Qui se souvient de l'Union nationale des lycéens et collégiens d'Algérie (UNLCA) peu convoquée par les témoignages ou alors, au mieux, comme «une organisation éphémère» ou «proche du pouvoir» ? L'UNLCA est portée sur les fonts baptismaux par le congrès tenu dans les locaux du lycée technique du Ruisseau, qui a réuni un peu plus d'une centaine de participants représentant les délégations de diverses régions du pays. Pour ma part, je faisais partie de la délégation de Constantine(1), qui avait rallié par train la capitale et avait été accueillie par un camarade algérois, Ahmed Guitt, présenté comme responsable de l'organisation. Pour la plupart des amis de la délégation de Constantine, cette présence au congrès fondateur de l'UNLCA sanctionnait un précoce engagement politique, d'abord, pour quelques-uns, dans les rangs de l'Ugema, dont la première réunion publique à Constantine s'était tenue à l'université populaire sous la direction du regretté Malek Saha, ou encore au sein de l'Association de la jeunesse estudiantine constantinoise (AJEC) dirigée par Ahmed Fergani, amoureux aussi de Léo Ferré.
1- Dans le prolongement de l'UNEA Pour ceux qui avaient suivi, commenté et souvent approuvé — c'était le cas pour certains d'entre nous comme Nadji Safir, Hocine Nia ou moi-même — les orientations du congrès de l'Ugema, sa transformation en UNEA et la prise de contrôle de l'organisation par le courant progressiste contre les prétentions démocratiques de la section de Paris, la création de l'UNLCA ne pouvait que s'inscrire dans le prolongement du combat en faveur du socialisme et de ses charges symboliques de justice et de développement. Il est difficile, cinquante ans plus tard, de restituer le climat d'une rencontre inédite pour la quasi-totalité des participants, où l'émotion croisait la découverte des autres, où s'inventait le débat et mûrissaient les positions contradictoires et où le sentiment — sans doute ressenti de prendre part à la création de quelque chose, d'initier une aventure collective — se mêlait confusément à la conscience de nous inscrire dans un protocole politique qui allait au-delà des murs du lycée technique du Ruissseau.(2)
2- L'islam de Omar Ibn El Khettab Après tout, c'est le président de la République et tout frais secrétaire général du FLN qui avait inauguré les travaux du congrès et fortement insisté — c'est en tout cas ce que j'en avais retenu — sur «l'islam de Omar Ibn El Khettab» comme référence pour l'Algérie et ne pouvait-on pas forcément saisir à qui — les néo-islahistes opposés à l'option socialiste ? — s'adressait le message, alors que tous les congressistes avaient vu dans la prise de parole de Houari Mouffok, président de l'UNEA, un signe de solidarité de nos aînés. Le congrès, on le comprendra plus tard, était donc un vrai congrès et les travaux de coulisses, aussi peu manifestes étaient-ils aux yeux de la majorité d'entre nous, allaient faire la décision, même si le rite nouveau des motions et recommandations avait occupé le devant de la scène. Qui s'en souvient d'ailleurs, alors que les visages de Farouk Brahim, Mohamed Djemouai, Hassen Remaoun continuent d'habiter nos vies, que le souvenir de Toufik et Anissa Guerroudj demeurent vivaces que je devais, pour ma part, croiser dans le cadre des premières résistances au coup d'Etat du 19 juin 1965. Le congrès devait doter l'UNLCA d'un comité directeur — dans lequel figuraient, entre autres, deux représentants de la délégation de Constantine, Nadji Safir et Hocine Nia —, d'un comité exécutif dirigé par Ammar Amrouche en qualité de président de l'organisation et de Hamid Baouane au secrétariat général. J'avais été, en ce qui me concernait, chargé de la fédération d'Alger de l'organisation qu'il fallait, en fait, mettre en place. Elève au lycée Redha Houhou de Constantine, j'étais donc tenu de solliciter un transfert vers un établissement de la capitale — le lycée Emir Abdelkader — et surtout de négocier la légitimité du choix avec des parents attachés aux vertus de l'éducation et souvent protecteurs. 3- La fédération du Grand-Alger Je peux dire que l'histoire de l'UNLCA, en tout cas celle à laquelle j'avais pris une part active, avait commencé de manière inopinée dans le couloir du premier étage du lycée Emir Abdelkader, alors que j'étais à la recherche de la salle de 1re M3. J'y ai donc croisé Hocine Ziat qui m'y amena, se présentant comme condisciple. Nous fîmes réellement connaissance en fin de journée, à la sortie du lycée. Je lui ai expliqué les raisons de ma présence à Alger et les objectifs assignés par l'organisation : planifier des assemblées générales en vue de la création de sections dans les différents établissements du Grand-Alger, faire élire des comités de section, développer l'activité militante, établir des relations de travail avec les administrations des lycées. Pour Hocine Ziat — fils d'une famille militante au sein du FLN durant la guerre et sans doute hanté par la disparition de Ali, l'aîné, arrêté par l'armée française —, véritable