L'image insoutenable du cadavre de l'enfant syrien échoué sur une plage turque a naturellement créé une vague d'émotion planétaire. Mais elle a aussi suscité un courant d'indignation hypocrite en Europe qui permet de se donner bonne conscience à moindre frais. Et l'on oublie, à la faveur de l'effusion des bons sentiments, que l'afflux des réfugiés syriens est la conséquence directe de la grande responsabilité des dirigeants européens, français et britanniques en tête, dans la plongée de la Syrie dans le chaos de la guerre. Surfant sur la vague d'émotion submergeant leurs opinions publiques, les deux chefs d'Etat allemand et français en sont venus à vouloir imposer à l'UE des quotas d'accueil de réfugiés. En somme, c'est le pyromane qui veut jouer au pompier ! Mais chassez le naturel raciste et il reviendra toujours au galop. En effet, la déferlante d'images des drames de l'immigration s'accompagne d'un discours véhiculant l'idée que l'Europe serait «submergée» par un afflux de réfugiés sans précédent. Ce discours fallacieux conduit à nier le besoin de protection des réfugiés pour mieux renforcer une politique sécuritaire inefficace plus que jamais. Certes, un nombre important de personnes sont arrivées en Europe pour y demander l'asile, soit au total environ un million en 2014 et 2015. Mais il s'avère que les Européens sont trop aveuglés par leur européocentrisme pour relativiser ces chiffres en les mettant en perspective internationale. Soixante millions de personnes sont actuellement déplacées de force à l'échelle du globe et pas moins de 80% d'entre elles se trouvent dans les pays en développement. L'Europe n'est en réalité touchée qu'assez marginalement par le phénomène. On assiste dans ce contexte à la montée d'un discours de la peur assimilant les migrants à une «vague», un «tsunami» ou un «essaim» prêt à «déferler» sur l'Europe. L'usage d'une sémantique aussi abjecte, dicté par une logique électoraliste à court terme, contribue à déshumaniser ces personnes réduites ainsi à des abstractions menaçantes. Il devient alors plus facile d'exiger une politique plus répressive qui nie le besoin de protection des migrants. Une telle politique dite de «sécurisation des frontières» ou de «lutte contre l'immigration irrégulière», s'est avérée onéreuse, inefficace et humainement inadmissible. Une étude récente a montré que les 28 membres de l'UE ont dépensé depuis 2000 presque 15 milliards d'euros dans des dispositifs complexes visant à interdire aux demandeurs d'asile l'accès à leurs pays. Pourtant, cette stratégie coûteuse s'est révélée inefficace et contreproductive : elle a engendré de surcroît les phénomènes contre lesquels elle prétendait justement lutter. En forçant les personnes en fuite à emprunter des voies de passages périlleuses, cette politique aveugle a favorisé le développement d'un marché très juteux et parfaitement incontrôlable, celui des passeurs jugés seuls responsables de la «crise migratoire» actuelle. Sur le plan humain, le bilan d'une telle politique est absolument catastrophique : plus de 20 000 hommes, femmes et enfants auront, en l'espace de vingt ans, payé de leur vie leur tentative de pénétrer sur le territoire de l'UE. Cependant, le discours de «l'afflux massif» tend à empêcher l'aménagement de voies légales d'immigration. Enfin, la réalité montre que le phénomène des migrations reste très limité en dépit de ses manifestations spectaculaires. Les migrants ne représentent effectivement que 3% de la population mondiale. Et lorsque les pays européens ont accueilli des personnes en fuite, ils n'ont pas été perdants, bien au contraire. Aujourd'hui, la plupart de ces pays reconnaissent les bénéfices économiques, sociaux et culturels que ces migrants ont apportés à des sociétés vieillissantes. A commencer par l'Allemagne de Merkel dont le patronat se réjouit de l'arrivée d'une main- d'œuvre abondante et pas chère sur un marché du travail où existent des offres d'emploi et de formation auxquelles ne correspondent pas des demandes locales. N. K.