Le 47e vendredi du mouvement populaire a été celui de la continuité de la mobilisation à Béjaïa, malgré la menace du ciel et la pluie fine qui est tombée. Engagement et détermination sont les deux mots qui résument l'état d'esprit des milliers de manifestants qui continuent à sortir dans la rue pour dire leur refus d'accepter le fait accompli de la dernière élection présidentielle. Les premiers carrés ont pris position dans la rue avec un léger retard inhabituel, donnant des doutes aux observateurs qui appréhendent les conséquences de l'usure. Mais l'essoufflement est, visiblement, loin de se produire. La mobilisation s'est mesurée au grand monde qui a rempli en largeur et en longueur les deux longs boulevards de l'ALN et de la Liberté. Les nombreux groupes de jeunes citoyens, bien organisés et rodés à l'action de rue, sont venus avec «armes et bagages», leur arme étant l'action pacifique auréolée d'une animation artistique. L'un de ces groupes n'a pas lésiné sur les moyens, avec costumes et mise en scène, pour dédier tout un carré humain pour les médias à qui l'on ne pardonne pas d'avoir tourné le dos au peuple. Des messages d'exaspération lui sont adressés à travers des pancartes qui y ont foisonné : «Bassesse des médias = société en danger de mort», «Presse de la honte, épouse du démon, tu finiras par brûler ton âme», «La presse du régime nage toujours dans les eaux troubles, mais nous tenons bon», «La presse de la honte est l'ennemi du mouvement», «Les médias algériens devraient ouvrir les portes à une pensée différente», «Donnez-moi des médias sans conscience, je vous donnerai un peuple inconscient», «La presse médiocre abrutit le peuple», «Tombée de masque des médias médiocres = liberté du peuple», «Analyse toi-même l'événement et ne laisse pas les médias maîtriser ton cerveau.» Les mots hurlants des pancartes brandies sont ceux d'un réquisitoire qui prend à partie la presse publique, mais aussi une partie de la presse privée dont les manifestants ne se sont pas empêché de mettre en avant les titres et les sigles. La lourde accusation de «sahafat el âar» (presse de la honte) fait toujours crier des milliers de gorges furieuses. Dans une théâtralisation qui témoigne du génie populaire, de jeunes manifestants ont joué les rôles de journalistes, aux visages couverts par des affiches portant les sigles de la télévision publique et de certaines chaînes privées. Ils entourent un jeune en tenue militaire pour figurer le chef de l'état-major de l'armée qui les tient d'un bout d'une corde et à qui ils tendent le microphone, tandis que l'un d'eux lui brosse vêtement et chaussures. La symbolique de l'allégeance, claire et forte, est mise en avant. La scène est jouée sur fond du foisonnement de pancartes et de deux grands panneaux, dont l'un porte les portraits de certains journalistes des médias publics que l'on remercie d'avoir «respecté les principes de la profession en se positionnant aux côtés de la révolution du peuple». Les animateurs du carré portent tous des gilets jaunes flanqués au dos de cette affirmation : «La révolution pacifique continue». Entre les vœux «Assegwas ameggaz» (Bonne année amazighe que nous célébrerons demain) que certains n'ont pas oublié de mentionner sur leurs pancartes, on n'a pas omis également d'avoir une pensée pour les détenus qui croupissent encore dans les prisons. «Liberté pour Brahim Lalami», le détenu de Bordj Bou Arréridj, lit-on sur un panneau, alors que de nombreux manifestants ont marché avec le portrait de Baba Nedjar, «le plus vieux détenus d'opinion du pays» condamné à la perpétuité à Ghardaïa. La femme et les enfants de Abdelouahab Fersaoui, président du RAJ, ont marché aussi pour exiger sa libération et celle de tous les détenus politiques, d'opinion et ceux du drapeau amazigh, à qui la rue continue de porter un intérêt qui ne diminue pas. Une pensée est exprimée aussi pour les blessés déplorés lors des dernières élections. L'association Tafrara Talsa, basée à Chemini, se mobilise, comme chaque vendredi, avec son ambulance et ses adhérents pour faire une quête dédiée à ces détenus, dont trois sont sur sa liste : un de la ville de Béjaïa, un autre de Oued Ghir et un troisième de Bouira. «Nous n'avons pas les noms de tous les blessés, que ceux qui ont besoin qu'on les aide pour leurs soins se manifestent», nous dit, au cours de la marche, un des militants de cette association dynamique.