Résumé de la 107e partie ■ Le Dr Watson faisait visiter l'île au Gouverneur et à ses invités. Chantal sauta de son hamac et rentra précipitamment dans sa maison ... Leurs rires étaient niais et leurs questions insipides. Chantal ne craignait qu'une chose, c'est que Sir Cyril Norman, sur une proposition du médecin-chef, n'éprouvât le besoin de venir lui rendre visite par déférence pour sa double qualité d'Européenne et de Française. Elle était bien décidée, au cas où quelqu'un monterait sous la véranda pour frapper à sa porte, à ne pas répondre en se blottissant dans un coin de la salle de bains pour faire croire qu'elle était sortie. Mais la tournée officielle reprit sa marche en direction du village fidjien ; le bruit des voix déclina. Le reste de l'après-midi fut calme : Makogaï paraissait avoir été désertée par ses habitants. En réalité, ils s'étaient tous massés sur la grande place pour la fête traditionnelle. A cette heure, la représentation devait battre son plein. Chantal s'imaginait très bien la scène à distance, avec les officiels congestionnés après le banquet offert parle Dr Watson et suant à grosses gouttes sous le vélum de la tribune présidentielle. A force de faire travailler son cerveau, elle finit par éprouver une envie impérieuse de se rendre sur la place malgré le serment de ne pas bouger qu'elle s'était fait à elle-même. Elle voulait voir si la réalité concordait avec les images créées par son imagination. Elle était curieuse aussi de découvrir la surprise de Marie-Ange et ne fut pas longue à prendre le chemin de la Mission. Mais à peine avait-elle parcouru deux cents mètres, qu'elle entendit les flons flons d'un orchestre. Quand elle fut à l'entrée de la place, elle se cacha derrière un massif d'ignames pour ne pas être vue : personne d'ailleurs ne faisait attention à elle. Les malades, accroupis sur leurs jambes croisées, ou allongés côte à côte sur des brancards, formaient le gros du public. De sa cachette, Chantal avait une vue d'ensemble. Un orchestre imposant, composé d'une quarantaine de malades appartenant à toutes les nationalités, occupait l'estrade et déversait sur l'assistance subjuguée des flots d'harmonie. Cet orchestre se rapprochait plutôt de l'orphéon avec ses instruments en cuivre, étincelants sous le soleil. La baguette du chef était tenue par Marie-Ange, qui se démenait et battait la mesure avec une aisance prodigieuse. C'était la surprise dont la petite sœur lui avait parlé : en quelques mois, depuis son arrivée dans l'île, elle avait réussi à monter un orchestre. Les instruments avaient dû être en-voyés d'un peu partout : de Sydney, de Melbourne, de Suva, de Levuka, de Nouvelle-Zélande... Marie-Ange connaissait - depuis l'époque où sa mère, la marquise de Furière, l'avait obligée à prendre des leçons de solfège et de piano - l'action bienfaisante de la musique pour adoucir les mœurs et endormir la douleur. (A suivre...)