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Le Cimetière musulman de Bobigny, lieu de mémoire d'un siècle d'immigration
Marie-Ange d'Adler
Publié dans El Watan le 27 - 06 - 2005

Auteure de Le Cimetière musulman de Bobigny. Lieu de mémoire d'un siècle d'immigration (éditions Autrement, collection Français d'ailleurs, peuple d'ici), Marie-Ange d'Adler est journaliste. Elle a participé à la création du Matin de Paris et travaillé à l'Evénement du jeudi. Elle prend part à la préparation d'une exposition sur le 70e anniversaire de l'hôpital franco-musulman qui s'ouvrira le 24 novembre 2005.
Par quelles circonstances avez-vous découvert le cimetière musulman de Bobigny ?
J'ai découvert le cimetière musulman de Bobigny en 1998, alors que je devais réaliser un reportage sur le vieillissement des immigrés pour la revue du GISTI, une association de juristes qui défend le droit des étrangers en France. J'ai été tout de suite captivée par le cimetière, parce que j'ai eu l'impression d'un lieu entre deux mondes, c'est-à-dire entre la France et l'autre côté de la Méditerranée. Un lieu passerelle. En traversant la banlieue nord-est de Paris, on passe par une zone d'activité commerciale, puis on arrive devant une porte de bois voûtée de style arabe encadrée d'inscriptions en caractères arabes, et, au fond de la cour, on aperçoit une petite salle de prière. A droite, on entre dans le cimetière entouré de chênes verts, de cactus. C'est la Méditerranée. Les stèles évoluent avec le temps, correspondant à des époques différentes.
A quelle époque remontent les tombes les plus anciennes ?
Selon une recherche que j'ai faite après la publication du livre, les tombes les plus anciennes, qui sont dans le carré numéro un, datent de 1937, l'année d'ouverture du cimetière. Ce sont des petites tombes très modestes, surmontées de stèles en ciment, aux inscriptions effacées, on ne voit plus de noms. Il s'agit de tombes d'hommes qui sont morts à l'hôpital franco-musulman de Bobigny, certainement de tuberculose, des hommes seuls qui étaient venus en France pour travailler. Le cimetière venait d'être ouvert en priorité pour les personnes qui mouraient à l'hôpital franco-musulman. C'est l'administration qui les faisait inhumer. Ces hommes n'étaient certainement pas venus en France avec l'intention d'y rester. Ils avaient la trentaine, voire la quarantaine. En consultant l'état civil de Bobigny, j'ai pu retrouver les actes de décès, sur environ 120 personnes, quelques-uns seulement avaient dépassé la cinquantaine.
La tuberculose était-elle une cause de mortalité importante à cette époque ?
Certainement. Les travailleurs algériens étaient très mal logés, et dès que l'un était atteint de tuberculose, il contaminait les autres. J'ai retrouvé une thèse de médecine de 1942 selon laquelle la moitié des malades hospitalisés cette année-là à l'hôpital franco-musulman sont morts de tuberculose.
Qu'avez-vous découvert en travaillant sur le cimetière ?
Ces petites tombes toutes simples, ce sont les plus émouvantes, parce que ce sont des tombes d'hommes venus seuls en se disant qu'ils allaient se faire un peu d'argent et rentrer au pays ; ils ont été pris par la maladie et sont morts ici à un âge où ils ne devaient pas mourir. La plupart de ces travailleurs venaient de Kabylie, parce que la Kabylie était surpeuplée ; la majorité d'entre eux étaient des célibataires, certains étaient mariés, laissant leur femme au pays. Etre célibataire à 30, 40 ans, cela veut dire qu'on est très pauvre. Neuf sur dix étaient des manœuvres dans des usines de métallurgie, de produits chimiques. La moitié de l'immigration algérienne était à l'époque dans la région parisienne. Par ailleurs, 60 soldats de la Seconde Guerre mondiale y sont enterrés. En faisant des recherches aux archives du secrétariat d'Etat aux anciens combattants, j'ai pu retrouver les dossiers d'une trentaine d'entre eux, 11 ont eu droit à la mention « Morts pour la France ». Ce sont des hommes qui ont été grièvement blessés dans les combats et qui ont été rapatriés. Tous les registres des inhumations dans le cimetière de Bobigny ont été informatisés. Quand une famille recherche un proche, cela permet de le retrouver s'il y est enterré. Pour certaines familles, ceux-ci peuvent être des moments très importants de retrouver un lieu où a été inhumé un père, un grand-père.
