Peut-on demander à une cigale d'organiser son train de vie comme une fourmi ? D'après l'auteur de la fable, moralisateur dans sa poésie mais sybarite et invétéré noceur dans sa vie privée, la réponse est non. On connait la triste fin réservée par Jean de La Fontaine à son anti-héroïne la cigale après qu'elle fut rabrouée par la fourmi qui «n'est pas prêteuse». Moralité, ou plutôt moralités, car il y en a deux d'après un humoriste : «Tu travailles, tu crèves, tu travailles pas (sic), tu crèves quand même.» On en peut en ajouter une troisième qui tiendrait, elle, plutôt de la génétique. Le voudrait-elle, la cigale ne peut pas se mettre à trimer et épargner comme une fourmi, pour les temps durs. Les affaires d'un pays, quant à elles, se gèrent en «bon père de famille», selon l'expression consacrée. Donc, normalement, tout Etat gagne à s'inspirer de l'exemple de ces insectes sociaux qui ont probablement découvert la division du travail et la gestion communautaire des silos de la collectivité, avant les hommes. C'est pour cela d'ailleurs que dans plusieurs cultures, sous des énoncés différents, on retrouve un postulat qui veut que l'Etat des hommes, à l'image de ces derniers, possède bien deux bras, lui aussi. L'un, long et c'est celui avec lequel il prend, alors que l'autre, court, lui sert à donner ce qu'il a pesé au trébuchet. Les morales officielles le veulent partout ainsi, l'Etat et ses organes de gestion et d'exécution est par nature chiche, radin, il a des oursins dans les caisses et il ne pense qu'à la meilleure façon de les remplir. Même quand les récoltes sont abondantes et que les gisements aurifères produisent à plein régime…politique ou industriel, c'est selon. En un mot, il n'est pas facile de se rallier à la pingrerie recommandée par la morale (ou la démagogie populiste) quand, pendant des années et des lustres, l'Etat généreux a dépensé sans compter, acheté la paix sociale sans regarder à la dépense, détraqué l'échelle mobile des salaires en donnant souvent plus qu'il n'était revendiqué, construit des dizaines de milliers de locaux commerciaux pour les jeunes, devenus aujourd'hui des urinoirs… Puis, alors qu'ils n'étaient pas attendus, du moins pas de ce niveau de grandeur, des chiffres ont été rendus publics samedi par le ministère des Finances, alors qu'on le croyait totalement accaparé par son emprunt obligataire. Véritable douche froide pour les citoyens (pas trop, quand même) et surtout les observateurs, analystes et autres experts qui subodoraient une aggravation de la crise économique, mais pas de cette ampleur. Les chiffres sont assommants et mieux vaut ne pas les citer en tant que tels, car entre les centimes et les dinars lourds (de moins en moins), la confusion peut vite s'insinuer et altérer leur signification. Il faudra néanmoins retenir que pour les deux premiers mois de l'année 2016, les dépenses de fonctionnement de l'Etat ont augmenté d'un tiers, 34%. Mais alors, toute cette austérité, cette rigueur, le serrage de ceinture dont on nous abreuvait, c'était pour qui, en dehors des retraités qui sont augmentés de… 2,5%, deux fois moins que le taux de l'inflation ? Pourtant, la règle, en la matière, est de baisser le curseur des dépenses de fonctionnement au maximum pour préserver le poste équipement censé être directement branché sur le développement économique et social. Notons au passage que même la fourmi aurait donné plus aux retraités. La cigale, elle, touche sa pension de la caisse des cadres supérieurs alimentée par les impôts des petits salariés et des retraités au revenu moyen. A. S.