Ça diffère d'une chaîne à une autre, mais le changement, ça s'entend à la radio. Sur les ondes de la Radio nationale, on entend enfin des voix longtemps interdites et des manifestants qui hurlent et exigent le départ du régime. Puis à la télévision publique, les plateaux s'ouvrent timidement sur des black-listés, mais attention, le JT de 20h, pas touche ! Un changement difficile. La mobilisation des journalistes, une véritable révolutions interne, tente de changer les choses. A l'occasion de la Journée internationale de la liberté de la presse, El Watan Week-end a choisi de faire le focus sur les médias audiovisuels lourds. De «servitude» à «libération», l'élément déclencheur de cette soif d'un véritable service public vient au lendemain du mouvement populaire enclenché le 22 février.
Ce n'est pas nouveau, la radio connaît de la censure depuis des années. La nouveauté est plutôt ce «hirak interne», au début du mouvement populaire du 22 février. Pour mission essentielle de service public, les journalistes et l'ensemble du personnel se sont mobilisés pour dire «non à l'impasse» sur les marches populaires. Une révolution difficile, mais qui a tracé son chemin. Avec un mouvement populaire qui a duré (et dure encore) deux mois et demi, la Chaîne 3 vient en pole position en matière de parole libre, suivie un peu plus loin par la Radio internationale d'Alger (RIA). Au bas de l'échelle, vient la Chaîne 2 (en tamazight) puis la Chaîne 1 (en arabe). «Il y a eu plus d'audace et d'engagement de la part du staff journalistique de la radio Chaîne 3. Une chaîne qui demeure l'un des acteurs le plus crédibles dans le paysage audiovisuel, espérons que la télévision et l'APS suivront», témoigne un journaliste de la télévision. A la Chaîne 2, il y a eu un certain ras-le-bol, mais la protestation n'était pas conséquente. La chaîne internationale a bien bougé grâce à la détermination de certains journalistes qui pointaient du doigt la forte censure de leur directeur, très contesté. Quelle que soit la situation, à l'intérieur des rédactions, «les choses se sont améliorées». Et cela, ça s'entend ! Evidemment, puisqu'on passe d'un black-out et d'une impasse imposée sur le mouvement à des articles traitant «des manifestations pour demander le changement», puis «des marches contre le 5e mandat», à «des millions pour demander le départ du régime» et surtout des plateaux, particulièrement à la Chaîne 3 ouverts à de personnalités politiques, autrefois interdites d'antenne. Une liberté plutôt arrachée. Mais, à signaler par contre, que des personnalités politiques sollicitées ces derniers jours par les journalistes ont décliné l'invitation «sous prétexte qu'ils ont été longtemps interdits d'antenne», notamment à la Chaîne 2, comme Mohcine Belabbès, Mokrane Aït Larbi ou encore Karim Tabbou. Car, à l'intérieur des rédactions rien n'était facile. Ainsi, apprend-on, le directeur de la Chaîne 2, par exemple, refusait certains invités et intervenait sur le montages sonores à diffuser !. Aujourd'hui, un esprit d'une certaine fierté règne : «Nous couvrons normalement les marches et les mouvements de protestation. Il y a une ouverture qu'il faut renforcer.» Au début du mouvement, la direction de la radio a refusé d'en parler. Puis elle a cédé sous la pression des journalistes et du personnel : «Dire uniquement que ces marches réclament des réformes politiques.» La direction a tenté de maintenir la main sur les différentes rédactions, mais c'est cette direction qui a fini par être limogée. Le directeur de la radio a donné des instructions verbales pour faire l'impasse sur le mouvement populaire. Ras-le bol Les premières contestations de journalistes ont commencé le 22 février. Certains membres de la rédaction de la Chaîne 3 (en français) ont demandé des explications à leur directrice. Exigence : «Pourquoi on ne tend pas la perche aux citoyens que nous abordons quotidiennement pour un oui pour un non ? Aujourd'hui qu'ils investissent la rue pour exprimer leur refus d'un passage en force d'un président incapable pour un 5e mandat, on leur tourne le dos !» Une demande sur laquelle les journalistes de la Chaîne 3 ne voulaient absolument pas céder. Mais au début, silence radio de la part des responsables. La directrice s'est contentée de dire «ce sont des instructions qui viennent d'en haut, c'est-à-dire de la direction générale». Le lendemain, les journalistes campaient sur leur position. En signe de mécontentement, une présentatrice a même refusé de passer une déclaration de Mouad Bouchareb du FLN dans son journal. Une manière de dire «nous traitons tout le monde sur le même pied d'égalité». Une façon, pour les journalistes, de mener le combat à l'interne. Un ras- le- bol hautement et fortement exprimé. Puis un jour, un journaliste a refusé catégoriquement de faire un reportage sur le terrain, avec les citoyens, en signe de protestation, expliquant que «la radio nationale appartient au peuple, pas à l'Etat». Ce climat de tension entre la plupart des journalistes de la Chaîne 3 et leur hiérarchie a duré quelques jours, jusqu'à ce que la direction cède partiellement. Mais le combat n'a pas cessé jusqu'à ce que la parole soit entièrement libérée. Aujourd'hui, ce sont «les journalistes qui font la ligne éditoriale, pas les responsables». Puis est venu le changement que tout le monde attendait à la tête de la Radio algérienne. Une femme est nommée directrice générale, une première dans l'histoire de la radio. Elle vient remplacer l'ancien directeur, très contesté et critiqué. Car il avait tout verrouillé. D'ailleurs, à la veille de son limogeage, la corporation s'apprêtait à organiser un sit-in. Le poste de cette directrice est encore vacant. La Chaîne reste sans responsable. A la chaîne 1, nous avons entendu qu'ils «recevraient des menaces de la part de leur directeur qui prétendait devenir le DG de la radio, du coup, personne n'osait lui tenir tête de peur des représailles». Attentes La nouvelle direction, en poste depuis le 12 avril dernier, a du pain sur la planche. Apparemment très appréciée, la corporation de la radio dit attendre beaucoup d'elle. «Un véritable service public pour lequel les citoyens payent.» Espérance : «Nous attendons qu'elle change d'abord les directeurs de chaîne et renforce davantage le champ des libertés pour un service public réel, fiable, pour rétablir la confiance avec l'auditoire.»