché de l'œuvre et je l'ai touchée. Elle était blessée. Je l'ai longuement regardée. Là, j'ai compris qu'il ne fallait rien y changer. Elle doit rester comme elle est. Comme ça, elle raconte tout son vécu. Si on la restaure à son état d'origine, ce serait un mensonge. On doit juste ajouter un commentaire pour raconter son histoire. Le directeur a raconté à la classe d'où venait le tableau et a terminé en disant : «Et cette signature que vous voyez, c'est lui!».
– Qu'en est-il du patriote qui a sauvé cette œuvre ?
Je l'ai rencontré une première fois. Il était accompagné de sa femme, institutrice de français. C'était une très grande émotion de rencontrer ce monsieur. Sa femme nous a raconté qu'après que le tableau a survécu au terrorisme, il a failli être perdu. Il était installé de nouveau dans la salle de classe qu'un peintre en bâtiment devait repeindre.
Il a failli passer une couche de peinture dessus, histoire de le rénover (rires). Heureusement que Belhamidi a averti à temps de ne pas y toucher. Il y a plusieurs histoires autour de cette œuvre. C'est unique au monde. La création dans un esprit de solidarité avec les paysans et puis la sauvegarde de l'œuvre, par des gens qui n'ont pas spécialement de connaissances dans le domaine de l'art, dans une période très difficile.
Le village a subi des attaques, on allait faire sauter la pompe à essence, l'école risquait d'être incendiée… Belhamidi et les gens qui l'ont aidé pour cacher l'œuvre dans un hangar ne l'avaient raconté à personne à l'époque. Ces gens risquaient leur vie pour protéger les biens de la commune.
Et parmi ces biens, ils ont pensé à protéger ce tableau. Belhamidi m'a accueilli chez lui. C'est le maire de Maamoura et il habite un appartement modeste (il ne m'en a pas parlé, mais il descend d'une famille de résistants et de révolutionnaires contre la colonisation française). Il m'a raconté tout ce qui s'est passé durant les années 1990. Alors j'ai dit : il faut qu'on fasse un événement avec des témoins des différentes périodes de la vie de ce tableau.
– Et vous l'avez organisé entre Maamoura et Saïda. Comment cela s'est-il passé ?
Ce n'était pas facile de sensibiliser les responsables pour soutenir cet événement. On voulait faire quelque chose de consistant, pas un truc superficiel. Pour les témoins, il y a Kamel Bendimerad, le journaliste spécialiste du théâtre amateur de l'époque, qui a tout de suite dit oui. Les autres journalistes présents, Saïd Mohand Ziad et Hamid Skif sont malheureusement décédés. Mediene Benamar voulait venir mais il était malade.
Le peintre Mohamed Benbaghdad était avec nous. Comme je ne voulais pas rester dans le passé, j'ai proposé à Abdelkader Belkhorissat (directeur de l'Ecole des beaux-arts de Sidi Bel Abbès) de ramener des étudiants pour réaliser une fresque à l'extérieur de l'école.
Les quatre étudiants (Zineb Belhamiche, Amira Bouzar, Mohamed Soumeur et Mehdi Brahim) étaient encadrés par Belkhorissat, le peintre Karim Sergoua et un jeune peintre de Sidi Bel Abbès, Amine Ghalmi, qui fait un beau travail autour de la calligraphie arabe. J'ai aussi invité un conteur que j'aime beaucoup, Kada Bensmicha. Il a fait un travail extraordinaire avec les enfants autour de la toile. Je ne vous parle pas des complications pour l'organisation…
– Des institutions officielles vous ont-elles soutenus ?
Vu que cela se passe dans une école, Mme Orfali a proposé de contacter le ministère de l'Education. Mme Khadda, qui connaît la ministre, l'a contactée et Mme Benghabrit a dit oui tout de suite. Avec tous les problèmes des grèves, elle n'a pas pu venir, mais elle a donné son accord par écrit et donné des directives pour faciliter l'accueil.
Entre-temps, on a fait un enregistrement à la télévision avec Karim Amiti. Le maire, Belhamidi, était invité et il m'a dit : «Pour Maamoura, ne t'inquiète pas, je me charge de tout.» Après la rencontre avec les témoins de l'époque, Moulay voulait que les conférences,autour de l'histoire de l'œuvre et son devenir se passent à Saïda. Finalement on a fait deux fois la conférence, à Maamoura et à Saïda à la Maison de jeunes.
