Le tribunal criminel près la cour d'Alger a répondu tard dans la soirée d'hier à cinq questions portant sur l'accusation de Chouaïb Oultache d'homicide volontaire sur la personne d'Ali Tounsi ainsi que les tentatives d'homicide contre le chef de sûreté de la wilaya d'Alger et le directeur de l'administration générale de la DGSN ainsi que le port d'arme et de munitions type 4 sans autorisation légale. Mais au moment où nous mettant sous presse, le verdict n'était toujours pas connu. Au cours de la journée d'hier, le procureur général a requis, la peine capitale à l'encontre du présumé assassin «Chouaïb Oultache». Dans son réquisitoire, concis et précis, le représentant du ministère public est revenu sur les faits, s'arrêtant à chaque fois qu'il était nécessaire pour démontrer que les actes commis par l'accusé tombent sous le coup de la loi. Ce qui lui a permis à la fin d'afficher sa totale conviction qu'Oultache Chouaïb est bien l'assassin de la victime et que les éléments des crimes pour lesquels il est poursuivi sont bien fondés, dans la forme et le fond. Il a ainsi commencé son réquisitoire en affirmant que le tribunal criminel doit juger aujourd'hui une affaire d'une extrême importance ayant «porté atteinte à la sécurité au sein même de l'institution assurant la sécurité nationale». Le procureur rappelle les charges retenues contre l'accusé, à savoir l'homicide volontaire avec préméditation contre la personne d'Ali Tounsi et guet-apens et tentative de meurtre sur la personne du chef de sûreté de la wilaya d'Alger et le directeur de l'administration générale de la Dgsn ainsi que le port d'arme et de munitions type 4 sans autorisation légale. Il considère qu'Oultache Chouaïb a commencé à préparer son acte bien avant la date fatidique du 25 février 2010. Selon le procureur «c'est à partir du moment qu'Ali Tounsi a envoyé une lettre, en janvier 2010, à son ami demandant des explications sur les rumeurs faisant état de l'octroi d'un marché douteux à la société ABM où travaille le gendre de l'accusé, que cette affaire a commencé. La victime n'a pas envoyé un courrier officiel, avantageant dans le doute l'amitié qui la liait à son assassin. Cependant, Ali Tounsi a été claire dans sa lettre (qui a été retrouvée dans le bureau d'Oultache et classée comme pièce à conviction) en faisant comprendre à son ami que si les rumeurs s'avéraient justes, cela constitue une infraction à la loi, voir une malversation et corruption. Ali Tounsi, qui a consacré une cinquantaine d'années au service de son pays, a voulu faire comprendre à son ami que dans le travail, il n'y a pas d'amitié. C'est à partir de ce moment qu'Oultache a commencé à penser à son crime». Le procureur explique qu'Ali Tounsi, ne voyant pas de résultats concrets dans le projet de modernisation de la Sûreté confié depuis des années à l'accusé, était déterminé à statuer sur ce dossier surtout après la décision des pouvoirs publics de retirer à la Dgsn une enveloppe de 22 millions d'euros alloués à la modernisation des réseaux de communication pour la confier au corps de la Gendarmerie nationale. «La victime a donc été tuée alors qu'elle cherchait à défendre l'intérêt du pays et à préserver l'argent public en luttant contre la corruption», dit le représentant du parquet avant de rappeler que l'accusé a bien été condamné dans l'affaire de corruption, en première instance, en appel et après cassation au niveau de la Cour suprême. «Autrement dit, plusieurs magistrats ont été convaincus de la culpabilité d'Oultache confirmant qu'il y a bien eu corruption. Il ne s'agit nullement donc d'une machination». Revenant au crime contre le défunt Dgsn, le représentant du ministère public explique que l'accusé a insisté à plusieurs reprises auprès du secrétaire personnel de la victime pour la voir dans son bureau alors qu'il avait la possibilité de la rencontrer, dans les minutes qui devaient suivre, lors de la réunion-bilan programmée. «C'est bien de la préméditation !», lâche le procureur avant d'ajouter qu'«il y a encore mieux. L'accusé est venu avec une arme et ce n'était pas de son habitude. Tous les témoins qui se sont succédé à la barre l'ont bien confirmé. En plus, y a-t-il une personne qui conserve dans l'état l'emballage de son arme, acquise en 1980, alors qu'elle l'utilise quotidiennement ?» Voulant prouver qu'Oultache était résolu à tuer sa victime, il précise : «Selon des témoins, les deux coups de feu qui ont tué Ali Tounsi ont été entendus vers 10h40 du matin. Ce n'est qu'à 11h 05 que l'accusé à entrouvert la porte pour faire appeler trois cadres supérieurs de la Dgsn». Et à propos des trois cadres appelés, le procureur général a précisé qu'il s'agissait des personnes avec qui Oultache avait un conflit à cause de sa gestion à la tête de l'unité aérienne de la Dgsn. «Si ce n'est la volonté divine, les cadres appelés auraient été tués. Les balles extraites de l'arme de l'accusé, qui s'est enrayée au moment où il a tenté d'exécuter les cadres de la Dgsn, confirment cette thèse puisque selon l'expertise balistique, les cartouches chambrées étaient percutées, mais non parties». A ce propos et se référant aux textes de loi, le procureur explique que si l'accusé n'a pas commis un crime pour une raison externe à sa volonté, la peine qu'il encoure