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Femmes de la région de Port-Gueydon dans la guerre de Libération
Une histoire mixte
Publié dans El Watan le 11 - 11 - 2004

Dans les témoignages de femmes de la région de Port-Gueydon (aujourd'hui Azeffoun), la date du 1er Novembre 1954 n'apparaît que rarement. Deux raisons à cela : d'une part, l'approche que les femmes ont de leur passé est relativement peu chronologique : il est plus souvent jalonné par le rythme des saisons que par des dates.
C'est un premier aspect de la dimension généré par les mémoires. D'autre part, la commune mixte de Port-Gueydon, en Kabylie maritime, n'est pas le théâtre d'un des attentats du 1er novembre. L'événement le plus proche se déroule à Azazga, à une trentaine de kilomètres. Les manifestations du 8 Mai 1945 et la répression qui s'ensuit paraissent peut-être plus marquantes. Une des femmes rencontrées en parle en ces termes : « On ne s'était pas encore remis de la guerre franco-allemande, ce fut la guerre franco-algérienne. C'était d'une guerre à l'autre. Mon mari était dans l'armée française lors de la Seconde Guerre mondiale. Il a participé à la guerre contre les Allemands. Puis, à la fin, quand les Français ont remporté leur indépendance, ils se sont retournés contre les Algériens, contre ceux qui se sont battus pour que, eux, ils retrouvent la liberté. » Ainsi se dessine une continuité de la lutte pour l'indépendance. L'entrée dans la guerre (dite d'« Algérie » ou de « Libération nationale », selon le point de vue adopté) ne commence, quant à elle, que plus tard, au cours de l'année 1955, avec l'intensification des départs aux maquis et des opérations militaires françaises. Deux temps se dégagent dans les récits que les femmes de cette région font de la guerre de Libération nationale : un avant et un après les grandes opérations de regroupement de populations. Avant, c'est la vie au village, le soutien logistique aux moudjahidine, les représailles des militaires français. Après, c'est le déracinement et l'adaptation des formes d'aide aux maquisards à cette nouvelle situation. C'est autour de l'expérience de ces « déplacements » que se cristallisent les mémoires des femmes de la région. Dans les années 1950, la région de Port-Gueydon a cette double caractéristique, commune à bien des régions de Kabylie : faiblesse de la colonisation agricole, hormis sur une étroite bande littorale, et importance de l'émigration vers la France et Alger pour l'essentiel. Lors d'une visite du secteur de Azazga - qui comprend le quartier de Port-Gueydon - en octobre 1959, un officier français écrit : « Chaque famille a au moins un travailleur en Mitidja ou en métropole. » Les villages y sont dispersés sur les hauts, ce qui rend la région difficilement contrôlable pour l'armée française. Une politique de regroupement des populations est alors mise en place. Le 1er octobre 1959, la population du village de Tiza est évacuée vers le village d'Ighil Mahni ; ultérieurement, celle d'Aït Illoul est regroupée à la ferme Tardieu, une ferme coloniale abandonnée par ses propriétaires. En février 1960, la population d'Aït Si Yahia est déplacée à Aït Rahouna, un bourg situé sur la côte. En septembre 1961, les habitants de Tifezouine sont dispersés dans plusieurs villages de la région, principalement Bezerka et Azeffoun. En outre, il semble que les épouses, mères et sœurs de moudjahidine aient été regroupées dans un camp spécifique à Tidmimine. Pour les femmes, tous ces lieux, quelle que soit leur dénomination officielle - « villages regroupés », « centres de regroupement », etc. -, sont des « prisons » où l'armée française entend les enfermer, à grand renfort de barbelés et de guérites. « Le long de la route, il n'y avait plus que des prisons », explique l'une d'elles. A ce moment de la guerre, la population civile est très largement composée de femmes et d'enfants, les maris étant en « exil », au maquis ou encore en prison. Les recensements de population que tentent de faire les Sections administratives spécialisées (SAS) donnent les chiffres suivants : sur le territoire de la SAS d'Azeffoun, on compte, en moyenne, de janvier 1960 à décembre 1961, 13% d'hommes ; sur celui de la SAS d'Ighil Mahni, de juin 1960 à décembre 1961, 9%. Ainsi, tenter d'écrire l'histoire des femmes, c'est aussi aborder celle des populations civiles dans une guerre révolutionnaire. Dans les récits de femmes, tout laisse à penser que la frontière que les barbelés doivent dresser entre les moudjahidine et les populations locales en est surtout une pour les militaires français. D'emblée, leurs mémoires sont des mémoires de résistantes, de l'insoumission à l'ordre militaire et guerrier, de la transgression des barbelés. La nuit, la nourriture ou le linge propre destinés aux moudjahidine sont