S'il y a un quartier incontournable au centre-ville d'Oran, c'est bel et bien celui de St-Pierre. Incontournable à plusieurs facettes. Tout d'abord, c'est un quartier qui surplombe le centre-ville ; il commence au boulevard Emir Abdelkader pour finir à quelques encablures de la wilaya. Rien que cela ! En somme, un quartier en sandwich entre la rue Mostaganem et la rue Larbi Ben M'hidi, où les habitations «s'entassent» presque les unes sur les autres. Erigée en 1936, sa construction a été motivée, aux dires des connaisseurs, par le flux massif de migrants espagnols, qui fuyaient, à cette époque, la guerre civile ! Il faut savoir aussi que sa construction a nécessité la démolition de la fameuse muraille qui ceinturait le centre-ville oranais, lilliputien dans le temps, et faisait des quartiers limitrophes (St-Eugène et autres), rien moins que les faubourgs de la ville ! Voilà ce qu'il en est pour le «côté» historique. Maintenant, qu'en est-il du St-Pierre d'aujourd'hui ? Tout d'abord, comme on s'en serait douté, après l'indépendance, son appellation a été soumise à modification. A présent, ce quartier répond au nom de «Yaghmoracen»… Sauf que, sans trop d'exagération, on peut dire que 80 à 90% des Oranais le connaissent seulement et uniquement sous l'appellation ancienne. Cela est un fait ! St-Pierre est donc un quartier populaire par excellence, où on peut compter, en pagaille, les familles de classe dite «moyenne» ainsi que les plus défavorisées. En revanche, on ne trouve pas, ou alors si peu, de «richards», et cela, non pas qu'ils n'ont pas droit de cité, loin s'en faut… Mais quelque part, dans ce quartier, ils n'ont rien à y faire ! En vérité, personne n'est persona non grata à St-Pierre. Pour preuve, malgré l'étiquette qui lui colle à la peau, celle de quartier «chaud», un commissariat, oui, un commissariat, a ouvert ses portes il y a de cela quelques années. Rebelles Cela dit, on n'est pas pour autant des «faux-durs» là-bas, loin de là. Quand, périodiquement, Oran s'embrase, les St-Pierroits sont en général en tête de file de l'émeute, faisant ainsi voir de toutes les couleurs aux forces de l'ordre. L'émeute la plus spectaculaire, qui restera dans les annales de ce quartier, est bien évidemment celle de 2008, quand le MCO a perdu les matchs qualificatifs. Pendant trois jours, le quartier était comme bouclé et contrôlé uniquement par des jeunes, caïds de fortune. Quant à la dernière émeute, celle du 5 janvier dernier, si les jeunes de St-Pierre y ont participé massivement, il faut reconnaître que le quartier en lui-même, pendant ces jours de tension, est resté relativement calme. Symboliquement, et pour ne pas être en reste par rapport à Petit Lac et à El Hamri, seule une poubelle a été cramée. En vérité, cette réputation de quartier sensible provient du début des années 90, où les islamistes ont fait de St-Pierre leur fief. C'était à partir des mosquées de St-Pierre, en effet, que les manifestations «fisistes» s'ébranlaient. Aujourd'hui, il faut bien dire ce qu'il en est ; la situation a quelque peu changé. Tout d'abord, force est d'admettre que le quartier s'est énormément féminisé. Certes, ici et là, on peut trouver, placardées sur les murs, des affiches de Djaballah, mais dans le même temps, la gente féminine a réussi à s'imposer : qu'il s'agisse de femmes portant le hijab, ou celles ayant les cheveux nus, toutes ont leur mot à dire, et gare au malencontreux gars qui tenterait de leur chercher chicane ! Là est d'ailleurs le fort de St-Pierre, ou du moins sa spécificité : les barbus, les prostituées, les émeutiers, les «hitistes», les «rien-du-toutiste»… tous vivent en bonne intelligence. C'est aussi en ce quartier qu'on peut prendre la température du peuple : de par son emplacement, l'épicentre de la ville, St-Pierre est un quartier fréquenté par pratiquement tous les Oranais ; de ceux qui habitent le centre-ville comme de ceux qui habitent la périphérie.Son artère la plus célèbre, en forme de pente, est assurément la rue Arago (actuellement rue Brahim Benjelloul), qui, elle, bute sur une petite placette, la «placetta» comme l'appellent les St-Pierroits, où l'animation, en jour ouvrable comme en week-end, est tout le temps garantie. Des légumiers, des fruitiers, des poissonniers, tous cohabitent, dans un joyeux foutu foutoir, et cela pour le bon plaisir des chalands qui n'en démordent pas : en plus de ceux qui habitent le quartier, ces derniers proviennent d'un peu partout du centre-ville ! Ensuite, quand on remonte la deuxième pente, on tombe pile poile sur l'imposante cité Perret, haute d'une vingtaine d'étages, et dont la largeur est édifiante, et qui englobe en tout pas moins de 700 familles, sinon plus ! Un véritable ghetto pour tout dire ! St-Pierre abrite également un autre édifice tout aussi imposant : l'ancienne cave de l'ONCV, actuellement un monument à l'abandon. Dans le temps, un pipe-line rattachait cette cave au port d'Oran, et cela jusqu'au jour où, pour l'anecdote, quelques érudits ont cru bon de faire un trou dans l'oléoduc, et cela afin de se munir, à peu de frais, en vin rouge. St-Pierre est aussi connu pour être le quartier le plus alambiqué d'Oran : c'est dans ce quartier où on enregistre les plus grandes saisies de drogues, mais c'est aussi en ce même quartier où, chaque vendredi, une foule imposante investit la rue pour la prière collective... Quoique, là, un petit bémol est à faire : s'il est vrai que beaucoup des St-Pierroits font leur prière dans la mosquée par réelle conviction, il faut bien admettre que d'autres la font dans ces lieux cultes uniquement comme sorte de passe-temps, ou tout au moins, comme alternative à leur routine quotidienne. Aussi, la prière de l'Aïd El Kébir, celle qui génère, généralement, le plus grand nombre de fidèles dans les rues, n'a attiré, en 2009, qu'une toute petite poignée de prieurs à St-Pierre. La raison en est bien simple : ce rendez-vous religieux coïncidait avec la qualification de l'Algérie à la Coupe du monde 2010, c'est dire que beaucoup de jeunes avaient la tête ailleurs que dans le spirituel !Voilà ce qu'il en est, grosso modo, de St-Pierre, quartier réputé chaud, mais qui, tout de même, reste fréquenté par toutes les franges de la société. Un hôtel y a même ouvert ses portes, il y a de cela un an. Cela contribuera, sans doute, à faire connaître et faire apprécier ce quartier, au-delà des gens d'Oran, aux visiteurs de la ville !