pour ce crime est la même que s'il l'avait commis. L'audition, dans la matinée d'hier du professeur Rachid Belhadj qui a effectué l'autopsie de la victime, est citée par le procureur. «Je tiens à remercier la défense de l'accusé qui a exigé le témoignage du médecin-légiste. Ce dernier a tout dit et a bien expliqué comment Oultache a achevé sa victime». Il y a lieu de préciser à ce propos, que le passage du professeur Belhadj à la barre à mis fin à tous les espoirs de faire croire à la thèse du complot. En effet, ce dernier a été très clair en expliquant qu'après une autopsie minutieuse, il a été possible de déterminer avec précision les trajectoires des deux balles reçues par la victime. Selon ses explications, la première balle a été tirée alors que la victime était en position assise regardant son agresseur. Elle a traversé la joue gauche de la victime, passant par la bouche, le cavum avant de se loger dans l'épaule gauche. Il assure que cette balle n'a pas causé la mort d'Ali Tounsi et que selon la scène du crime, ce dernier a pu se déplacer avant de s'effondrer de tout son poids sur le sol. «C'est la deuxième balle qui a été fatale», explique le professeur Belhadj affirmant que cette balle a été tirée à moins d'un demi-mètre alors que la victime avait la tête contre le sol, «la balle est entrée par le tampon droit et n'ayant pas de point de sortie, elle a éclaté au niveau de la tête causant la mort immédiate de la victime. C'est ce qu'on appelle effet ‘‘blast''». Le médecin-légiste va ensuite affirmer qu'il n'y a aucun autre impact de balle sur le corps d'Ali Tounsi en dehors des deux balles suscitées dont la balistique a confirmé leur provenance de l'arme de l'accusé. Et alors que l'accusé insistait pour affirmer qu'il existe bien des photographies prouvant l'existence de blessures de la victime au thorax, le juge va montrer les photos remises par l'avocat d'Oultache au témoin. Sur ces photographies, des morceaux de coton sont déposés sur le thorax de la victime. Le médecin explique «ce sont là des photographies de la victime après autopsie. Cela veut dire que le corps a été complètement coupé pour effectuer les analyses nécessaires. C'est tout à fait normal de voir plusieurs plaies, du coton ou des bandes à gaz sur le corps». Le témoignage du médecin-légiste a donc été à charge contre l'accusé. Le procureur général n'avait pas tort alors de se suffire de dire : «Le médecin a tout dit.» En continuant son réquisitoire, le représentant du ministère public va revenir sur l'ensemble des procès verbaux (PV) de l'accusé qui n'a pas cessé de se contredire dans ses déclarations. Il s'arrêtera un moment sur l'audition de l'accusé en présence de son avocat pour dire : «Dans ce PV, l'accusé reconnait avoir tiré sur ‘‘son ami'' à deux reprises sans avoir l'intention de le tuer. Il reconnait également avoir été conscient de son geste. S'il y avait eu une quelconque manipulation des propos de l'accusé, l'avocat aurait crié au scandale.» Le procureur ne manquera pas de préciser que la chemise de la victime a fait l'objet d'examen et d'expertise à la demande de la défense de l'accusé «il n'y avait aucune trace d'impact de balles». Avant de conclure, le procureur général va expliquer que les articles 254, 256 et 257 du code pénal s'appliquent en la forme et dans le fond aux actes commis par Chouaïb Oultache «il y avait intention de tuer puisque l'accusé a tiré une seconde balle alors que la victime était à terre. Il s'agit là d'un crime abject et abominable. Ali Tounsi qui a affronté le terrorisme, ne s'attendait sûrement pas à mourir sous des balles traitresses. Il faut donner l'exemple avec ce procès. Je demande au tribunal de répondre par oui à toutes les questions et je requiert la condamnation à mort pour l'accusé». En prenant la parole, la défense de Chouaïb Oultache a tenté de démonter les charges en commençant par rappeler le parcours exemplaire de son mandant «qui a toujours été au service de son pays». Les avocats de l'accusé ont expliqué que pour un militaire de plus de 40 ans de carrière, il n'y a pas lieu d'exhiber son arme et que le fait que les témoins n'aient jamais pris connaissance de son existence est loin de constituer un alibi de préméditation. Ils soutiendront également que la coïncidence de la parution d'un article sur un quotidien national, le jour même du drame, n'est pas fortuite mettant en avant l'absurdité du témoignage du directeur de cette publication qui a affirmé, lors de son audition, avoir reçu l'information d'une source anonyme. Selon les avocats, il s'agit d'«un coup monté». Ils rappellent que ce n'est pas fortuit également que l'affaire de corruption ait éclaté juste après le drame soutenant que c'est leur mandant qui a demandé à la victime d'envoyer une commission d'enquête dont les conclusions ont infirmé l'existence d'une quelconque malversation. A préciser qu'avant le réquisitoire, les avocats de la partie civile, représentant la famille de la victime et les deux ex cadres de la Dgsn, victimes de tentative d'homicide, ont plaidé, demandant leur constitution et annonçant l'introduction de leurs demandes après le prononcé du verdict. Pour la partie civile, «les faits sont têtus, de même que les preuves» et il n'y a donc pas lieu de réfuter l'irréfutable. H. Y.