Deux septembre 1950. C'est jour de fête à Lubeck, le grand port du nord de la République fédérale d'Allemagne, sur la Baltique. On célèbre le septième centenaire de l'église Sainte-Marie, qui date des XIIIe et XIVe siècles. Et, à cette occasion, l'une des blessures encore visibles de la guerre toute proche va disparaître... Dans la nuit du 28 au 29 mars 1942, en effet, un raid aérien avait touché le bâtiment de culte. En particulier, les peintures murales avaient été très endommagées. Elles recouvraient l'abside du chœur et les parois latérales. Elles dataient d'environ 1300 et étaient une des gloires de l'art primitif allemand. Sitôt les hostilités terminées, on a décidé de les restaurer. Les travaux ont été confiés au grand spécialiste de la question, le peintre Dietrich Fey, sous le contrôle de Bruno Fendrich, conservateur de l'église. Vu l'ampleur de la tâche, Dietrich Fey s'est fait assister par un jeune artiste, également spécialisé dans ce domaine : Lothar Maiskat. Tout a été exécuté dans les délais, et ce 2 septembre, à la date prévue, les fresques restaurées sont inaugurées par les autorités, en présence des experts nationaux en art. Le Dr Konrad Adenauer, chancelier de la République fédérale, se fait montrer les fresques par Dietrich Fey, qui lui expose les problèmes qu'il a rencontrés. — C'est une véritable renaissance qui a eu lieu, monsieur le chancelier. Beaucoup de parties avaient brûlé, d'autres avaient été endommagées par le souffle. — Comment avez-vous pu les reconstituer, dans ces conditions ? — C'est précisément mon métier. Pour les couleurs, il suffit d'un fragment intact, ne serait-ce qu'un millimètre carré, pour les retrouver. Quant au dessin, même s'il est détruit par endroits, on arrive toujours à prolonger les lignes... Le Dr Adenauer félicite Dietrich Fey pour son travail et les habitants de Lübek, qui défilent dans leur église restaurée, manifestent le même enthousiasme : — Quelle délicatesse de coloris ! Quelle intensité dans l'expression des visages ! — C'est une pure merveille ! Tous sont fiers que leur vieille ville médiévale ait retrouvé ce chef-d'œuvre digne de son histoire et les postes de la RFA émettent peu après deux timbres reproduisant la fresque, intitulés «Timbre commemoratif du septième centenaire de l'église mariale de Lübeck». Les responsables des postes ont choisi naturellement de représenter la partie centrale, celle du chœur où figure la Vierge Marie, à qui est dédiée l'église. II ne leur serait pas venu à l'idée de s'intéresser à une autre partie, à l'extrémité de l'œuvre, en bas à droite d'une des peintures latérales. L'artiste, qui y représente le paradis terrestre, a fait figurer, dans un décor verdoyant, au milieu d'autres animaux de la création, deux dindons. Et, si étonnant que cela paraisse, ce sont ces modestes volatiles qui sont les personnages principaux de cette histoire. Dans les mois qui suivent, il y a de nombreux comptes rendus de spécialistes sur ces admirables fresques. L'Institut d'art de Kiel écrit dans une plaquette qui leur est consacrée: «La Vierge Marie est merveilleuse ; les saints paraissent avoir le regard tourné vers l'occident, attendant le Jugement dernier. L'artiste médiéval auquel Lübeck doit ce chef-d'œuvre reste inconnu. II appartenait sans doute à cette lignée de très anciens maîtres qui cachaient leur personnalité sous le travail.» Un historien de l'art suisse, dans un ouvrage sur la peinture médiévale allemande, précise de son côté: «Les images de saints, peints par groupes de trois, sont les plus expressives. Toujours par groupes de trois, des apôtres, des patriarches, des moines. Tous ont été conçus dans un style rigide, presque roman. A suivre