Le cimetière de Bobigny est-il le seul cimetière musulman de France ?
Le cimetière de Bobigny reste le seul cimetière privé entièrement consacré à des sépultures musulmanes. Il a été ouvert avec un régime dérogatoire parce que la loi, à la fois interdit les cimetières confessionnels, mais autorise à titre exceptionnel que des hospices ou des hôpitaux aient un cimetière annexe. C'est pour cette raison que le cimetière a été créé comme annexe de l'hôpital franco-musulman, lui-même construit en 1935. Ce cimetière faisait partie d'un projet conçu pendant la Première Guerre mondiale. A l'époque, l'idée était de remercier les soldats musulmans qui étaient venus se battre pour la France pendant la Première Guerre mondiale par la construction de la Mosquée de Paris, et puis c'était pour la France coloniale, une opération de prestige. Dès que la mosquée a été inaugurée en 1926, les mêmes personnes ont commencé à dire qu'il fallait un hôpital pour les musulmans, parce que l'immigration commençait à devenir plus régulière et de plus en plus importante, surtout dans la région parisienne. D'un côté, les immigrés étaient choyés, de l'autre, ils étaient surveillés et contrôlés. Il y avait un système d'assistance des travailleurs immigrés dans le département de la Seine qui était à la base une brigade de police, mais qui, en même temps, avait créé des dispensaires, un bureau de placement, et l'hôpital franco- musulman. Le recteur de la Grande Mosquée, Si Kadour Benghabrit, avait demandé la création d'un cimetière. Ailleurs, il y a des carrés musulmans. Ces derniers se multiplient, ce qui constitue un tournant dans l'histoire de l'immigration algérienne. Les enfants nés en France, ancrés en France, souhaitent que leurs parents y soient enterrés, parce que, eux, leur vie est ici. Il y a encore beaucoup de familles qui continuent à envoyer les corps au pays comme cela a été fait pendant des décennies, mais de plus en plus, même si c'est encore minoritaire, des familles souhaitent que leurs proches soient enterrés en France, et pour ce faire, il faut qu'il y ait un carré musulman dans le cimetière de leur commune. Ce qui est tout à fait possible, deux circulaires du ministère de l'Intérieur, l'une en 1975 et l'autre en 1991, expliquent aux maires qu'ils peuvent procéder à des regroupements de tombes orientées vers La Mecque.
Les caractéristiques du cimetière ont changé avec le temps ?
Absolument. Il y a environ 7500 tombes actuellement. L'évolution, on la voit par l'architecture des tombes. Après les stèles grises d'origine, toutes simples, l'architecture des tombes se modifie à partir des années 1970-1980, les familles commencent à s'installer en France, elles adoptent une partie des habitudes françaises. On voit des tombes avec du marbre, des formes modernes, mais on voit partout l'étoile et le croissant, quelle que soit la forme de la tombe, quel que soit le matériau utilisé. C'est un témoignage de l'intégration : on garde ses traditions, mais on adopte aussi certaines habitudes du pays où l'on vit. On voit aussi apparaître d'autres origines géographiques.
Le cimetière de Bobigny est-il toujours ouvert ?
