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Sétif, 1945 : Un crime contre l'humanité
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Publié dans El Watan le 07 - 05 - 2015

«Vous mes frères, les loups d'un bois de servitude,
Faites frémir le ciel de vos sanglots damnés
Après la nuit glaciale où meurt votre harmonie…
Vous mordez votre flanc orgueilleux d'être vide
Pourtant, j'aime vos cris importuns quand la neige
Couvre de pureté vos spectres maladifs…»
(Kateb Yacine. Soliloques, 1946)
Les «massacres de Sétif», qui se déroulèrent entre le 8 mai et la fin juin 1945, sont un terme générique qui couvre en réalité des tueries sommaires qui eurent lieu dans une grande partie du Constantinois. L'interruption brutale des cortèges populaires — à Sétif et Guelma, la police tira sur la foule — initiés par les nationalistes algériens voulant fêter la victoire et rappeler les promesses d'émancipation, fut le déclencheur des émeutes. Elles firent 103 morts chez les Européens.
La répression aveugle contre la population algérienne fut terrible.
Il y a 20 ans, je réalisais pour la chaîne Arte et avec la complicité de mon ami Bernard Langlois Les Massacres de Sétif, un certain 8 mai 1945. Parallèlement, Au Nom de la Mémoire publiait un livre(1) de référence sur ces événements.
Pour ce travail et malgré les routes incertaines dues aux années de plomb en Algérie (les faux barrages des groupes armés du FIS), je parcourais durant plusieurs semaines le pays à la recherche de témoins et de survivants de cette tragédie. Il nous fallait mettre des noms et des visages sur les rescapés de cette ratonnade à grande échelle qui débuta le jour de la victoire sur le nazisme, contre lequel les hommes de la région n'avaient pas été avares de leur sang.
Parmi eux Amri Bourras et son frère Saâd (torturés dans les locaux de la gendarmerie de Sétif) et bien d'autres témoins qui ne sont plus parmi nous aujourd'hui. Ils nous ont quittés en laissant leurs témoignages de ces semaines terribles avec un seul message : que l'on n'oublie jamais. Il en est de même pour tous ces hommes de retour de guerre, les libérateurs du pays de France, couverts de blessures et de médailles. Ils découvrirent leurs familles massacrées, leurs villages et leurs cheptels détruits par les bombes et... le déni comme seule parole officielle.
Leurs descendants ont gardé leurs médailles comme des preuves dérisoires de leur combat durant la Seconde Guerre mondiale et de l'injustice qui leur a été offerte en récompense de leur sacrifice.
En France aussi, il a fallu chercher trace de cette barbarie. Pour ce documentaire, je n'avais mis en avant qu'un seul de ces soldats : l'aspirant Lounès Hanouz dont le père et les fils furent assassinés en mai 1945.
Un jeune homme, Bachir Boumaza, qui deviendra cinquante ans plus tard président de la fondation 8 Mai 1945, témoignait du meurtre des Hanouz en 1959 dans le livre La Gangrène(2) : «C'était le 10 mai 1945 à Kherrata, mon village natal. Hanouz Arab, auxiliaire médical, à qui il était reproché d'être le secrétaire de l'association locale de culture et de bienfaisance, était conduit avec ses trois enfants, dont le plus jeune avait mon âge, devant la maison du seigneur-colon de mon village. Là, sur la place, au milieu des encouragements de toute la population européenne, femmes et enfants compris, les Hanouz furent torturés pendant plusieurs heures par les légionnaires.
Le soir, comme ils ne bougeaient plus, mais respiraient encore, les soldats obligèrent les musulmans à défiler devant ces quatre corps, allongés le visage contre le sol. Les soldats transportèrent ensuite les Hanouz sur un pont, à trois kilomètres de là, et les précipitèrent d'une hauteur de cinquante mètres dans l'oued...»
La plupart des anciens soldats qui étaient sur place et que nous avons interrogés (ils avaient 20 ans en 1945) se souvenaient précisément des faits et des exactions contre les populations algériennes. Convocation de la conscience ? Quelques-uns avaient comme qui dirait «perdu la mémoire» en ne se souvenant que d'événements anecdotiques et imputant aux autres les exécutions sommaires. Sentiment de honte ?
Aux archives d'Aix-en-Provence, malgré nos demandes officielles auprès des services de l'Etat, on nous refusa l'utilisation de certains documents, tel le rapport Berger, du nom du commissaire de la PJ d'Alger missionné pour enquêter sur les «rumeurs de massacres» des milices coloniales dans le Constantinois.
Ces documents incommunicables, nous les avons empruntés quelques heures, le temps de les photographier pour les rendre publics. Nous les avons remis à leur place, une fois notre forfait accompli. Ils figurent dans notre documentaire Les Massacres de Sétif. Enfin il y a quelques années je découvris que les archives filmiques(3) que j'avais commandées en 1995 à l'Etablissement cinématographique et photographique des armées (aujourd'hui ECPA-D) avaient été «nettoyées» de plusieurs séquences gênantes.