On a aussi présenté les films sur Khadda, par Djaoudet Guessouma, et sur moi, par Claude Hirsch. On avait un minibus à notre disposition, de la wilaya je crois, durant tout l'événement. Pour l'ouverture officielle, la directrice de l'éducation de Saïda, Mme Soumia Hamana, était présente. Kadda Moussouni, le directeur, nous a accueillis dans son école avec des dattes et du lait dans la tradition de l'hospitalité.
– Quel public était présent ?
Des gens sont venus de Mostaganem, de Sidi Bel Abbès, d'Oran… Tous les anciens du théâtre amateur, et puis des intellectuels de Saïda qui avaient beaucoup à dire. Plein de gens engagés à gauche aussi ! Une petite dame voilée, enseignante dans la région, est venue me voir pour me dire : «Je suis une syndicaliste, une militante du PAGS!». La rencontre a réveillé beaucoup de gens engagés qui voulaient témoigner et parler aussi de la situation actuelle.
La rencontre, la grande rencontre c'était avec les attributaires de Maamoura qui ont assisté à la création de la toile. Ils étaient là, silencieux dans leur kachabia. Ils ont entendu parler de ce Martinez qui vient d'Alger. Point d'interrogation… Quand j'ai dit «Salam alikoum». Ding! «Marhaba, on est contents de te retrouver», on se prenait dans les bras… Il y avait le père du directeur de l'école qui se souvient bien de ce jour.
A Maamoura, il y avait une immense kheïma dans la salle polyvalente. Sur les meïdates, on voyait défiler toutes les spécialités culinaires de la région. Pendant le repas, il y avait des prises de parole percutantes. L'histoire, le melhoun, l'engagement… L'imam nous a aussi reçus dans sa maison avec un délicieux méchoui. Et dès que j'étais dans la rue, les enfants venaient me prendre la main et me demander : «Nta houwa Martinez ?».
– Qu'en est-il des conférences ?
On a eu quelques défections parmi les intervenants. Pour le coup, on a rassemblé différents axes en un seul. Il y avait un bon modérateur bilingue. C'est important parce que les jeunes sont plutôt arabophones dans la région. Il y a eu des témoignages importants, autant sur l'estrade que dans le public. Beaucoup de gens voulaient prendre la parole.
Les jeunes écoutaient et découvraient ce passé peu connu. Ils ont reçu l'événement avec joie et ont tout fait pour nous aider. Il y a une immense attente pour ce genre d'événement. Les gens n'ont pas été empoisonnés par l'intégrisme.
Et puis le maire a fait une très belle intervention où il a raconté l'historique de sa région. Il en a une connaissance parfaite. Le nom Maamoura date de l'époque de Boumediène. C'est une référence à la tribu des Maameria, qui habitait la région. Et puis il y a eu le travail génial de Bensmicha avec des chants et des contes.
– Devant cet enthousiasme, avez-vous pensé à d'autres événements dans la région ?
La maire de Maamoura a lui-même proposé de faire un événement encore plus important. Mais un événement toujours culturel. Il a proposé que Maamoura devienne le village des arts plastiques. Tu te rends compte ! Du coup, on réfléchit sur des interventions à l'extérieur, mais aussi du théâtre, du conte, de la musique.
Une espèce de Racont'art adapté. C'est un événement important qui a réveillé une dynamique. Il ne s'agit pas seulement de revenir sur le passé. Le contexte est important. On est dans une réalité concrète, il n'y a rien d'artificiel. Il faut sortir des trucs tape-à-l'œil et aller vers de vraies expériences où on va vers les gens et où ils sont impliqués.
– Que deviendra la fresque ?
Elle sera super protégée ! Elle reste à l'école. Le directeur me dit qu'elle ira dans la salle d'informatique qui est bien protégée. Ils veulent aussi en faire une carte postale. Et puis les gens proposent des noms comme «La fresque du renouveau culturel», par exemple. Bref, elle continue à jouer son rôle. C'est comme une vieille batterie qui continue à fournir de l'énergie !


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