Il était tombé dans l'abandon dans les années 1980 et début 1990. Il a été pris en charge en 1996 par quatre communes qui sont Aubervilliers, Bobigny, Drancy et la Courneuve. Il a alors perdu le statut de cimetière privé, pour devenir un cimetière de droit public comme tous les cimetières communaux en France. Administrativement, il est devenu les carrés musulmans de ces quatre communes. Ont le droit d'y être inhumées les personnes qui sont soit domiciliées dans l'une de ces communes, soit des personnes qui y sont décédées, ou des personnes qui ont un ascendant direct inhumé déjà dans le cimetière, parce que ce cimetière historique ne peut pas accueillir toutes les dépouilles venant de toute la France. Comme dans tous les cimetières communaux français, il faut prendre une concession, et il y a déjà des centaines de concessions qui ont été prises depuis 1996.
Cela veut dire que les familles s'enracinent en France...
Tout à fait. Toutes les personnes qui réfléchissent à la question de l'intégration des personnes issues de l'immigration en France sont d'accord pour dire que le fait de pouvoir ensevelir ses proches dans le pays où on vit et dont on est citoyen soi-même, c'est à la fois un signe d'intégration, et c'est nécessaire.
Le cimetière de Bobigny, un lieu de mémoire, écrivez-vous ?
J'ai beaucoup appris sur l'histoire de l'immigration musulmane, surtout de l'histoire coloniale en Algérie jusqu'à la guerre, et cela m'a permis de comprendre l'origine du mouvement d'indépendance. J'ai très bien compris où étaient les racines du mouvement d'indépendance. L'année même où est inaugurée la Mosquée de Paris (1926), naît l'Etoile nord-africaine, mais aussi en Algérie des mouvements, comme les Ouléma, ont aidé à la prise de conscience de ce que c'était qu'être Algérien, musulman. Cela redonnait une conscience et une fierté à une population en lui offrant des objectifs de culture, d'éducation. L'école française en Algérie, bien qu'elle n'ait pas été suffisante - un enfant sur dix y accédait et quand il y allait, il n'y allait que quelques années- a permis à ceux qui y réussissaient de comprendre ce que c'est la démocratie, la République, que toutes ces grandes idées de la métropole n'étaient pas appliquées en Algérie. Tout cela était en formation dans les années 1930.
Qu'aujourd'hui il y ait une quête de mémoire ne vous surprend pas ?
Cela ne me surprend pas tellement, je crois que nous sommes tous ainsi faits ; qu'il faut qu'environ 50 ans se passent pour qu'on ait le courage de revenir sur certains événements et de réinsérer son histoire personnelle dans l'histoire avec un grand H. Le 24 novembre va s'ouvrir une exposition pour commémorer les 70 ans de l'hôpital Avicennes à Bobigny, qui est l'ancien hôpital franco-musulman. Cette exposition va également commémorer l'histoire du cimetière. Je participe au comité de pilotage de préparation de cette exposition. C'est pour cela que j'ai fait cette nouvelle recherche sur les tombes de 1937 à l'état civil de Bobigny et que j'ai écrit un article assez long qui va paraître dans le catalogue de l'exposition.
La famille Zeroug, c'est un concentré d'histoires de vie ?
Quand j'ai voulu raconter l'histoire de ce cimetière, je me suis dit qu'il me fallait rencontrer des familles. Je me suis particulièrement liée avec la famille Zeroug. Une famille avec trois enfants en 1937, c'était très rare à une époque où l'immigration était essentiellement masculine. Quatre autres enfants sont nés en France. Un couple qui s'était certainement bien intégré. Des enfants qui ont fait de bonnes études. Pendant la guerre d'Algérie, les deux parents ont été assassinés. Il y avait l'oncle, le frère de Khedidja Zeroug, El Ouafi, un champion olympique de marathon arrivé en France une dizaine d'années avant sa sœur et son beau-frère Abdelkader. Il a été médaille d'or aux Jeux d'Amsterdam en 1928. Deux des enfants habitent la région parisienne. L'aînée, Salima, après l'indépendance de l'Algérie, s'est installée avec son mari à Alger.


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