On vient d'avoir vent que le chanteur Cheb Mami vient d'acquérir la maison de l'écrivain, historien, sociologue et homme politique algérien, l'enfant du Titteri, Mostefa Lacheraf. Il vient de s'adjuger un lieu de mémoire collective, un bien matériel qui abritait le sceau de celui qui fut emprisonné aux Baumettes, Fresnes et la Santé, après avoir été intercepté avec ses quatre autres compagnons dans l'avion civil entre Rabat et Tunis par l'armée coloniale le 22 octobre 1956. Le prince du raï meublera dès lors de sa présence la demeure de celui qui a fait des études supérieures à la Thaâlibiyya d'Alger, puis à la Sorbonne avant d'enseigner au lycée de Mostaganem et au lycée Louis-le-Grand à Paris. Grand bien fasse à l'auteur des roucoulades lascives. Ne dit-on pas que la «fortune favorise les audacieux», pour reprendre la citation de Virgile ? On aurait souhaité que les pouvoirs publics fussent prompts pour conserver ce patrimoine, le préserver et en faire un lieu de visite pour la postérité. D'aucuns penseront que l'idée est quelque peu farfelue et il n'y a aucune raison de se mettre martel en tête quant au devenir de ce patrimoine immobilier. N'a-t-on pas vu la demeure de Victor Hugo, sise à Montmartre, transformée en lieu de «pèlerinage» pour ne citer que cet écrivain ? Dans le même sillage, le peintre orientaliste Nacer Dinet (1861-1929) n'avait-il pas un pied-à-terre à Alger, plus précisément à hauteur du 90, avenue Abdelkader Ziar (ex-Maréchal Foch) ? Mais nulle épigraphe gravée sur la façade de la maison, indiquant le passage de Dinet, dont l'espace intra-muros était orné de fresques picturales avant que celles-ci ne disparaissent. Cela ne pourrait-il pas édifier un tant soi peu les nouvelles générations sur la vie et l'œuvre de celui qui s'imposait dans ses entretiens par l'élévation de sa pensée, l'étendue de sa culture et la force de son caractère ? Ce n'est pas moins faux lorsqu'il s'agit du compositeur Camille Saint-Saëns qui élisait domicile dans la résidence Xuéreb, faisant face à la mer dans le bourg littoral qu'est Raïs Hamidou. Là aussi, ni trace ni plaque scellée susceptibles d'interpeller le visiteur sur un pan de galerie de l'histoire de l'auteur de l'œuvre musicale Samson et Dalila qu'il composa vers 1875, sa fameuse Bacchanale, composition inspirée de la «touchiat zidane» avant de signer toujours à l'ex-Pointe Pescade La nuit persane en 1891. L'on refuse de faire de l'histoire un exercice de l'esprit. «Un esprit qui médite pendant que l'histoire court», selon Camus. Et passe d'un des premiers médecins algériens Mohamed Benlarbey, dont la plaque toponymique à peine visible dans le dédale de La Casbah demeure aphone, ou encore cette rue baptisée au nom de l'érudit Mohamed Ben Chenab, dont la plaque éponyme porte ses dates de naissance et de décès fausses ! A méditer.