Rentrée scolaire: plan sécuritaire préventif et campagne de sensibilisation sur la prévention et la sécurité routières    Belmehdi reçoit le cheikh de la zaouïa Belkaïdia El-Hebria    CAUCT: organisation à Alger de la 2e édition d'Art pour la paix    Attractivité économique: l'Algérie dans le top 3 des pays africains    Le FLN organise une conférence de formation sur la diplomatie partisane    Mondiaux d'athlétisme 2025: les podiums de samedi    Rentrée scolaire: environ 12 millions d'élèves regagnent dimanche les bancs de l'école    Oran : des formations au langage des signes aux étudiants en médecine    Athlétisme/Mondiaux-2025 : l'Algérien Djamel Sedjati remporte la médaille d'argent sur 800 m    Attaf signe à New York l'accord relatif à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer    L'attaque des fermes à Tighenif : une stratégie pour asphyxier l'économie coloniale française    Bouden reçu à Kuala Lumpur par le nouveau SG de l'AIPA    Chargé par le président de la République, Attaf arrive à New York pour participer aux travaux du segment de haut niveau de l'AG de l'ONU    L'Algérie rejoint officiellement l'AIPA en tant qu'unique membre observateur    Exposition d'Osaka : poursuite des journées portes ouvertes sur la stratégie nationale de développement des énergies renouvelables et de l'hydrogène vert    Basket / Championnat arabe des clubs féminins/Finale : le GS Cosider décroche la médaille d'argent    Agression sioniste contre Ghaza : le bilan s'alourdit à 65.208 martyrs et 166.271 blessés    Le président de la République préside une réunion du Haut Conseil de sécurité    Sedjati en finale du 800 m    Ligue 2 amateur : Occasion de confirmation pour les uns et de rachat pour d'autres    Ligue des Champions Le MCA et la JSK en quête de grandeur continentale    Rendez-vous à Timimoun en décembre prochain    Le Conseil de sécurité de l'ONU échoue à adopter un nouveau projet de résolution à cause du véto américain    «La désinformation médiatique continue d'être utilisée comme un outil pour détourner l'attention des atrocités commises»    Une bande spécialisée dans le vol de véhicules neutralisée à Aïn Tedeles    Séminaire régional de préparation de la rentrée universitaire pour la région Ouest    Distribution de 10 bus scolaires au profit de 10 communes    Vendredi marque la date limite fixée par l'Assemblée générale pour qu'Israël mette fin à son occupation    Signature d'une convention de concession au groupe public Logitrans    Sayoud et Derbal à Blida afin de mettre fin au problème de la rareté de l'eau    Alger accueille la 13e édition    Le GPRA, pour la bataille politique et diplomatique    Bendouda préside à Alger l'ouverture des sessions    L'échec du Conseil de sécurité à adopter une résolution en faveur de Ghaza, un affront de plus qui entache la conscience de l'humanité    M. Bouden participe en Malaisie aux travaux de l'AG de l'Assemblée interparlementaire de l'ASEAN    El Bayadh Décès du Moudjahid Kherrouji Mohamed    Programme TV - match du mercredi 29 août 2025    Programme du mercredi 27 août 2025    L'Algérie et la Somalie demandent la tenue d'une réunion d'urgence du Conseil de sécurité    30 martyrs dans une série de frappes à Shuja'iyya    Lancement imminent d'une plate-forme antifraude    Les grandes ambitions de Sonelgaz    La force et la détermination de l'armée    Tebboune présente ses condoléances    Lutte acharnée contre les narcotrafiquants    La Coquette se refait une beauté    Cheikh Aheddad ou l'insurrection jusqu'à la mort    Un historique qui avait l'Algérie au cœur    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Compatriotes ?
Publié dans La Tribune le 26 - 05 - 2016

Une lointaine réminiscence… Septembre 1995. Je suis dans un train de banlieue qui me ramène de l'Université de Cergy vers Paris. J'ai quitté l'Algérie il y a quelques semaines, et la tragédie solaire qui s'y déroule. Mon cerveau est aussi brumeux que le paysage que traverse ce morne tortillard en ce samedi désert. Le wagon est quasiment vide. En fait, nous ne sommes que deux personnes à l'occuper. L'autre voyageur est aveugle. Une canne blanche et des lunettes noires en attestent. Je ne crois pas qu'il se soit rendu compte de ma présence.
Le train s'approche de la gare Saint-Lazare. Avant d'arriver à quai, il s'immobilise quelques instants, sans doute pour des problèmes de régulation du trafic. Pensant être arrivé, l'aveugle se lève, essaie d'ouvrir la porte, sans succès, s'énerve, s'angoisse. Je le rassure alors en lui expliquant que la porte est bloquée parce que le train n'est pas encore à quai. Rasséréné, il se rassoit près de moi. Nous engageons la conversation, sur le temps qui va, nos occupations respectives… Il me loue pour ma discrétion et vitupère les porteurs de walkman qui lui imposent d'habitude leurs rythmes obsédants auxquels il est d'autant plus sensible que sa cécité a accentué son acuité auditive. Au beau milieu de la discussion, il me demande si je suis… Toulonnais ! Je lui réponds que non. C'est votre accent, me dit-il, qui m'a laissé croire que vous l'êtes.