prosélyte, l'apprentissage devait être celui de la prise de parole en public, de la gestion des débats. L'objectif était de susciter l'adhésion au-delà même de la création formelle des sections. Nous fîmes ainsi campagne, le plus souvent de concert et, dois-je le souligner, j'avais tiré quelque bénéfice des enseignements de M. Iriu, hospitalier et militant communiste constantinois, qui avait encadré mes premiers pas dans les meetings que nous tenions, l'été 1963, en qualité de membres de la commission départementale d'alphabétisation.Ceux qui s'en souviendront pourront témoigner que Hocine Ziat et moi-même avions généreusement battu la campagne et le mérite de Hocine était d'autant plus grand qu'il devait rejoindre en fin de journée le journal Le Peuple où il travaillait au service de la correction. 4- Le 10, boulevard Amirouche Le siège central de l'UNLCA — et aussi celui de la fédération du Grand-Alger — se trouvait au 10, boulevard Amirouche où il occupait le premier étage, alors qu'au-dessus se tenait la direction de l'UNEA. On pouvait voir passer Noureddine Zenine, auréolé de son passé d'officier de l'ALN, Abdela'lim Medjaoui (lui aussi ancien officier de l'ALN), Houari Mouffok, limbé de mystère, ou Djamel Labidi qui nous paraissait plus accessible. Nos conseils fédéraux allaient-ils assez vite rassembler un nombre imposant de responsables de section dont certains — comme Abdenour Amara ou Lotfi Maherzi — prirent place dans l'animation du mouvement. L'UNLCA fut, faut-il le rappeler, un acteur régulier et efficace lors des campagnes de reboisement et mobilisera aussi, de manière originale, lors des actions d'assainissement et d'hygiène du boulevard Amirouche avec le soutien spectaculaire de formations musicales modernes. Elle sera en particulier présente et ses militants distribueront le journal Jeunesse lors du grand meeting, à la salle Atlas, de Ahmed Ben Bella. La tension politique que nous ressentions sans doute confusément, mais qu'alimentaient les rumeurs récurrentes d'un coup d'Etat de Boumediène, allait s'accentuer au lendemain de l'annonce, le 16 juin, d'un accord FLN/FFS et alors que le tournage de La Bataille d'Alger occupait les rues de la capitale. Nous apprenions à situer la «FGA» (Fédération FLN du Grand-Alger) dans les rangs de la gauche nationaliste. Le 18 juin, la réunion du comité fédéral s'était poursuivie jusque tard dans la nuit et fut interrompue par l'écho de mouvements de tanks de l'armée prenant position sur le boulevard Amirouche, en face du commissariat central et du ministère de l'Agriculture. 5-Une courte vie, une profonde influence L'hypothèse avancée par l'un d'entre nous qu'il pouvait s'agir du tournage de La Bataille d'Alger fut vite abandonnée. Nous comprimes que nous étions, du balcon du premier étage du «10», les témoins de la bataille pour le pouvoir régulièrement annoncée. Nous trouvâmes refuge, cette nuit-là, au domicile de Lotfi Maherzi, au-dessus des locaux du journal Alger Républicain dont le tirage avait été arrêté. Le lendemain, alors que la voix blanche de Boumediène stigmatisait le pouvoir personnel du Président déchu et annonçait sur les ondes de la radio la création d'un Conseil de la Révolution, au 10, boulevard Amirouche et alentour, la question se posait dans un climat d'appréhension et une tension à son paroxysme : savoir que faire et avec qui. Le va-et-vient des coccinelles bleues de la FGA rajoutait les couleurs de l'urgence. Nous apprîmes en fin de matinée qu'un regroupement de dirigeants d'organisations hostiles au coup d'Etat devait se tenir au domaine Bouchaoui, dont l'orateur principal allait être Abdelmadjid Bennacer, secrétaire général de la JFLN. L'UNEA, pour sa part, publiait un communiqué de sa direction, fustigeant «le coup d'Etat militaro-fasciste» et, le 28 juin, un appel était lancé pour «l'organisation de la résistance populaire» (ORP). Je fus, en compagnie de Hocine, en charge de l'organisation des jeunes de l'ORP pour le Grand-Alger sous la direction de Aziz Belgacem, membre de la direction de l'UNEA, qui fut lâchement assassiné par les hordes intégristes en 1993. J'ai retrouvé, dans la clandestinité, quelques-uns de nos camarades du congrès de l'UNLCA. En janvier 1966, je prenais mes distances avec l'organisation, désormais transformée en Parti de l'avant-garde socialiste (PAGS) en raison de désaccords majeurs sur la question démocratique. L'UNLCA aura de fait vécu un an (juin 1964/juin 1965), une vie certes courte, mais qui aura informé la vie et les engagements de milliers de jeunes Algériens encore illuminés par les promesses de l'indépendance.
Réferences : 1 : La délégation de Constantine au congrès constitutif de l'UNLCA se composait de Mohamed Talbi ,Youssef Fatès, Farouk Belagha, Hocine Nia, Nadji Safir, Abdelmadjid Merdaci 2 : Nous sûmes, par la suite, que Cherif Belkacem, ministre de l'Orientation nationale, suivait de près, en coulisses, les travaux du congrès. • Ce texte est d'abord un témoignage personnel. Il ne prétend pas rendre compte de l'histoire de l'UNLCA.