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Le sens particulier d'un anniversaire : Shakespeare l'Africain
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Publié dans El Watan le 19 - 05 - 2012

Le grand dramaturge universel est devenu, post mortem, un griot de notre continent.
Cette année, pour l'anniversaire de William Shakespeare, la Royal Shakespeare Company de Stratford-upon-Avon a décidé de célébrer le Shakespeare Mondial. Pour cette manifestation, inaugurée le 22 avril dernier*, la compagnie a invité plusieurs compagnies théâtrales du monde qui ont traduit ou adapté les pièces de Shakespeare. L'Afrique, qui nous intéresse plus particulièrement, est fortement présente avec des tragédies adaptées dans plusieurs pays du continent : le Zimbabwe, le Sénégal, le Mali, la Somalie et la Tunisie, laquelle a proposée une remarquable adaptation de Macbeth qui met en scène le couple déchu Ben Ali. Cette adaptation est intitulée Leïla et Ben : une histoire sanglante. Cette production tunisienne montre combien le répertoire de William Shakespeare demeure plus que jamais d'actualité en Afrique.
Bien que William Shakespeare soit le parfait symbole de la langue et de la culture anglaises, il a acquis, au fil des siècles, une telle universalité et une telle reconnaissance mondiale que nombreux sont les pays qui le revendiquent comme faisant partie de leur culture. Il est vrai que la manière dont le grand dramaturge s'adresse à l'esprit et à la sensibilité, sa manière de décrypter la psychologie des individus, et notamment des gens de pouvoir, justifie l'intérêt littéraire et thématique présent à travers toute l'Afrique, pendant la période coloniale et postcoloniale. Malgré une idéologie coloniale qui s'est longtemps évertuée à catégoriser l'Afrique comme un désert culturel, il y a toujours eu sur ce continent un intérêt pour Shakespeare.
Les missionnaires anglais ont introduit Shakespeare auprès des premiers étudiants africains qui ont vite compris qu'il fallait sauver la culture et les langues africaines. Ainsi furent traduites et adaptées les tragédies de Shakespeare comme Hamlet, Jules César, Othello, Le marchand de Venise, en kiswahili, en arabe de Juba, en kikuyu ou en somali, pour l'Afrique de l'Est et l'Afrique du Nord ; en krio, wolof, bambara, yoruba, en français et en pidgin anglais pour l'Afrique de l'Ouest ; en zulu, en tswana, en xhosa et en ndebele pour l'Afrique du Sud. Les traducteurs expliquent cet engouement par le fait que ces adaptations répondaient à un besoin vital de montrer que les langues africaines, tant dénigrées et qualifiées de primitives, sont aussi riches et variées que l'anglais et qu'elles peuvent exprimer toutes les subtilités et toutes les complexités littéraires que l'on peut trouver dans le théâtre de Shakespeare.
Ainsi, le grand dramaturge s'est trouvé, malgré lui si l'on peut dire, engagé dans la survie culturelle des Africains et dans la réhabilitation de leur langue.Cette bataille n'a pas eu seulement une dimension culturelle, mais elle s'est également traduite au plan politique. Des expériences passionnantes ont ainsi eu lieu sur le continent. Des étudiants ougandais et nigérians lisaient les tragédies Le roi Lear et Othello dans les villages pour le plaisir artistique, mais aussi pour éduquer les populations rurales. Ils utilisaient des masques africains et des chants traditionnels qui attiraient beaucoup les villageois illettrés. Ces spectacles, basés sur les tragédies de Shakespeare, renouaient avec les arts précoloniaux et la tradition des griots, équivalents des "meddah" ou "goual" du Maghreb.
