PDG d'Alliance Assurances et candidat à l'élection au poste de président du FCE, Hassane Khelifati revient sur les dérives de l'ancienne direction du FCE, le mouvement de contestation, mais aussi sur l'incarcération des chefs d'entreprise et la crise économique qui ne cesse de s'aggraver. Dans l'entretien qu'il nous a accordé, il évoque la baisse de production en raison de la réduction de la consommation, mais aussi les retraits massifs des banques par les petits déposants en raison de la crainte du lendemain. – Vous venez d'annoncer votre candidature à l'élection pour la présidence du FCE (Forum des chefs d'entreprise), prévue le 24 juin prochain. Est-il possible de remettre sur les rails cette association après avoir été vidée de ses membres en raison de la gestion controversée de l'ancienne direction ? Il est vrai que le moral des membres est au plus bas. Ils sont déroutés, perdus et désabusés par cette image que la rue a de l'association et des chefs d'entreprise. Une image de voleurs, de privilégiés et de fraudeurs. Certains membres veulent reconstruire ce qui a été détruit, d'autres ont quitté et ne veulent plus revenir. Il faut une nouvelle dynamique pour redonner confiance à tous pour les faire revenir. Il faut reconnaître que la gestion de l'ancienne direction a causé des dommages importants. – Dans sa lettre de démission adressée à l'assemblée générale, Ali Haddad, ex-président du FCE, avait déclaré que toutes les décisions qu'il prenait étaient validées aussi bien par l'assemblée générale que par le conseil exécutif. Ne sommes-nous pas devant une responsabilité partagée ? Comment peut-on dire cela, lorsque l'on sait que les décisions de la direction étaient votées à main levée par le premier cercle de l'ex-président du FCE. Plusieurs membres avaient exprimé leur désaccord. D'autres avaient très peur. Ils n'osaient pas en parler. Certains, comme moi par exemple, ont fini par geler leurs activités. Le contexte de l'époque ne permettait aucune contestation. Le plus important problème du FCE c'est qu'il a été transformé en un nid de privilégiés et un comité de soutien à un cercle politique. En 2014, ils nous ont dit qu'il fallait enlever Hamiani qui, selon eux, affichait sa proximité avec les dirigeants. Cinq ans après, nous n'avons pas avancé, l'image des chefs d'entreprise a été affectée et la situation est chaotique. Nous ne disons pas qu'il faille couper avec les dirigeants politiques. Bien au contraire, il est indispensable de dialoguer avec eux dans l'intérêt de l'entreprise. Ce qu'il faut éviter, c'est cette immixtion dans la politique et ce mélange des genres. Si un chef d'entreprise veut faire de la politique, il le fait à titre privé. Faire de l'association un comité de soutien à un candidat est une dérive. – Beaucoup ont parlé du financement occulte des campagnes électorales des mandats du Président déchu par le FCE. Qu'en est-il au juste ? Si cette pratique a existé, elle n'apparaît pas clairement. Les transactions n'ont pas transité par les comptes officiels du FCE. S'ils donnaient de l'argent directement, ils doivent assumer leurs responsabilités. Dans le cas où je serais élu à la tête de l'association, je mettrais des garde-fous pour empêcher ce genre de pratiques. – Dans votre lettre d'intention de candidature à l'élection au poste de président du FCE, vous insistez sur le mouvement de contestation populaire. Pensez-vous que le changement est aujourd'hui permis ? En fait, j'ai dit que depuis le 2 mars dernier, le pays vit sa marche de l'histoire. L'Algérie d'aujourd'hui n'est pas celle d'avant le 22 février. De nouveaux acteurs sont apparus, de nouvelles valeurs à défendre, en bref, nous nous sentons dans une Algérie des libertés démocratiques. Le FCE aurait dû s'impliquer dès le début dans cette vague de changement, être au milieu ou au-devant du peuple qui sortait chaque vendredi. Il ne l'a pas fait. Mais, individuellement de nombreux chefs d'entreprise étaient présents. Maintenant, il faut reconnaître qu'après trois mois de contestation, il y a eu des acquis. Les changements vont avoir lieu. Mais ils ne peuvent venir en gardant les mêmes pratiques et le même personnel. La conséquence, c'est cette crise politique que le pays traverse. – Cette crise n'a-t-elle pas impacté la sphère économique, étant donné que l'on évoque déjà des centaines de petites entreprises qui auraient disparu ? Il faut reconnaître que la situation économique était déjà en mauvais état. Cependant, elle s'est aggravée depuis quelques mois en raison de la situation de statu quo politique dans laquelle nous sommes. Vous devez savoir que beaucoup d'entreprises ont un problème d'écoulement de leur marchandise, parce que la consommation a beaucoup baissé. Les Algériens sont dans l'attente. Ils ont peur du lendemain. Depuis le début des marches, ils ont retiré leur argent et l'ont stocké chez eux. De leur côté, les entreprises ont baissé leur production. Le taux de croissance a d'ailleurs été revu à la baisse ces jours-ci par le FMI. Il est passé de 2,7 à 1,9%. A ce rythme, la situation va encore s'aggraver. Il faut souhaiter que des solutions soient trouvées rapidement pour reprendre en main la situation. Les solutions existent, il suffit juste qu'il y ait un dialogue avec l'ensemble des parties concernées. – Est-il possible de redresser la barre en situation d'impasse politique ? Notre domaine d'activité reste l'économie. Nous ne pouvons être à la place des acteurs politiques. Nous pourrons faire des propositions en tant que membre de la société civile, à travers l'association. Il suffit que le politique prenne des décisions pour dépasser la crise. Après, il faut que les Algériens se remettent à travailler. Aujourd'hui, c'est un peu difficile, parce que les gens sont perdus et se posent des questions sur leur devenir, sur les objectifs atteints et non atteints des marches, etc. Le manque de perspectives perturbe dangereusement la machine économique. Il est urgent de résoudre la crise politique. – Dans cet environnement de crise politique et économique, comment encourager les chefs d'entreprise à revenir à l'association et être actifs sur le terrain ? Il y a un groupe de chefs d'entreprise qui travaille pour que l'association revienne en force dans l'intérêt de tous. C'est vrai qu'il y a encore le poids de cette démoralisation et de cette déception des membres, mais nous pouvons, en conjuguant nos efforts, faire renaître l'espoir d'un avenir meilleur avec la collaboration de tous. – Comment allez-vous travailler, sachant que l'ancienne direction a transformé l'association en syndicat ? En fait, l'ancienne direction avait tenu une assemblée générale pour créer un nouveau syndicat, sans pour autant dissoudre l'association. Donc les deux organisations existent légalement aujourd'hui. Il y a un débat actuellement sur la question de rester association ou d'aller vers un syndicat. Il a débouché sur la nécessité de rester une association, mais avec une nouvelle direction et de nouvelles méthodes de conduite. – De nombreux chefs d'entreprise, dont l'ex-président du FCE, ont été poursuivis et placés en détention. Quelle lecture faites-vous de ces affaires ? Ce qu'on doit retenir, c'est surtout le respect du droit à la présomption d'innocence. Je souhaite que la justice ne soit pas celle des règlements de comptes ou de vengeance. Un chef d'entreprise est avant tout un justiciable comme les autres. Ceux qui sont poursuivis pour avoir bénéficié de privilèges ne doivent pas être les seuls devant la barre. Même ceux qui leur ont permis d'être dans le statut de privilégiés doivent répondre de leurs actes. C'est vrai que la situation fait peur, mais laissons la justice faire son travail. C'est à elle de trancher.