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Histoires vraies
Amateur de seins
Publié dans Info Soir le 09 - 05 - 2005

Bertrand, vingt-six ans, peut envisager la vie avec optimisme. Il possède un physique agréable, tout le monde le dit. Brun, coiffé en arrière, des yeux bleus de séducteur, une jolie barbe naissante, un air bourgeois qui donne confiance. D'ailleurs, hormis ces qualités physiques, Bertrand possède un métier intéressant et plein d'avenir : il est géomètre dans un cabinet d'architectes de la région parisienne. Et ce n'est pas tout : le beau Bertrand est aimé d'une jolie fille et il lui rend bien son amour depuis de nombreuses années. Tout ça doit logiquement se terminer par un beau mariage dès qu'ils se sentiront prêts à prendre des responsabilités familiales. Bertrand peut envisager l'avenir avec optimisme. Il n'a même pas de problème de logement puisqu'il demeure dans un charmant studio en proche banlieue, à deux pas de Paris. Et comme sa jolie fiancée n'est pas libre tous les soirs et puisqu'il possède quelques moyens financiers, Bertrand, quand il est seul, aime à se rendre à Paris, spécialement dans le quatorzième ou le quinzième arrondissement. Il a ses petites habitudes.
Tenez, par exemple, prenons la soirée du 5 février 1992. Il a une soirée à tuer : il prend le bus et le métro et, ce soir-là, il décide de déambuler dans le quinzième. La soirée est fraîche, il est presque minuit, mais le spectacle de la rue le fascine. Des passants se pressent vers leurs rendez-vous respectifs. Tiens ! Une jolie blonde à l'allure d'étudiante. Bertrand, le joli brun aux yeux clairs, sent son c?ur battre un peu plus fort. De nombreux garçons de son âge, fiancés ou pas, en feraient autant... Mais lui passe à l'action.
Il suit à présent la jolie blonde. Elle s'arrête devant un immeuble dont la porte est munie d'un code d'entrée. Bertrand marque un temps, juste assez pour entendre le déclic de la porte qui s'ouvre. La jolie blonde, qui lui a jeté un regard distrait, est en train de pousser la lourde porte de l'immeuble pour se glisser à l'intérieur. D'un bond, Bertrand est sur elle, pousse la porte avec elle, d'une bourrade la bouscule dans l'entrée, referme le battant, qui se clôt avec un petit «clic». La jolie blonde, qui se prénomme Céline, a compris que Bertrand a des intentions désagréables. Elle se précipite dans la cage d'escalier pour essayer de gagner son appartement. Trop tard ! Bertrand, dont les intentions se précisent, brandit une lame. Elle sent la pointe aiguë de l'instrument lui piquer désagréablement la carotide. «Montre-moi tes seins», souffle Bertrand, dont le regard est beaucoup moins aimable que dans la vie courante.
Céline ne répond pas. Elle n'appelle pas au secours. Elle sait que ce genre d'appel fait rarement sortir les voisins de chez eux. Elle est juste devant sa porte. Bertrand lui souffle en plein visage et sa main fiévreuse essaie de se glisser sous son chemisier, de dégrafer son soutien-gorge. Céline se dit : « Non, ce n'est pas possible, je ne vais pas me faire violer sur mon propre palier ! » Soudain, un bruit dans l'immeuble : sans doute des voisins, plus ou moins connus, plus ou moins courageux, qui rentrent chez eux. Le couteau quitte la carotide de Céline. Bertrand estime plus intéressant de se pencher sur la rambarde de l'escalier pour juger du changement de situation. La minuterie éclaire tout l'escalier. Céline, qui avait déjà ses clés en main au moment de l'attaque, enfonce sa clé dans là serrure. Elle se rue dans son entrée, claque la porte. Bertrand, l'amateur de seins juvéniles, n'a pas eu le temps de réagir. Céline saura plus tard ce à quoi elle vient d'échapper. Pour l'instant, toute tremblante, elle jette son sac à main sur le canapé et compose frénétiquement le 17, donne un signalement très précis de son agresseur puis, après avoir vérifié par le viseur de l'entrée qu'il n'est plus sur le palier, elle s'écroule en tremblant de tous ses membres.
La police, très intéressée par la déclaration de Céline, lance une patrouille dans le quartier car, bien sûr, Bertrand a filé sans demander son reste. On le retrouve quelques heures plus tard, avenue du Maine, alors qu'il attend de trouver un taxi pour regagner, en banlieue, son studio confortable de jeune homme bien sous tous les rapports. Placé en garde à vue, interrogé par les policiers, Bertrand joue parfaitement son rôle d'innocent ? non, il doit s'agir d'une erreur, il n'a jamais agressé personne. Il vient de passer la soirée avec sa petite amie et il a fait un tour dans ce quartier si vivant. Allez prouver le contraire... Bertrand se dit que, dès qu'il aura recouvré sa liberté, il aura le loisir d'arranger son alibi avec sa fiancée, qui ne saurait rien refuser à l'homme qu'elle aime. Erreur : les policiers ont des façons de vous scier les nerfs, de répéter inlassablement les mêmes questions, de vous jeter à la figure les différences entre vos réponses, les détails qui ne collent pas ensemble... Bertrand perd bientôt son masque de jeune homme sans problème. Il avoue ses pulsions, selon lui irrésistibles et inattendues. Il explique comment il signe ses agressions par ce besoin forcené de caresser les seins de ses victimes. Ce qui ne l'empêche ni de les violer ni de les dépouiller de leurs bijoux... Le cabinet d'architectes devra chercher un nouveau géomètre. Bertrand, accusé de 35 viols ou tentatives de viol en deux ans, aura du pain sur la planche avant de se promener à nouveau le soir dans le Paris de la rive gauche...


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