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Daï Sijie, Balzac et la petite tailleuse chinoise
Il était une fois la Révolution
Publié dans El Watan le 01 - 12 - 2005

En 1968, dans la Chine rouge, le grand timonier de la Révolution, le président Mao lance un vaste programme de rééducation dont il faut dire deux mots. Les universités sont fermées, et les « jeunes intellectuels », c'est-à-dire les lycéens qui ont fini leurs études secondaires, sont envoyés à la campagne pour « être rééduqués par les paysans pauvres ».
Formidable projet dont se saisit Daï Sijie, un écrivain chinois vivant en France depuis plus de quinze ans, pour construire son roman : Balzac et la petite tailleuse chinoise. Le narrateur a 17 ans et son copain Luo 18. Aucun des deux n'est allé suffisamment à l'école pour mériter le titre déshonorant d'intellectuel. En 1971, ils viennent de terminer leurs trois années de collège et leurs connaissances sont nulles, contrairement à leurs parents qui ont fait de longues et d'excellentes études. Les parents du narrateur sont tous deux médecins, et le père de Luo est une véritable célébrité, un grand dentiste connu dans toute la Chine, et qui avait eu l'imprudence de soigner à égalité de traitement le couple Mao et « la plus grande des ordures », Jiang Jieshi, le président de la République avant la prise de pouvoir par les communistes. Crime rédhibitoire s'il en est. Le fils du dentiste ennemi du peuple endosse d'office le rôle de « jeune intellectuel » en même temps que son ami narrateur. Direction : « Le Phénix du ciel », une montagne qui comprend une vingtaine de villages dont chacun accueille cinq ou six jeunes venus de la ville. Perché au sommet, l'un des villages est le plus pauvre de tous, il ne peut prendre en charge que deux étudiants en mal de rédemption : Luo et son ami narrateur. Le programme de rééducation peut commencer. Le chef du village est un homme qui connaît bien les choses de la terre pour avoir pendant longtemps cultivé l'opium avant sa reconversion politique. De l'autre culture, il ignore tout. Il est prêt à brûler sur la place publique le violon du jeune narrateur qu'il prend pour un « jouet bourgeois venu de la ville », lorsque Luo réveille en lui la fibre patriotique et musicale, en demandant à son ami, propriétaire de l'instrument, de jouer une chanson appelée Mozart, pense au président Mao. Ce Luo-là a de la ressource. Non seulement, il sauve le précieux archet, mais il fait aussi tomber sur le Phénix du ciel une pluie de notes divines qui commence à entamer la callosité de la peau paysanne. La rééducation se poursuit. Le chef du village n'est pas tout à fait inculte. A vrai dire, il est amateur de belles histoires orales, et lorsqu'il apprend qu'il en existe de fameuses dans un lieu qui s'appelle cinéma, il envoie Luo et son acolyte à la ville de Yong Jing d'où ils reviennent avec des images et des mots pleins la tête qui deviennent images et mots pour les spectateurs paysans. Le cinéma s'installe sur la montagne du Phénix du Ciel et n'est jamais autant apprécié que lorsqu'il fait pleurer. C'est surtout La petite marchande de fleurs qui réussit le mieux à fendre des cœurs qui étaient durs comme de la pierre ! La rééducation des paysans est une excellente chose qui profite aux fils des ennemis du peuple reconvertis en conteurs de films. Dispensés régulièrement des travaux nécessaires à leur rouge apprentissage, Luo et son ami s'en sortent plutôt bien. Il leur reste à affronter leur propre rééducation. Privés de livres, les deux amis découvrent un véritable trésor sur le Phénix du Ciel. Des livres cachés par leur ami binoclard, en rééducation dans un village voisin, dans une malle fermée à clé. Prêts à tout pour mettre la main ne serait-ce que sur un seul livre interdit, ils en arrivent à l'irréparable : le vol de la malle toute entière, véritable manne céleste qui fond sur eux comme une bénédiction. Surtout et d'abord Balzac alias « Ba-er-za-ke » (quatre idéogrammes en chinois). Quant à son Ursule Mirouët, elle produit sur les deux jeunes intellectuels le même effet que La petite marchande de fleurs. Enfin presque ! Luo et son ami tombent sous le charme d'une lecture qui les tient éveillés toute la nuit. Sans rien faire. Sans manger. Au matin, des passages entiers sont recopiés mot à mot sur la veste en peau de mouton du narrateur qui s'en servira plus tard pour amadouer un médecin refusant d'avorter la petite tailleuse chinoise, enceinte de Luo. Car il faut vous dire que Balzac en Chine, dans ces années-là, a laissé très peu de monde insensible. C'est lui qui assure l'essentiel de l'éducation des deux jeunes Chinois condamnés à survivre sur la montagne du Phénix du Ciel, après avoir quitté leur famille et la ville. Soumise à l'effet balzacien, la rééducation prend l'allure d'un apprentissage de la vie. De la douleur. La pire : celle du cœur. Début de l'éducation sentimentale. La princesse de la montagne du Phénix du Ciel a de jolis pieds qu'on voit bien à chaque coup de pédalier de sa machine à coudre, une longue natte qui dépasse ses hanches, et les plus beaux yeux du district. Au début, elle ne plaît pas plus que ça à Luo qui ne la trouve pas assez civilisée pour lui. Et puis la relation amoureuse grandit à l'ombre de Balzac en un mélange sublime de romantisme et de réalisme. Les jeunes gens, qui n'avaient connu que le blabla révolutionnaire sur le patriotisme, le communisme, l'idéologie et la propagande, découvrent grâce à l'intrus (le livre balzacien) l'éveil du désir, des pulsions, des élans, tout un monde demeuré muet jusque-là. Luo aime la petite tailleuse qui l'aime, et le narrateur aime la petite tailleuse qui l'aime bien. C'était vraiment bien cette rééducation- éducation sur le Phénix du Ciel. Et celle qui en tire le meilleur profit, c'est la petite tailleuse qui est devenue une excellente lectrice de Balzac. Elle veut même en faire un commentaire réaliste en en tirant une leçon fondamentale : « La beauté d'une femme est un trésor qui n'a pas de prix. » La petite tailleuse se glisse dans un joli tailleur qu'elle s'est elle-même taillé, elle se coupe les cheveux, elle descend de sa montagne rouge et archaïque pour aller vivre en ville sans sa machine à coudre. Splendeur de courtisane et illusions perdues. Le réalisme romantique bat son plein sur le Phénix du Ciel. Tandis que les paysans versent une larme en écoutant l'histoire de La petite marchande de fleurs, le narrateur et Luo pleurent jour et nuit la perte de la petite tailleuse. Les premiers retournent aux travaux des champs, les deux autres n'en reviennent pas encore de ne pas avoir compris que le livre est un redoutable éducateur. Encore faut-il être un auteur qui ait suffisamment de talent pour faire croire qu'il n'y a pas vraiment de frontière entre le réel et la fiction. C'est le cas de Balzac, véritable Pygmalion qui ouvre le chemin de la modernité à la petite tailleuse. C'est le cas de Daï Sijie qui fait débarquer Bar-er-za-ke en Chine, au sommet d'une montagne qui passe de la culture de l'opium à celle du rêve, au moment de la Révolution. Succès garanti. Ni le capitalisme ni le social -communisme ne peuvent rien contre les bons conteurs et leur programme d'éducation.

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