Ici vit Zahia, la trentaine dépassée, la silhouette frêle et les yeux tristes. Assise sur un banc, le regard rivé sur l?horizon. Ses gestes sont lourds. Et puis un cri assourdissant: «khelouni nrouh?» (Laissez-moi partir) fuse, là, dans cet immense vide que les imposants chênes ne pouvaient combler. Mais partir pour aller où ? la question reste sans réponse. Zahia connaît peut-être la réponse, mais elle la garde pour elle. Zahia sèche ses larmes avec le manche de sa chemise mouillée. «Ma fille m?a dit qu?elle pleure tous les jours, c?est peut-être sa façon de communiquer», nous informe un quinquagénaire qui vient, occasionnellement, rendre visite à sa progéniture atteinte, elle, de troubles psychiques depuis qu?il a été victime d?un licenciement abusif de sa société après 10 ans de bons et loyaux services. Non loin de là, un homme nous interpelle pour nous demander une cigarette. Lorsque nous lui signifions que nous ne sommes pas fumeurs, il part sans dire mot. L?hôpital Drid-Hocine regorge de patients ayant presque le même profil et ayant surtout la particularité d?être oubliés par les leurs dans ce monde fou, fou que le directeur M. Larfi, un gestionnaire fier d?être au chevet de ce monde à part, refuse d?assimiler à un pénitencier : «Un établissement hospitalo-universitaire n?est pas une prison. Et les gens ont tort de nous incriminer. Ce n?est pas vrai, nous ne ne tuons pas les malades avec les barbituriques.» «Interdiction à toute personne étrangère au service de rentrer». Cet interdit, nous avons voulu le transgresser, voir de l?autre côté des murs. Transpercer le mirador, regarder ces femmes et ces hommes malades, blessés dans leur chair et qui, pourtant, sont nos semblables. Les pavillons sont calmes. Pas de mouvement. Renseignement pris, les malades ont pris la «pilule». Pour déflorer ce monde clos, on nous signifie qu?il faut absolument avoir l?aval des médecins traitants, seuls habilités à nous accorder ce privilège. Mais ces derniers sont, pour la plupart, en congé annuel. L?autorisation dûment signée la veille par le service de communication et des relations publiques du ministère de tutelle n?aura finalement pas servi à grand-chose. «Revenez dans quinze jours et tout sera réglé», nous déclare un assistant chargé d?assurer, en ce mois d?août, l?intérim dans le pavillon réservé aux femmes. De l?autre côté de? l?autoroute, l?hôpital de jour, réservé uniquement aux consultations, est vide. Les patients sont chez eux et doivent rentrer en classe en septembre. Le docteur Ould Taleb, spécialiste en psychiatrie et éminence grise de l?hôpital y est seul avec ses quelques assistants. «C?est la période des vacances, il faut venir en septembre pour voir les malades.» A Drid-Hocine, responsables et membres du corps médical sont irrités par la mauvaise presse que leur vaut la présence d?une grappe de «fous». «Les gens doivent comprendre que la folie ne doit jamais être un sujet tabou. Les familles ont honte et préfèrent chasser le malade de la maison plutôt que de le soigner. Il faut que tout cela cesse», avoue le directeur de l?établissement avant de lancer en guise de mise en garde sa phrase couperet : «Il faut que vous sachiez tous que nul n?est à l?abri?».