Les traducteurs, dramaturges et metteurs en scène africains savaient que les proverbes, les plaisanteries, les railleries, les chœurs, tels qu'utilisés par Shakespeare, répondaient à des registres faisant partie des cultures africaines. La musique, la danse, les mascarades et les mimes, qui étaient fort appréciées par le public du théâtre élisabéthain, parlaient à tous les publics africains. Les Africains ne se trompaient pas en comparant le barde qu'était Shakespeare au griot qui racontait l'histoire du village, de la région, du pays. Ces tragédies, traduites ou adaptées, questionnaient et critiquaient le système colonial et le racisme. Avec la post-indépendance, Shakespeare est revenu en force sur la scène africaine dans la mesure où, l'euphorie de la libération passée, les désillusions commencèrent et les colères s'amplifièrent, notamment du fait de certains leaders africains qui se transformèrent en dictateurs ou de despotes autoproclamés par la force, comme Idi Amin Dada.
Les traductions et les adaptations se multiplièrent, comme celles de Julius Nyéré, qui a traduit Le marchand de Venise en 1972, ou de divers universitaires de Kampala qui ont traduit Macbeth et La tempête en kiswahili. En Ouganda, il est rapporté que les tragédies étaient lues en public, dans les milieux populaires. En Sierra Leone, Shakespeare est devenu une véritable tradition, implantée depuis la période coloniale. Thomas Decker a traduit Jules César pour montrer que sa langue, le krio, était aussi précise et expressive que la langue anglaise. Il voulait offrir aux populations du Sierra Leone, qui ne comprenaient pas l'anglais, la beauté du texte shakespearien dans leur langue maternelle. Ce fut le cas aussi au Mali et au Sénégal.
Des héros comme Hamlet, Macbeth et Othello, plaisent au public africain qui voit dans leurs destins théâtraux respectifs une critique directe et vivante des dictateurs. Au Nigeria, le dramaturge Wole Soyinka, prix Nobel de Littérature (en 1986), s'inspira de Shakespeare. Au Ghana, le dramaturge, Joe de Graft, a adapté Macbeth avec une pièce intitulée Mambo mon époux, jouons. Dans cette adaptation, il dénonce la corruption, le pouvoir oligarchique, l'ambition, l'exploitation du peuple, les trahisons et les crimes politiques. En effet, nombreux sont les leaders africains qui peuvent être parfaitement des personnages de tragédies. Wale Ogunyemi a monté à Ibadan, au Nigeria, une version d'une heure de Macbeth en langue yoruba où les thèmes de Shakespeare sont mêlés à la mythologie ancienne de ce pays. Au Botswana, Macbeth est aussi adaptée pour contourner la censure : les personnages sont transformés en babouins, une belle allégorie pour éduquer le peuple et critiquer les pouvoirs dictatoriaux.
Le grand Aimé Césaire a traduit La tempête, une adaptation pour un théâtre nègre, qu'il a présenté au Festival de Hammamet en 1969. La pièce présente Caliban le Noir de manière positive contre Prospéro le Blanc. Le personnage Caliban est en révolte, en marche vers l'histoire post-coloniale. En Afrique du Sud, une vraie tradition est apparue aussi dans l'utilisation de Shakespeare durant la lutte contre l'apartheid, comme avec Solomon Plaatje, précurseur de la littérature noire dans ce pays, qui a traduit Jules César en 1923. On peut citer encore la mise en scène de Chaka le roi Zulu, à partir de cette même pièce. Shakespeare était présent à Robben Island où tous les prisonniers politiques, au lieu de lire des livres religieux ou des romans, ont choisi les œuvres complètes de Shakespeare, y compris Nelson Mandela, qui passa de longues années de son emprisonnement à lire cet auteur universel.
Shakespeare est devenu ainsi africain, car adopté par les Africains et mêlé à leurs préoccupations, sensibilités et combats. Il est remarquable qu'une institution, aussi britannique et shakespearienne que la Royal Shakespeare Company de Stratford-Upon-Avon, le reconnaisse et en fasse la promotion auprès des publics anglais. Et, à l'heure de la mondialisation, Shakespeare vaut sans doute mieux que MacDo ou autres symboles de l'uniformisation de la planète.

*William Shakespeare est né probablement le 23 avril 1564, à Stratford-upon-Avon et est décédé le 23 avril 1616 (ndlr).


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