Privation n Ils ne pouvaient s'offrir qu'un petit voyage par an. Et encore quand c'était nécessaire pour le mariage d'un parent, des funérailles… Compte tenu de la précarité d'une population réduite au minimum vital, il paraît difficile de parler de loisirs quand la corne d'abondance ne coule que d'un seul côté, celui des Européens, les nantis des villes et les propriétaires terriens de la campagne. Il était d'ailleurs du dernier chic pour les colons de l'époque de passer chaque année, après les fêtes de l'assomption deux à trois semaines de vacances à Vichy. Les eaux thermales de cette station très prisée par les métropolitains eux-mêmes leur permettaient de se ressourcer dans une nouvelle vigueur pour mieux faire suer les Arabes du burnous. Quant aux avocats, médecins, huissiers, architectes, la dernière mode en vogue consistait pour eux à être vus dans les grands palaces et les casinos de Nice et de Cannes. Quant aux Algériens, il était hors de question pour eux de se payer pareilles escapades, ils n'en avaient ni le temps ni surtout les moyens. Pour ceux qui avaient la chance d'avoir un travail régulier, soit dans les rares usines en fonction, soit dans les chantiers de la commune, soit même dans l'administration comme facteur, chaouch ou gardien de jardin public, ils ne pouvaient s'offrir en général qu'un petit voyage par an pour rendre visite à leurs proches. Et encore quand le déplacement était nécessaire pour assister par exemple au mariage d'un parent, à des fiançailles ou même à une circoncision. Rares étaient les citadins qui pouvaient sacrifier leurs maigres économies pour passer quelques jours de farniente avec leurs enfants au bord de l'eau. Il faut se dire aussi que le travail dans les grandes agglomérations en particulier n'était pas chose facile et que le revenu des familles était extrêmement limite. Encore plus pour les femmes qui n'avaient accès à aucun poste... sinon celui de femme de ménage dans les foyers aisés, de femme de chambre dans les hôtels ou de masseuses dans les bains maures. En dépit d un horizon bouché en matière d'emploi, des femmes pourtant apporteront une grande part au budget de la famille. Dans certaines villes traditionnelles telles que Constantine, Blida, Alger, Mostaganem et Tlemcen, des mères feront régulièrement la soudure avec les fins de mois difficiles grâce à leur art de la broderie sur dentelle et au fil d'or et à la tapisserie de luxe. Quant aux enfants, et pour les mêmes raisons que nous venons d'évoquer, ils n'avaient pas accès aux mêmes jouets que les enfants des colons tels les uniformes de cow-boy, les trains électriques, les voitures de course miniature et autres caméras de cinéma... Nos enfants se contentaient le plus souvent d'une toupie, d'un ballon en chiffon, de noyaux d'abricots ou de cerceaux métalliques récupérés à la ferraille...