jetés par-dessus les barbelés ou glissés en dessous, parfois avec la complicité d'un harki « qui joue des deux côtés ». Les trajets vers les fontaines sont autant d'occasions de déposer dans des caches ce qui doit être remis aux combattants : les cruches des femmes apparemment vides ou remplies de linge sale contiennent souvent des petits mots ou des denrées alimentaires, ce qui permet au contact entre l'intérieur du village regroupé et l'extérieur d'être, si ce n'est constant, tout au moins régulier. Certaines femmes expliquent qu'il suffit de « faire les yeux doux » aux jeunes militaires français ou faire semblant de courir après son enfant pour échapper à la fouille réglementaire au moment de sortir du camp. Le soutien des civils aux moudjahidine n'a donc pas tari après les opérations de regroupement. Comme au village, les femmes assurent une part du soutien logistique assumé par les civils dans ce type de guerre. Mais, pour l'essentiel, les tâches qui leur incombent relèvent de l'économie domestique : nourrir, laver, soigner, conformément à leur rôle dans une société patriarcale. Rares sont celles qui font partie de l'organisation politico-administrative du FLN-ALN. Si le village regroupé est une prison aux yeux des femmes, il est aussi un lieu qui les met à l'abri de certaines violences guerrières : ratissages, bouclages, arbitraire des représailles, etc. Les civils n'ont plus à subir le saccage des aliments, la décimation des cheptels, le pillage des maisons ; les récits de viols ou de tentatives de viols disparaissent. En revanche, c'est une violence plus structurelle (économique, sociale et symbolique) que les civils ont à endurer : celle du déracinement. L'armée française, en tentant de casser le lien organique entre les troupes de l'ALN et les populations civiles, casse surtout celui avec le terroir, déstructure l'économie locale. Par exemple, la cueillette des figues et des olives est interdite. Ce sont des piliers de l'économie traditionnelle qui sont alors ébranlés. Les femmes doivent aller chercher le « bon de ravitaillement » qui leur est octroyé. Mais la sévérité du rationnement ne permet pas de subvenir aux besoins alimentaires des familles. Aussi leurs récits regorgent-ils de détails sur les palliatifs qu'elles doivent trouver dans ces situations de pénurie : le sel est pris à même l'eau de mer, la caroube et les herbes qu'elles vont « chercher à la montagne », quand elles y sont autorisées, deviennent des aliments de base. Il y a en outre rupture avec les modes d'habiter traditionnels, rupture des géographies familiales et villageoises et de leurs liens de solidarité. C'est ainsi que la guerre s'introduit au cœur des familles, au cœur de l'espace domestique. S'attacher aux aspects quotidiens de la vie en temps de guerre est une autre spécificité des mémoires de femmes. « Dans la remémoration, les femmes sont en somme les porte-parole de la vie privée », explique Michelle Perrot. Voilà, à peine esquissés, quelques aspects de l'histoire des femmes de la région de Port-Gueydon dans la guerre. Cette histoire ouvre sur celle des civils en général dans une guerre révolutionnaire. Les mémoires de femmes fournissent, en outre, des éléments propres qui devraient permettre, à terme, d'écrire une histoire de la vie privée et de l'espace domestique dans l'Algérie en guerre et ainsi d'interroger l'impact réel de ce moment de profonds bouleversements des structures sociales sur la place des femmes dans les familles et plus généralement dans la société algérienne. Le travail de collecte de témoignages est urgent : déjà, les expériences des femmes d'âge mûr au moment de la guerre sont perdues à jamais, car la mémoire est presque le seul matériau dont les historiens disposent pour tenter d'écrire l'histoire de ce groupe social longtemps exclu des sphères de l'écrit. Pourtant, peut-être l'histoire des femmes ne prend-elle tout son sens qu'en la croisant avec celle d'autres groupes sociaux pris dans la guerre. L'approche micro-historique et l'ancrage dans le local pourraient alors permettre d'écrire une histoire mixte (dans tous les sens du terme), plurielle et complexe, à l'image de cette guerre
Coline Pellegrini :
Est doctorante en histoire sous la direction de Benjamin Stora à l'Institut Maghreb-Europe, Paris-VIIIe. Sa thèse portera sur la région de Port-Gueydon entre 1945 et 1965. Elle a participé à la réédition du livre de Bernard Gerland, Ma Guerre d'Algérie (Golias, 2002), pour lequel elle a écrit une postface. Coline Pellegrini a également écrit un article sur les traumatismes de guerre chez les anciens appelés français pendant la guerre d'Algérie. Il devrait paraître dans le prochain numéro de la revue Quasimodo, dont le thème est « Corps en guerre ».


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