Le train s'ébranle enfin et s'arrête définitivement à quai. Nous descendons ensemble. Il me prend le bras avec une grande familiarité et m'annonce qu'il me réquisitionne pour l'accompagner jusqu'à sa station de métro. J'accepte bien volontiers. Chemin faisant, nous devisons. Il convient que, effectivement, mon accent n'est pas tout à fait toulonnais et me prie de lui dire d'où je viens. Je satisfais sa curiosité en lui révélant que je suis algérien. Vraiment ?, s'écrie-t-il. Et il se lance dans un long monologue d'où ressortent son amitié pour Youcef, secrétaire de l'Union des Aveugles d'Alger et, surtout, sa connaissance intime des soubresauts politiques qui agitent l'Algérie, en proie à une vague de terreur. Aucune subtilité ne lui échappe, rien de la querelle sur l'interruption du processus électoral de janvier 1992, rien des dissensions entre partis dits démocratiques. Il m'apprend quelque chose que, comme l'écrasante majorité de mes compatriotes, j'ignorais totalement et qui provoque son indignation. C'est le fait que, avant le premier tour des fameuses élections législatives, une disposition avait été adoptée par le gouvernement, permettant à tout citoyen de voter en lieu et place d'un ascendant, d'un descendant, d'un frère ou d'une sœur souffrant d'un handicap dûment certifié. Ce détail lui avait été révélé par Youcef, l'aveugle algérois. Une si parfaite connaissance de l'Algérie m'amène à lui demander si nous sommes compatriotes. Pas du tout, répond-il, je suis français. En fait, mes vrais compatriotes sont mes amis aveugles d'Alger, de Stockholm ou du Cap. Nous sommes les enfants du même pays obscur…
Qu'est-ce qu'un compatriote ? Qu'est-ce qui fonde ce rapport particulier à des gens qui sont plus que des voisins, qu'on aime ou qu'on déteste davantage que des banals colocataires ? Peut-être le partage d'une longue mémoire, d'un inconscient collectif commun, dans lequel s'entrechoquent des images de chiens aux babines rouges plongeant leurs gueules dans les entrailles de milliers de cadavres, aux alentours de Sétif, Guelma et Kherrata, les youyous de femmes rythmant la marche du futur chahid vers la guillotine coloniale. Mais c'est aussi la mémoire tenace d'un pays auguste, mettant l'entraide et la solidarité au rang de vertus cardinales.
En reste-t-il quelque chose ? Qu'on en juge…
Eté 2015. Je roule sur l'autoroute d'Oran derrière un poids lourd, immatriculé à Sétif. Il mord largement sur la file du milieu, ce qui m'empêche de le doubler. La voie de gauche est la propriété de voitures survitaminées roulant à tombeau ouvert. Il faudrait donc que ce camion se rabatte sur la droite, mais il s'y refuse. Appels de phare, klaxons, injures, rien n'y fait. Finalement, il finit par s'écarter, de très mauvaise grâce et je peux enfin doubler. Je me rends compte alors, en regardant dans mon rétroviseur, qu'il a accéléré et qu'il semble me poursuivre ! De plus, il multiplie les appels de phare et me fait de grands signes de la main pour me demander de m'arrêter. Ça ne ressemble à rien de détaler sur des kilomètres pour fuir un homme seul. Je m'engage donc sur la bande d'arrêt d'urgence. Il me précède et vient se ranger juste devant moi. Nous descendons en même temps de nos véhicules respectifs. Je constate que ce très jeune homme ne manifeste aucun signe d'hostilité. Il se contente de m'annoncer que ma roue arrière droite pose problème. Comment cela ? Elle vibre d'une drôle de manière, me répond-il, elle donne l'impression de vouloir se détacher. Le mieux, ajoute-t-il, c'est de la démonter. Je me rends à cette suggestion. J'ouvre le coffre. Il se précipite pour se saisir, avant que je puisse le faire, du cric et de la manivelle. «Pas la peine de te salir», grommelle-t-il. Il enlève la roue et nous constatons tous deux que le pneu est déchiré, quasiment fendu, probablement sur le point d'éclater ! «Tu me dois un repas», me dit-il. Il installe la roue de secours en restant sourd à mes protestations Je le remercie et commets l'indélicatesse de lui proposer de l'argent («des bonbons pour les enfants»). Il se met en colère et retourne précipitamment à son camion. Ne voulant pas sans doute rester sur cette mauvaise impression, il se retourne une dernière fois vers moi en me disant «Bon voyage, 3ammou !»
Oui, nous sommes une communauté de destin façonnée par l'Histoire. Oui, nous avons en partage beaucoup plus que ce que nous croyons. Plongeons sans crainte dans le labyrinthe de notre mémoire. Nous y trouverons la force de nous extraire de cette gangue qui nous immobilise, qui nous empêche de changer un cours des choses qui nous mène à l'abîme…
B. S.
*Auteur, maître de conférences et professeur de sciences physiques à l'Université de Cergy-Pontoise.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.