Dans le récit d'une rencontre entre un homme politique algérien, ayant occupé des fonctions importantes dans la hiérarchie institutionnelle, et un homme d'affaires français au parcours un peu compliqué et ayant eu plusieurs démêlés avec la justice de son pays, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Mondialement connu, comme le dit Mohamed Bedjaoui, Pierre Falcone a été un client sérieux de la justice française qui l'a condamné à trois reprises. Falcone est un homme d'affaires mondialement connu. Il m'a approché un jour pour m'entretenir de deux questions du plus haut intérêt touchant la défense nationale et m'assurer de toute son aide dans ce cadre au service de la sécurité de notre pays. Nos autorités compétentes, saisies par moi-même, ne pouvaient refuser de le recevoir pour ces problèmes importants de défense. Mais après un certain nombre de rencontres, elles se sont aperçues, au bout de quelques mois, de l'inefficacité de son concours. Entre-temps, il montra de l'intérêt pour l'appel d'offres concernant l'autoroute Est-Ouest qui venait d'être publié. Il s'est porté soumissionnaire au nom d'une société d'Etat chinoise. D'ailleurs, personne ne pouvait l'empêcher de soumissionner. Il a alors bénéficié de mon appui initial dans le respect des lois, d'autant plus qu'il était censé apporter incessamment une contribution espérée inestimable à notre défense nationale. Mais j'ai cessé tout contact avec lui lorsque j'ai appris qu'il n'avait pas apporté le concours escompté. Il s'était parfaitement conformé à toute notre législation des appels d'offres. La presse m'informera plus tard qu'il gagna le marché.» Voilà la «petite histoire» entre Falcone et Bedjaoui telle que cet ancien ministre des Affaires étrangères et ancien président du Conseil constitutionnel l'a racontée dans une interview publiée, la semaine dernière, par le site TSA. Mais dans ce récit d'une rencontre entre un homme politique algérien, ayant occupé des fonctions importantes dans la hiérarchie institutionnelle, et un homme d'affaires français au parcours un peu compliqué et ayant plusieurs démêlés avec la justice de son pays, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Suivons un peu l'enchaînement de l'histoire telle qu'elle a été livrée par l'ancien président du Conseil constitutionnel : Pierre Falcone qui avait donc proposé ses services en matière de défense et de sécurité pour notre pays, lesquels services se sont avérés «inefficaces», s'est occupé entre-temps à soumissionner pour le marché du projet du siècle qui est la construction de l'autoroute Est-Ouest. Et bien évidemment, bénéficiant de l'appui de Mohamed Bedjaoui, il le gagna. Le sulfureux homme d'affaires français repartira, comme tout le monde le sait, avec un joli pactole à la barbe et au nez des Algériens. L'homme d'affaires Sid-Ahmed Tajeddine Addou, condamné en 2009 dans le cadre du scandale de l'autoroute Est-Ouest, le désignait comme l'architecte du système de corruption mis en place. A prêter l'oreille à ce dernier, Pierre Falcone aurait même empoché 9% des deux contrats (lots centre et ouest) enlevés par le consortium chinois Citic-CRCC. On comprendra peut-être un jour par quel mécanisme un homme au casier judiciaire aussi lourd, qui prétendait se rendre utile pour la sécurité de l'Algérie, a fini par arracher avec une facilité déconcertante un marché aussi stratégique que le projet de l'autoroute Est-Ouest. Comment les autorités ont commercé avec lui ? Etaient-elles naïves ou complices ? Une partie de la réponse se trouve en fait dans le parcours de cet homme d'affaires pas comme les autres. Qui est Pierre Falcone ? Juste en introduisant son nom dans le moteur de recherche Google, 459 000 résultats s'affichent. Il est vrai que le personnage en question est mondialement connu, comme le dit Mohamed Bedjaoui. Pas uniquement dans le monde des affaires. Il a été un client sérieux de la justice française qui l'a condamné à trois reprises. En décembre 2007, Pierre Falcone est condamné par le tribunal correctionnel de Paris à un an de prison ferme pour «détournement de fonds» dans l'affaire de la Sofremi. En janvier 2008, il est condamné pour «fraude fiscale» à payer une amende et à 4 ans de prison (réduit à 2 ans et demi en appel), alors même qu'il se défendra de ne pas être imposable en France à ce moment-là. En 2009, Pierre Falcone est impliqué dans l'affaire dite de l'Angolagate. Il fut relaxé lors de son procès en appel le 29 avril 2011, la justice française s'étant retrouvée coupable de vouloir juger une affaire qui ne concernait pas l'Etat français (source : Le Parisien). C'est en réalité cette scabreuse affaire de trafic d'armements à destination de l'Angola qui l'a fait connaître à travers le monde plus que sa société Pierson Capital Group, spécialiste des «grands projets» (autoroutes, centrales électriques, chemins de fer, etc.). Pierre Falcone qui a ce génie d'associer les affaires dans les marchés des grands projets à travers les trois continents et dans les pays en voie de développement et des piges dans son sport de prédilection, la vente d'armes, a su trouver une belle échappatoire dans une affaire qui avait éclaboussé aussi des responsables politiques de l'Hexagone. L'homme d'affaires français s'en sortira en purgeant la moitié de sa peine. Non pas parce qu'il n'a pas vendu des armes au gouvernement angolais pour un montant de 790 millions d'euros, mais parce que la transaction ne s'est pas faite à partir du territoire français. Dans un décryptage réalisé par des spécialistes de l'affaire, intitulé «Quand la politique entre dans le prétoire, la justice en sort», la lumière a été faite sur les affaires louches de cet homme introduit dans la bergerie Algérie. Mohamed Bedjaoui a certainement plus à dire à l'opinion algérienne qu'il n'a dit jusque-là dans la presse. Puisque Pierre Falcone s'est retrouvé au centre du scandale de l'autoroute Est-Ouest.