Les journalistes tunisiens ont largement suivi, hier, l'appel à la grève lancé par leur syndicat contre le gouvernement, qui refuse de mettre sur pied une instance de régulation des médias. Tunisie De notre correspondant Le bras de fer dure depuis des mois entre le gouvernement de la troïka, notamment ses ténors du parti islamique d'Ennahda, et les médias. Hier, l'écrasante majorité des journalistes était en grève pour réclamer l'installation immédiate d'une instance indépendante de régulation des médias, prévue par l'organisation provisoire des pouvoirs et ignorée par la présidence du gouvernement «qui ne cesse de faire des promesses sans jamais les réaliser», lreproche Soufiane Ben Farhat, journaliste à La Presse et à Ettounssia TV. Lotfi Zitoun, le ministre délégué auprès du chef du gouvernement chargé du dossier de la presse, accuse les journalistes d'être à la solde de l'opposition, voire du régime déchu, et leur demande de «se limiter à passer les infos sur les réalisations du gouvernement ainsi que des actions faites par les partis de l'opposition». «C'est ce que demande le peuple. Il n'est pas normal que l'on passe les activités du chef du gouvernement derrière un sit-in ou une grève de la faim», proteste-t-il contre le journal télévisé de la première chaîne, qui continue pourtant à caracoler en tête des chiffres d'audience. Concernant la mise à niveau des médias, un slogan partagé par tous les protagonistes, les journalistes reprochent au gouvernement de se limiter à des slogans bidon sans jamais se lancer dans des actions réelles. «Pis encore, la présidence du gouvernement évalue chaque action en fonction de son impact sur le parti Ennahda», souligne la journaliste Sana Farhat. Parachutage Saïda Bouhlel, membre du Syndicat des journalistes tunisiens (SJT), attire l'attention des observateurs, à travers des exemples pratiques, sur les véritables intentions du gouvernement à travers les nominations ciblées : «Lorsqu'ils ont ramené du Golfe, il y a plusieurs mois, le journaliste et ancien d'Al Jazeera, Saïd Khezami, pour la rédaction du journal télévisé, ils l'ont présenté comme l'éminence grise de l'honnêteté intellectuelle. Or, ce dernier a pointé du doigt les tentatives de mainmise du pouvoir exécutif sur le journal télévisé.» Même chose du côté du nahdhaoui et néanmoins homme de médias, Adnène Khedher, qui a occupé pendant quelques mois le poste de président-directeur général de la télévision tunisienne. Les propos sur les médias du leader d'Ennahda, Rached Ghannouchi, constatant «la non-adhésion des journalistes au projet médiatique de la troïka», justifient sûrement leur désarroi sur la question. Ghannouchi a en effet signalé que «les journalistes et toute l'élite en général sont avec les laïcs». «Donc ce n'est pas par hasard si Ennahda n'a pas pu trouver des compétences de son choix pour les placer à la tête des organismes publics ou dans le secteur des médias, ni que les islamistes refusent d'installer l'instance de régulation des médias. Ils savent pertinemment que les critères exigés par les professionnels pour choisir des responsables dans les médias publics ne sauraient avantager les leurs», explique la journaliste Mona Ben Gamra. «C'est la raison pour laquelle Ennahda ne peut procéder que par parachutage de gens incompétents», comme Lotfi Touati à Dar Assabah.