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«Un détournement de rage exprimant un refus en face d'une mascarade» Belkacem Mostefaoui. Professeur à l'Ecole nationale supérieure de journalisme et des sciences de l'information
Que pensez-vous de ce mode de communication qui consiste à taguer sur des panneaux d'affichage, ou encore à détourner les affiches pour exprimer sa colère, son mécontentement ou son absence d'adhésion ? Les dispositions sociales de réactions dans l'espace public physique algérien en face de décisions autoritaires, en particulier du feuilleton d'élections tronquées, se manifestent souvent par la dérision, la colère, un détournement de rage exprimant un refus en face d'une mascarade, d'une farce, ou alors un mépris/évitement/silence sidéral de réaction. Un peu comme un corps tétanisé de repli contre une violence immense reçue sans réel pouvoir de défense – dans les temps actuels en tout cas. La rupture de communication politique, nécessairement produite de débat contradictoire, a été consommée entre gouvernants et gouvernés dès l'usurpation par le pouvoir des armes d'après-Indépendance. Sont venues bétonner cette digue immense des péripéties, des équipes d'interprètes et de nouvelles recettes de propagande, dont celles les plus actuelles, populistes mâtinées de religiosité soft, incantations de cautérisation des sanglantes années 90'. En face de l'horreur ou d'un crime, disait le premier éditeur du magnifique journal satirique Le Canard enchaîné, «ma réaction est d'en être indigné. La seconde est d'en rire, mais c'est plus difficile». Les images d'illustrations actuelles sur les panneaux en sont significatives d'intelligence, mais surtout de dignité résistante. Un peu comme pour dire : «Fakou toujours, vous avez le pouvoir de vouloir nous tromper/abuser, mais notre âme, vous ne l'avez pas conquise pour autant.» Ce qui est magnifique dans ces jeux renouvelés de communication sociale, consubstantiels d'algérianité, et contre lesquels les pouvoirs successifs se cassent les dents : rappelons-nous des «élections coloniales» du deuxième collège…, c'est cette force tranquille. C'est une faiblesse aussi, parce que la résistance contre les dominants s'est érodée. Ces détournements font le buzz sur les réseaux sociaux, créant une campagne parallèle... Quel commentaire pouvez-vous en faire ? Justement, là où je suis enclin à quand même relativiser mon optimisme sur cette résistance, irriguant la société algérienne via l'humour ou la dérision contre de réelles flibusteries des tenants du pouvoir d'Etat, c'est le renforcement, en face, d'un bloc de violence physique interdisant, par exemple, toute marche pacifique dans Alger ; c'est cette propagation d'idéologies populistes et mafieuses cassant toute volonté initiative de construction d'un espace public physique réel. Qu'on ne s'y trompe pas : les usages d'internet, à travers les sociétés du monde entier, recèlent de fabuleuses potentialités de démocratisation de la communication sociale. Cependant non adossées à des Etat de droit – qui garantissent les rouages de vie de l'espace public réel –, ces potentialités via par exemple les réseaux sociaux ne peuvent au mieux être que de nouveaux démultiplicateurs de murmures/brouhaha d'une société non encore capable d'organiser sa communication afin de choisir librement ses députés qui vont contrôler ses autorités publiques. Le buzz, souvent anonyme, peut-être spectaculaire, de là à réellement réunir/construire une communauté de citoyennes et citoyens, il y a un gap.