Une de ces séquences soustraites lors de ma demande initiale montre des soldats sur un half-track exécutant à bout portant deux ouvriers agricoles les bras levés. Ces images interdites, je les réintègre aujourd'hui, 20 ans plus tard, dans ce documentaire.
Les massacres de Sétif, Guelma, Kherrata commencèrent à être évoqués publiquement par les représentants de l'Etat français il y a une dizaine d'années seulement. En effet, il a fallu attendre soixante ans pour que l'ambassadeur de France à Alger, Hubert Colin de Verdière, parle, à propos des massacres perpétrés par la France en mai-juin 1945, de «tragédie inexcusable»(4).
Quant à Michel Barnier, ministre des Affaires étrangères, il déclarait trois mois plus tard(5) : «Il est essentiel pour construire un avenir commun que nous arrivions à examiner ensemble le passé afin d'en surmonter les pages les plus douloureuses pour nos deux peuples. Cela suppose d'encourager la recherche des historiens, de part et d'autre, qui doivent travailler ensemble, sereinement, sur ce passé mutuel.» Le président de la République, François Hollande alla beaucoup plus loin.
Devant les deux Chambres du Parlement algérien, il déclara en 2012, lors de son premier déplacement en Algérie : «Pendant 132 ans, l'Algérie a été soumise à un système profondément injuste et brutal (…). Je reconnais ici les souffrances que la colonisation a infligées au peuple algérien.
Parmi ces souffrances, il y a eu les massacres de Sétif, de Guelma, de Kherrata qui, je sais, demeurent ancrés dans la mémoire et dans la conscience des Algériens, mais aussi des Français. Parce qu'à Sétif, le 8 mai 1945, le jour même où le monde triomphait de la barbarie, la France manquait à ses valeurs universelles.»(6)
Le déplacement à Sétif et l'hommage aux victimes du secrétaire d'Etat Jean-Marc Todeschini, le 19 avril dernier, est certes à saluer, mais n'apporte rien de nouveau. Nommer le crime sans le caractériser, sans l'identifier comme crime contre l'humanité, c'est ne faire que la moitié du chemin. Car au-delà des phrases et des tournures — «les pages douloureuses», «les drames inexcusables», «le système injuste et brutal» — de quoi parle-t-on ?
Nous évoquons des massacres de populations civiles par les autorités militaires et les milices coloniales dont les estimations vont de 9000 à 35 000 morts. Nous évoquons l'utilisation de l'aviation et la marine de guerre pour réduire à néant des dizaines de villages soi-disant insurgés.
Nous évoquons les jugements sommaires et les exécutions du même ordre de centaines de civils désarmés. Nous évoquons des tortures, des disparitions forcées de personnes et des emprisonnements dont certains prendront fin le jour de l'indépendance, en juillet 1962.
Sétif 1945 est indéniablement un crime contre l'humanité, selon les définitions de la Cour pénale internationale : «Les crimes contre l'humanité incluent des actes commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque. La liste de ces actes recouvre, entre autres, les pratiques suivantes : meurtre, extermination, réduction en esclavage, déportation ou transfert forcés de population, emprisonnement, torture (…), persécution d'un groupe identifiable pour des motifs d'ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste.»
Depuis des années, les demandes de reconnaissance solennelle et officielle en France des crimes de 1945 sont restées vaines malgré le rappel, chaque année, par les associations de cette exigence de justice. Cette exigence morale qui impose de mettre des mots sur les exactions commises au nom de la République, en Algérie, il y a 70 ans.
Ces reconnaissances qui permettent l'apaisement, la justice et la transmission de notre histoire commune ont été possibles par la voix du président Jacques Chirac(7) en ce qui concerne la responsabilité de la France dans la rafle du Vel d'hiv de juillet 1942. Elles ont été possibles par la voix de l'actuel président Hollande dans la reconnaissance des crimes du 17 Octobre 1961.
Il est temps de parler, il est de temps de ne pas oublier, il est temps de bâtir.
«Rien ne se construit dans la dissimulation, dans l'oubli, encore moins dans le déni», disait lors de son voyage en Algérie, en décembre 2012, le président de la République française. Aujourd'hui les citoyens des deux rives attendent des actes !
* Réalisateur et président de l'association Au Nom de la Mémoire
1.Chronique d'un massacre. 8 Mai 1945, Sétif, Guelma, Kherrata de Boucif Mekhaled. Edition Au Nom de la Mémoire. 1995.
2. La Gangrène (P 33) Edition de Minuit.1959. Livre interdit en France.
3. Film nitrate ACT 415.
4. Déclaration faite le 25 février 2005 à Sétif.
5. Entretien au quotidien El Watan, le 8 mai 2005.
6. Déclaration du 20 décembre 2012.
7. Déclaration du 16 juillet 1995
8. Déclaration du 17 octobre 2012.
A noter que Mediapart diffuse à partir d'aujourd'hui les deux films de Mehdi Lallaoui, Les massacres de Sétif, un certain 8 mai 1945 et Guelma 1945, qui est inédit.


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