Invisibles, une pièce relatant les déboires des «chibanis», ces immigrés algériens à la retraite vivant en France la plus grande des solitudes, du fait de l'éloignement et des contraintes administratives, est, depuis mardi soir, à l'affiche au théâtre Le Tarmac de Paris. La scène se déroule dans un foyer pour vieux Algériens à la retraite où la notion du temps est inexistante. Autrefois considérés comme une main-d'œuvre à bon marché, ces «chibanis» (vieux-cheveux blancs) sont des laissés-pour-compte en France, un pays pour lequel ils ont donné toute la sueur de leur front et qui le leur rend mal. Mosquée, jeux de dominos ou de cartes, emplettes et flâneries furtives aux abords du foyer sont les seuls actes qui rythment le quotidien de Driss, Shérif, Hamid et Majid. Le temps, pour eux, semble s'être arrêté au moment où ils ont pris leur retraite. Depuis, ils vivent hantés par deux préoccupations : comment subvenir aux besoins et parfois même aux exigences de familles laissées de l'autre côté de la Méditerranée, et mener en France une vie décente que leurs maigres revenus ne permettent pas. En sus de la mal vie de ces personnes âgées contraintes à l'exil lors de l'occupation coloniale de l'Algérie, cette pièce touche du doigt un épineux problème que ces immigrés endurent depuis des années : l'impossibilité pour eux de quitter le territoire six mois et un jour s'ils veulent prétendre à leur complément-retraite. «Cela fait de nous des assignés à résidence. Ces gens-là ont oublié que nous sommes des hommes», s'écrie Hamid, lors du spectacle. «Nous n'avons pas vu grandir nos enfants et ce blocage administratif nous contraint à nous rendre généralement qu'en juillet et août en Algérie. Quelle misère», lâche-t-il, sous les applaudissements de l'assistance. Pour l'auteur et metteur en scène de la pièce, Nasser Djemai, Invisibles a été montée pour fustiger «l'amnésie qui frappe l'immense apport de ces ‘'chibanis'', qui n'ont été considérés comme des hommes que très tard». «Etant moi-même fils de ‘'chibanis'', je revendique l'apport de ces hommes par rapport à l'histoire de France», a-t-il confié à l'APS, estimant que la «meilleure reconnaissance» qu'on puisse manifester à l'égard de ces «travailleurs de l'ombre» est de les laisser partir et revenir comme ils le souhaitent. Invisibles est à l'affiche au théâtre Le Tarmac jusqu'au 18 février. C'est la première représentation à Paris depuis la sortie de la pièce en novembre 2011. «L'histoire des Invisibles étant universelle, je souhaiterais aussi, à la faveur d'une tournée, la présenter dans les grandes villes d'Algérie», a-t-il confié.