Notre frère Si «l'Istiklal», qui nous déclarait toujours qu'il serait le premier d'entre nous à tomber en martyr et à entrer au Paradis, était certes le plus joyeux de nous tous. Nous lui avions collé le sobriquet de «l'Istiklal» (l'indépendance), à l'occasion d'une discussion que nous avions eue sur l'avenir de notre pays. Si Tayeb Benmira - c'était son vrai nom ! - ne parvenait pas à saisir le sens du mot Istiklal (indépendance), qui était pour nous le but ultime que nous avions entrepris d'atteindre lorsque nous avions quitté nos foyers et nos familles pour prendre les armes et lutter contre le colonialisme... Très sincèrement, sans plaisanterie ni feinte de sa part, Si Tayeb Benmira nous avait demandé de lui expliquer le sens de ce mot, qui nous tenait tant à cœur. Nous lui avions alors dit : «Lorsque nous aurons chassé le colonialisme français et son armée, le peuple algérien retrouvera son indépendance et sa liberté.» Si Tayeb, qui ne comprenait toujours pas notre acharnement à parler d'indépendance, nous répondit : «Moi, je combats pour mourir en tant que martyr dans le Sentier de Dieu et non pas pour votre indépendance !» Voilà comment il avait écopé du sobriquet de Si «l'Istiklal». Comme une partie des soldats français se trouvant sur notre flanc droit avait reçu l'ordre d'avancer et de nous attaquer, Si Moussa réagit à cette initiative de l'ennemi en ordonnant au chef de groupe Si Larbi d'El Attaf de descendre pour prendre position sur un talus situé à une dizaine de mètres à l'aplomb de notre position. Il lui recommanda de laisser approcher le plus près possible les soldats avant de se mettre à leur tirer dessus et de ne pas entreprendre d'assaut (el-houdjoum) en aucune manière, car il devait se replier sur sa position initiale immédiatement après avoir tiré sur la première vague de soldats martiniquais et sénégalais, chair à canon privilégiée de l'armée française... Le changement de position du groupe de Si Larbi ayant échappé aux soldats ennemis, ces derniers avançaient toujours, pour être soudain accueillis par un feu nourri. Des dizaines de soldats tombèrent raides morts. Les blessés, râlaient de douleur, désespérément traînés par le col ou les pieds par leurs congénères. Pris d'affolement devant cette attaque inopinée, un Martiniquais blessé, s'était mis à ramper, tout en continuant à tirer avec son fusil-mitrailleur. Surpris et paniqués, les soldats pensaient que les moudjahidine allaient passer à l'assaut dans le but de récupérer l'armement, comme ils en avaient l'habitude. Tout de suite après cette attaque éclair, le groupe de Si Larbi avait regagné sa position sur la crête. Le silence qui s'ensuivit était total ; l'ennemi ne bougeait plus, cherchant la solution pour pouvoir nous déloger. Les soldats français avaient sous-estimé notre force de frappe et notre volonté de résistance. Croyant sans doute n'avoir affaire qu'à une poignée de moussebiline armés de vieux fusils de chasse et de pétoires usées au tir peu sûr, voilà donc qu'ils avaient droit à un beau comité d'accueil avec armes automatiques. L'ennemi se trouvait acculé à changer de tactique, après avoir essuyé ce cuisant revers. Pendant ce temps-là, tout heureux de notre avantage, nous restions décidés à combattre jusqu'à notre dernière goutte de sang. (à suivre...)